De riches Occidentaux auraient-ils, pour le plaisir, tiré sur des civils assiégés à Sarajevo, au début des années 1990 ? Le parquet de Milan (Italie) a ouvert une enquête sur des « tireurs d’élite du week-end » étrangers, dont des Italiens, soupçonnés d’avoir participé à ces « safaris » macabres lors du siège de la capitale bosnienne, entre 1992 et 1996, durant lequel 11.500 personnes dont 1.500 enfants ont été tués par les forces serbes.
Selon Ezio Gavazzeni, l’écrivain et journaliste italien à l’origine de l’ouverture de l’enquête italienne, des étrangers américains, français ou italiens auraient payé les forces armées serbes « l’équivalent de 200.000 à 300.000 euros » pour rejoindre les hauteurs de Sarajevo, d’où ils auraient commis ces assassinats.
Pas de documents prouvant la présence de tireurs français
L’accusation d’un tourisme de guerre et de « safaris humains » à Sarajevo n’est pas nouvelle. Les premières accusations surgissent durant le conflit, en 1995, dans le quotidien de Sarajevo Oslobodjenje.
En 2014, l’auteur et journaliste italien Luca Leone publie Les bâtards de Sarajevo (éd. Infinito Edizioni), ouvrage dans lequel il mentionne des « safaris » de guerre à Sarajevo par des étrangers, dont des Italiens. « J’ai écrit mon roman à partir de témoignages de personnes rencontrées lors de mes multiples voyages, sur place, depuis la fin de la guerre », rapporte l’auteur et éditeur passionné des Balkans à 20 minutes. « Cependant, je n’ai pas eu à disposition de documents prouvant des campagnes de tirs par des ressortissants étrangers ».
Plaintes de la maire de Sarajevo et du journaliste Ezio Gavazzeni
Huit ans après la publication du roman de Luca Leone, la thèse de tireurs étrangers constitue le fil rouge du documentaire « Sarajevo safari » (2022) du Slovène Miran Zupanic. La maire de Sarajevo Benjamina Karic porte plainte cette même année auprès du parquet bosnien. Si la justice s’est saisie du dossier, aucun détail n’a filtré depuis cette enquête, selon l’AFP.
La première édile de Sarajevo a contacté le journaliste italien Ezio Gavazzeni cet été, qui a porté plainte à Milan. Benjamina Karic a, elle aussi, envoyé une plainte à la justice italienne. L’événement polémique en Italie fait aujourd’hui boule de neige. Une plainte visant Aleksandar Vucic, président de la Serbie, et volontaire dans les années 1990, a été déposée mercredi par un journaliste croate, rapporte L’Humanité. Le dirigeant serbe est accusé d’avoir participé à ces massacres.
« Rumeurs » versus « week-ends de chasse bien réelles »
Du côté français, aucune preuve ne peut, à ce jour, étayer la participation de nationaux à des virées macabres à Sarajevo. « Im est possible que des Français ont pu rejoindre Belgrade, d’où ils auraient pu être acheminés vers les environs de Sarajevo, mais je n’ai pas eu de confirmation matérielle », se risque timidement Luca Leone.
« Au printemps 1994, nous avons entendu parler de ces expéditions de snipers », déclare de son côté Jean Hatzfeld, journaliste couvrant pour Libération le conflit à cette époque. L’ancien reporter de guerre évoque des « rumeurs de safaris pour tueurs occidentaux tels qu’ils sont décrits ces jours-ci » jamais recoupées. Mais il confirme les « week-ends de chasses bien réelles » contre des musulmans de Bosnie, « organisés par les milices serbes pour permettre à des Serbes expatriés de se joindre à la purification ethnique ».
Dans une guerre où « la folie se tenait en embuscade partout, on n’a pas cru à sa réalisation [de « safaris humains »], parce que de tous côtés, en particulier des services secrets italiens et anglais, ils furent démentis, et que nous n’avons rencontré aucun témoin de ces safaris à milliers de dollars », précise le grand reporter. « Est-ce qu’on a pu ne pas savoir, au vu du nombre de journalistes impliqués et de leurs relations avec les militaires ? Wait and see », s’interroge Jean Hatzfeld.
Alain Dubat, ancien grand reporter de France Télévisions, a passé « près de 24 mois à Sarajevo ». Il précise n’avoir « jamais eu vent d’Italiens faisant du sniping [campagnes de tirs] ». Si des femmes, des enfants, des personnes âgées, des journalistes ou des Casques bleus ont été pris pour cible à Sarajevo, les agresseurs étaient, selon le journaliste, « surtout de riches Serbes qui venaient de Belgrade (Serbie) et s’amusaient le week-end à tirer sur des civils »
Selon les informations de 20 Minutes, aucune enquête judiciaire n’a été ouverte en France sur des tireurs français à Sarajevo. Quant au ministère de la Défense, il indique qu’« à ce jour », les services de renseignement « n’ont pas d’éléments qui permettent de corroborer l’information avancée » de ce tourisme de guerre.
Les articles traitant de Sarajevo
Sollicité via sa maison d’édition, Ezio Gavazzeni n’a pas donné suite aux questions de 20 Minutes.
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