Le guide de survie publié jeudi par le gouvernement français ne va probablement pas déclencher une ruée sur les piles et les bouteilles d’eau. Mais il réveille aussi la fascination collective pour les scénarios catastrophes. Et, généralement, la fiction inspire la réalité autant que l’inverse…
Mais la science-fiction n’a pas vocation à prédire quel scénario envisagé par le gouvernement est le plus probable. « Ce n’est pas le rôle de l’imaginaire de prévoir ce qui est probable, balaie Antoine Daer, journaliste et auteur spécialiste de la science-fiction. Il y a un jeu de ping-pong entre les imaginaires, notamment apocalyptiques et post-apocalyptiques, et la réalité. Les conseils du gouvernement s’en inspirent, consciemment ou inconsciemment. » Même si, depuis la pandémie de Covid-19, la guerre en Ukraine, les attentats ou les méga pannes d’électricité en Espagne, certains scénarios qui auraient semblé irréalistes il y a quelques années sont aujourd’hui beaucoup plus probables. Optimiste, Antoine Daer évacue la question : « J’espère que rien n’est probable. »
Pas d’arme, mais des passeports et des photos d’identité
La fiction reflète surtout son époque. Antoine Daer rappelle que le post-apocalyptique n’a rien de neuf, et place l’invention du genre il y a plus de deux siècles, avec Le Dernier homme de Mary Shelley. « Ce qui change, c’est la manière dont les personnages réagissent. Chez Shelley, ils sont des romantiques du XIXᵉ siècle, un peu désuets. Aujourd’hui, on traiterait ça de façon bien plus scientifique. » Le kit gouvernemental, lui, raconte une autre époque, la nôtre, et peut-être une autre vision de la survie.
« L’élément qui manque selon moi, ce sont les armes, relève Antoine Daer. Heureusement, quelque part, que le gouvernement ne demande pas aux Français de s’armer. Mais dans la littérature, elles sont omniprésentes. À l’inverse, on a dans le guide de survie du gouvernement une dimension très administrative : conserver ses papiers, ses photos d’identité… » Comme si notre carte Vitale devenait essentielle en cas d’épidémie zombie et que la Caf était le dernier bastion de la civilisation en cas d’apocalypse.
« Je ne pense pas qu’on vive dans un monde de science-fiction »
Malgré tout, il faut aussi faire la part des choses. « Je ne pense pas qu’on vive dans un monde de science-fiction, balaie de nouveau Antoine Daer. Les œuvres d’il y a 20 ou 30 ans reflètent surtout les imaginaires de leurs époques. » Pour autant, s’il devait choisir un genre pour la comparaison avec notre réalité, ce serait le cyberpunk : « C’est ainsi qu’on imaginait le futur dans les années 1980 : un cyberespace abstrait, mais sans téléphone portable et sans Internet moderne, décrit celui qui a d’ailleurs publié Futurs No Future : Que reste-t-il du cyberpunk ?. Certains éléments sont devenus réels, d’autres sont complètement ringards. » Le genre décrit surtout « un capitalisme dérégulé, une technologie qui empire nos vies au lieu de l’améliorer, une immense complexité », loin de la table rase du post-apo.
Pour l’écrivain, l’enjeu n’est donc pas de savoir si telle œuvre a « prévu » certains événements, mais de comprendre comment ces récits infusent. « On a tendance à donner beaucoup de pouvoir à l’imaginaire, en pensant qu’il peut infléchir la marche du monde ou prédire ce qui va se passer, résume Antoine Daer. Ce qui est intéressant, au fond, ce n’est pas de lui donner un rôle prescriptif, mais de voir comment il crée un bain culturel qui imprègne nos inconscients collectifs. » Ajoutez donc quand même un bon bouquin de SF à votre kit de survie, ça vous aidera peut-être à passer un hiver nucléaire plus agréable.
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