Trump pousse-t-il la Turquie dehors ?
À Ankara, les diplomates le sentent : en Méditerranée orientale, la partie se joue désormais ailleurs. Sur les cartes affichées aux murs, les lignes d’influence se déplacent doucement vers un triangle Athènes–Nicosie–Jérusalem, avec Washington comme arbitre silencieux.
Depuis plusieurs semaines, les initiatives américaines suivent un schéma constant : consolider ce triangle et marginaliser la Turquie. La récente visite à Washington du ministre turc des Affaires étrangères, Hakan Fidan, illustre ce glissement. Ankara a vanté un « dialogue stratégique », mais côté américain, on parle surtout de clarifications exigées sur la politique turque au Moyen-Orient.
Le cœur du dossier, c’est la double posture d’Ankara. Officiellement, la Turquie se présente comme médiatrice indispensable pour Gaza, prête à garantir une trêve et à gérer le contact avec le Hamas. Dans le même temps, ses liens politiques et logistiques avec ce mouvement islamiste nourrissent la méfiance durable des capitales occidentales. Aux yeux de Washington, la Turquie ne parle plus la même langue en public et en coulisses. Résultat : quand il est question du « jour d’après » à Gaza, les réunions décisives se tiennent sans elle, au profit de formats plus restreints incluant l’Égypte, le Qatar ou la Jordanie.
Pendant que la diplomatie turque tente de défendre son statut de puissance incontournable, la Grèce avance avec méthode. Sur le plan militaire, la coopération gréco-américaine a été approfondie, de la base de Souda Bay en Crète aux sites continentaux, faisant d’Athènes un pivot logistique pour les forces américaines dans l’est de la Méditerranée. Sur le plan énergétique, le format 3+1 – Grèce, Chypre, Israël, plus les États-Unis – s’est imposé comme la nouvelle salle de commandement régionale, où se décident interconnexions, infrastructures et cartes des routes gazières.
Les récentes réunions ministérielles à Athènes ont entériné une accélération des projets de gazoducs, d’interconnexions électriques et de terminaux maritimes reliant le Levant à l’Europe du Sud sans passer par la Turquie. Les nouveaux contrats d’exploration gazière, notamment avec de grands groupes au large de la Grèce et de Chypre, renforcent cette architecture. L’objectif est clair : sécuriser des flux énergétiques vers l’Europe tout en réduisant la dépendance au gaz russe, en traçant une route qui contourne les détroits turcs.
Consciente que la géographie ne suffit plus, Athènes multiplie aussi les initiatives diplomatiques. Sa proposition d’un format régional « 5×5 » – Grèce, Chypre, Égypte, Turquie et Libye autour de cinq dossiers clés, de la migration aux frontières maritimes – se veut une main tendue. Mais ce mécanisme empêche aussi Ankara de négocier seule les délimitations en Méditerranée et remet l’Union européenne au cœur des discussions via son membre grec, qui se présente désormais comme architecte plutôt que simple figurant.
Dans ce paysage mouvant, Israël apparaît comme le troisième pilier d’un axe émergent. Ses relations avec la Turquie sont tombées à un point bas, entre déclarations virulentes d’Ankara, suspension de nombreux échanges commerciaux et soutien turc à des procédures internationales visant l’État hébreu. Jérusalem voit donc d’un bon œil la consolidation d’un front politique et énergétique avec Athènes et Nicosie, appuyé par les États-Unis, plutôt qu’un retour à un partenariat instable avec Ankara.
La Turquie demeure néanmoins une puissance militaire et démographique majeure, dotée d’une position géographique que nul ne peut ignorer. Mais la scène méditerranéenne prend des allures de roman de suspense géopolitique : bases navales, hubs gaziers, formats diplomatiques exclusifs et messages codés dans des communiqués soigneusement pesés. Pour l’heure, la Turquie n’est plus au centre du plateau. À Ankara, on sait que les lignes ont bougé ; reste à déterminer si le pouvoir saura réajuster sa stratégie, ou s’il devra s’habituer à une carte régionale redessinée sans lui.
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