S’il y avait quelques bons érudits dans le système politique, ils se seraient certainement plongés cette semaine dans une analyse approfondie : quel est le statut d’une commission d’enquête « étatique » et quelle différence pratique existe entre une commission d’enquête non étatique et une commission étatique qui n’est pas une commission d’enquête — ainsi que les différentes approches sur cette question.
Yated Nééman – Yossi Tikotchinski
Une commission d’enquête qui n’est pas étatique vient s’ajouter aux innombrables expressions qui surgissent dans notre vie afin de décrire de nouvelles situations que nous ne connaissions pas auparavant, et dans lesquelles nous avons été poussés malgré nous : gouvernement paritaire, victoire totale, guerre de renaissance, ligne jaune, alerte précoce, et maintenant : commission d’enquête qui n’est pas une commission d’enquête étatique.
Ni commission d’enquête gouvernementale, ni commission d’enquête politique — mais « commission d’enquête non étatique ». Que représente-t-elle, alors ? Cela n’a déjà plus d’importance. Peu importe ce qu’elle sera, du moment qu’elle ne sera pas étatique.
Cette invention étrange semble ridicule à première vue, mais elle n’a en réalité rien de drôle : elle est au contraire assez triste. Et non pas parce qu’elle vise à répondre à la demande de l’opposition d’obtenir une commission d’enquête étatique — ce qui, malheureusement, n’a rien de drôle. Elle est triste parce qu’elle décrit pour la première fois la réalité dans laquelle nous vivons depuis déjà de nombreuses années sans même nous en rendre compte : il n’y a plus personne dans le système qui puisse utiliser honnêtement le mot « étatique », dont la définition est : « norme de responsabilité, retenue, représentativité, respect des règles démocratiques et conduite publique mettant l’intérêt général au-dessus des intérêts personnels ou sectoriels. »
Toute commission d’enquête qui sera créée — ou qui ne sera pas créée — ne peut pas être étatique, sous aucune forme. Et c’est le gouvernement lui-même qui l’a affirmé, sans mesurer la profondeur de la chose. Le concept de « comportement étatique » est devenu une simple expression de rhétorique politique, échangée entre adversaires qui, pourtant, ne peuvent plus l’un comme l’autre prétendre, à juste titre, à ce titre de noblesse dans son sens authentique.
L’exemple le plus flagrant est bien sûr le système judiciaire. Ce système, prétentieux et déconnecté, a forgé pour lui-même l’image du seul véritable porteur de l’étaticité en Israël. Les juges ont décidé qu’il fallait les appeler « la respectable Cour » lors de n’importe quelle audience, et ce sont eux qui se présentent comme les gardiens de la neutralité et de l’étaticité du pays.
La pourriture qui règne depuis des années au sein de ce système est visible de loin. Tout le monde savait qu’il s’agissait de l’un des systèmes les plus partiaux qui soient, et certainement pas d’un modèle étatique. Mais ce n’est que récemment que nous voyons ses murs se fissurer et sa laideur apparaître au grand jour — cette fois, officiellement. Et cette semaine, un nouveau sommet a été atteint avec la victoire que la Cour suprême a elle-même accordée à Yariv Levin : une nouvelle étape dans l’effondrement du système.
Dans le même souffle, la Cour suprême s’est bien sûr réfugiée dans son échappatoire habituel : la poursuite du public ‘harédi, en rendant une décision arbitraire et unilatérale contre les étudiants en Tora — mais ce n’est qu’un sursis temporaire. Ce système est déjà engagé sur une pente à sens unique dont il ne pourra plus remonter. On peut désormais dire clairement que le système judiciaire israélien n’est plus étatique, sous aucune forme.
Quant au système politique — inutile d’expliquer qu’il n’est pas non plus étatique. Mais le point le plus profond dans cette réalité est que le concept même d’« étaticité » a disparu précisément à cause du système politique, là où tout a commencé et d’où tout s’est ensuite diffusé.
