Son discours a mis le feu aux poudres. Mercredi, le chef d’état-major des Armées, le général Fabien Mandon, a affirmé devant le congrès des maires de France que le pays devait restaurer sa « force d’âme pour accepter de nous faire mal et protéger ce que l’on est » et qu’il devait être prêt à « accepter de perdre ses enfants ».
Une phrase qui découlait d’une longue explication sur la menace grandissante de la Russie, laquelle « se prépare à une confrontation à l’horizon 2030 avec nos pays […] car elle est convaincue que son ennemi existentiel, c’est l’Otan et l’Union européenne ».
Discours « va-t-en-guerre » et « alarmiste », dénoncent les oppositions
Jean-Luc Mélenchon, le dirigeant de la France insoumise, a immédiatement exprimé son « désaccord total ». « Ce n’est pas à lui d’aller inviter les maires ni qui que ce soit à des préparations guerrières décidées par personne », a-t-il dénoncé sur X. « C’est NON ! 51.000 monuments aux morts dans nos communes, ce n’est pas assez ? Oui à la défense nationale mais non aux discours va-t-en guerre insupportables ! », a de son côté tonné le patron du Parti communiste français, Fabien Roussel. « Le chef d’état-major n’a aucune légitimité pour affoler les Français avec des déclarations alarmistes qui ne correspondent en rien à la ligne officielle du pays », a ajouté Sébastien Chenu (Rassemblement national).
Au contraire, le chef d’état-major des Armées « est pleinement légitime à s’exprimer sur les menaces » pesant sur le pays, estime la ministre des Armées, Catherine Vautrin. « Ses propos, sortis de leur contexte à des fins politiciennes, relèvent du langage militaire d’un chef qui, chaque jour, sait que de jeunes soldats risquent leur vie pour la Nation », a affirmé sur X la ministre, pour qui il est « important que les maires soient sensibilisés au contexte actuel ».
« Notre responsabilité est claire : éviter tout affrontement mais nous y préparer, et consolider l’esprit de défense, cette force morale collective sans laquelle aucune nation ne pourrait tenir dans l’épreuve », a-t-elle rappelé. Comme plusieurs responsables européens, notamment allemands et danois, le général Mandon avait estimé en octobre devant les députés que l’armée française devait se tenir « prête à un choc dans trois, quatre ans » face à la Russie, qui « peut être tentée de poursuivre la guerre sur notre continent ».
La Russie est « clairement dans une phase de préparation de quelque chose d’autre »
Comme expliqué plus haut, les propos du général s’inscrivent dans un discours plus large sur la menace russe. « Je ne veux pas dépeindre un tableau trop noir, déclarait-il ainsi mercredi le général Mandon devant les maires de France. Mais le président de la République me demande de lui permettre de protéger les Français et les Françaises, de protéger nos intérêts, notre pays, dans toutes les circonstances. Je regarde au-delà de nos frontières l’évolution, et très sincèrement, aujourd’hui, je vois que malheureusement, la dégradation s’accélère ».
Le premier grand phénomène, selon lui, « est un désengagement des Etats-Unis de l’Europe » qui, « dans le domaine de la défense, sont en train de se concentrer sur l’Asie ». Le deuxième élément, « c’est la guerre sur notre continent, depuis bientôt quatre ans ». « Tout ce qui se passe autour de nous montre que certains ont fait le choix de la force, et la Russie est convaincue que les Européens sont faibles. » Soulignant que, « la Russie, en 2022, c’était moins d’un million d’hommes sous l’uniforme », le chef d’état-major a rappelé « qu’aujourd’hui c’est 1,3 million, et ce sera aux alentours de deux millions en 2030. » « 40 % de l’économie va à l’industrie de défense, a-t-il ajouté, et elle produit plus d’équipements de défense qu’elle n’en consomme sur le front ».
La Russie serait ainsi « clairement dans une phase de préparation de quelque chose d’autre ». « Les Européens réunis sont largement plus forts que la Russie, c’est pourquoi il ne faut pas être pessimiste. On a tout le savoir, toute la force économique, démographique, pour dissuader le régime de Moscou d’essayer de tenter sa chance plus loin ». Avant d’enchaîner sur ces phrases qui font aujourd’hui parler : « Ce qu’il nous manque, c’est la force d’âme pour accepter de nous faire mal, pour protéger ce que l’on est. Si le pays flanche, parce qu’il n’est pas prêt à accepter de perdre ses enfants, de souffrir économiquement parce que les priorités iront à de la production de défense, si on n’est pas prêt à ça, alors on est en risque. »
« La France a vécu jusqu’ici dans une bulle »
Contacté par 20 Minutes, l’analyste géopolitique Louis Duclos estime que le général Mandon « est dans son rôle ». « Il n’est pas en train de dire que l’on va aller en guerre, mais que nous sommes dans un contexte sécuritaire international de plus en plus dégradé, avec la Russie qui menace nos alliés, et qu’il faut s’attendre dans les années qui viennent à ce qu’il y ait une confrontation. Ce qui veut dire que des militaires seront engagés auprès de nos alliés. Il faut se rendre compte de la réalité dans laquelle la France évolue aujourd’hui. Jusqu’ici, la France a vécu dans une bulle que le général Mandon a voulu éclater. Le message, c’est que l’on arrive au bout de 80 ans de paix, et que si on ne trouve pas un moyen de contrer la Russie, on risque d’être un jour contraint de sacrifier nos enfants ».
Pour le consultant en risques internationaux Stéphane Audrand, « le chef d’état-major reprend dans ce discours la totalité des éléments de langage qui ont été validés par le pouvoir politique, et que l’on peut lire dans la « Revue nationale stratégique ». Sur le fond, il s’agit d’ouvrir les yeux aux gens sur un pays qui a décidé d’en découdre ».
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Pour l’expert, « l’institution militaire a pris conscience, il y a un an environ, de la volonté d’escalade de la Russie, et elle se prépare. Mais il y a des limites à cette préparation sans embarquer le reste de la société ». Il évoque alors la même image : « Il faut aussi être conscient que la société française a été enfermée par ses politiciens dans une bulle hors du monde, depuis cinquante ans. Il faut revenir dire aux Français que notre mode de vie dépend d’un certain nombre d’équilibres, ce qui veut dire qu’il va falloir se préparer à aider nos voisins s’ils sont attaqués. » Le spécialiste estime également que « dans cette affaire, il y a un nombre de politiciens qui ont un problème avec la parole militaire publique, à l’extrême droite comme à l’extrême gauche ».
« Le pays n’est pas prêt à entendre ce genre de paroles, mais le but de ce discours est justement de choquer les esprits pour réveiller la société » poursuit Louis Duclos. « On a quand même le ministre de la Défense allemand, Boris Pistorius, qui a déclaré il y a quelques jours que l’Europe avait peut-être vécu son dernier été en paix. Imaginez si Catherine Vautrin ou Sébastien Lecornu avaient dit cela ! »
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