La scène politique israélienne est figée et polarisée comme jamais. Les mots « droite » et « gauche » divisent toute la nation en deux camps, même si la droite d’aujourd’hui n’est pas la droite d’autrefois, et la gauche non plus. Cela a commencé avec les campagnes de Netanyahu qui ont divisé le peuple entre droite et gauche, bons et méchants, « nous » et « eux ». Puis est venue la réaction de l’autre camp, atteignant des niveaux de haine incroyables envers Netanyahu — une haine aveugle qui les mène à des mesures absurdes, mais peu importe, du moment que ce n’est pas Netanyahu.
À partir de là, le pays entier s’est scindé. Il n’y a plus de zones grises : tout est noir ou blanc. Ou bien on vous identifie au camp dit de droite, ou bien à celui dit de gauche. Le système judiciaire s’est très vite rangé d’un côté, puis les médias ont suivi, se divisant eux aussi en deux camps.
Les gens ne consomment plus les nouvelles dans des chaînes supposées objectives ou étatiques. Quand quelqu’un allume une chaîne, il sait exactement ce qu’il y entendra — et c’est précisément pour cela qu’il allume cette chaîne-là. Ainsi, les médias ont eux aussi perdu toute étaticité et se sont alignés sur les deux blocs politiques.
Lorsque survint la catastrophe la plus grave de l’histoire du pays, il n’a fallu que quelques instants pour que, en même temps que nous encaissions le choc, les accusations politiques commencent immédiatement — droite contre gauche. Le choc a vite disparu, et désormais chaque citoyen « sait » exactement qui est responsable. Plus besoin de commission : chaque camp a déjà écrit ses conclusions. Pour les uns, la responsabilité incombe aux échelons sécuritaires qui auraient conspiré contre un Premier ministre pur et innocent ; pour les autres, le seul responsable est le Premier ministre qui aurait abandonné le pays par intérêt ou malveillance.
Difficile de trouver aujourd’hui un citoyen capable de regarder les faits objectivement. Après que tout soit devenu politique, même la catastrophe a été analysée selon les mêmes lignes de fracture.
Il était donc évident que chaque camp exigerait la création d’une commission à sa convenance — et qu’il prétendrait que seule la sienne serait « étatique ». L’opposition ne peut prétendre à une commission étatique puisqu’elle a déjà ses conclusions toutes prêtes. Mais la coalition non plus ne peut en créer une réellement étatique — car elle aussi subira les pressions appropriées, et ses conclusions seront calibrées selon les attentes de ceux qui l’auront nommée.
Entre les deux se trouvent les citoyens, et surtout les familles endeuillées qui ont vécu l’indicible — certaines ayant même été instrumentalisées, hélas, par des acteurs politiques. Mais toutes réclament des réponses. Et la réalité tragique est que l’État d’Israël n’est plus capable aujourd’hui de créer une commission véritablement indépendante — et encore moins une commission étatique.
Cette réalité se reflète désormais dans les mouvements politiques préparant les élections attendues dans l’année à venir : tractations frénétiques avec des figures comme Bennett, mobilisation de généraux et d’anciens hauts gradés comme Noam Tibon pour Yesh Atid, conflits internes entre Ben Gvir et Smotrich, querelles même au sein du Likoud… Tout cela s’inscrit dans le même cadre : constituer des blocs internes à l’un des deux camps qui ont déjà divisé Israël en deux parties irréconciliables.
Lorsque le gouvernement a décidé cette semaine de créer une commission d’enquête dont la seule caractéristique est d’être « non étatique », il nous a fourni — sans le vouloir — une photographie parfaite de notre situation : l’incapacité d’Israël à s’examiner objectivement. Ce processus a commencé il y a déjà des années ; aujourd’hui, nous n’en voyons que les conséquences. Il est presque impossible d’être objectif en Israël aujourd’hui : il faut choisir un camp.
Dans un tel contexte, il est évident qu’aucune commission d’enquête ne pourra être objective. Au mieux, elle pourra tenter de représenter équitablement les deux camps. Mais ce qu’elle ne pourra certainement pas être, c’est « étatique ». Et c’est précisément ce que le gouvernement a reconnu cette semaine, sans comprendre la profondeur de cette admission.
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