Quand Bibi dit non à Trump
Dans le feuilleton politico-judiciaire le plus suivi de Jérusalem à Washington, un nouveau rebondissement vient d’être ajouté au scénario. Épisode du jour : Donald Trump envoie une lettre solennelle au président israélien Isaac Herzog pour demander la grâce de Benyamin Netanyahou… et le principal intéressé répond, l’air de rien, qu’il ne plaidera coupable « à aucun prix ». Rideau sur le happy end juridique espéré par certains.
Tout commence par cette missive à l’ancienne, avec en-tête présidentiel et vocabulaire emphatique. Trump y dénonce une « persécution politique injustifiée » contre son allié de longue date, qu’il décrit comme un « formidable et décisif Premier ministre en temps de guerre », artisan des accords d’Abraham et rempart face à l’Iran. L’ancien magnat new-yorkais appelle Herzog à « pleinement gracier » Netanyahou pour lui permettre de « rassembler Israël » et de tourner la page des hostilités judiciaires.
Netanyahou, lui, a choisi une scène plus moderne : un podcast australien, celui de la journaliste Erin Mullen. Voix posée, ton assuré, il commence par remercier chaleureusement Trump, qu’il dit apprécier pour sa « franchise » et son honnêteté. Puis il abat sa carte maîtresse : accepter une grâce impliquerait de reconnaître sa culpabilité, et cela, « personne ne peut imaginer que je le fasse ». En langage policier, on pourrait dire que le suspect refuse tout accord de plaidoyer, même avec recommandation d’un ami très influent.
Le Premier ministre en profite pour plaider sa cause auprès de l’opinion. Il dénonce un procès « absurde » qui l’oblige à se rendre « trois jours par semaine » au tribunal alors qu’il dirige un pays en guerre et négocie la paix. Au passage, il tourne en dérision certains éléments de l’accusation : expliquer pourquoi son fils Yair a reçu une peluche Bugs Bunny à cinq ans ou pourquoi des boîtes de cigares ont atterri dans sa cave. On dirait presque l’inventaire d’une perquisition chez un collectionneur de dessins animés et de havanes.
Derrière ces images se cache pourtant un dossier judiciaire très lourd. Netanyahou est jugé dans trois affaires distinctes, connues sous les noms de dossiers 1000, 2000 et 4000, qui combinent accusations de fraude, corruption et abus de confiance. Au cœur des charges : des cadeaux de grande valeur offerts par des hommes d’affaires, ainsi que des arrangements supposés entre pouvoir politique et grands médias en échange d’une couverture favorable. Le tout fait de lui le premier chef de gouvernement israélien en exercice à comparaître ainsi sur le banc des accusés.
La lettre de Trump ne change rien, pour l’instant, à cette réalité. Certes, le président de l’État d’Israël dispose, comme beaucoup de chefs d’État, du pouvoir de grâce. Mais la procédure n’a rien du coup de fil de dernière minute dans un film policier. Le droit israélien exige en général que la demande émane de la personne concernée et qu’elle exprime un aveu de culpabilité et des regrets. Sans ces deux « pièces à conviction », le dossier de grâce reste au fond du tiroir présidentiel.
Ce qui n’empêche pas la dimension politique du geste. En public comme en privé, Trump répète depuis des mois que le procès devrait être « annulé » ou transformé en pardon immédiat. Il l’avait déjà suggéré lors de son discours à la Knesset, interpellant Herzog en direct, micro allumé et caméras braquées. Ses conseillers l’auraient convaincu de formaliser ce soutien par une lettre en bonne et due forme, histoire de laisser une trace imprimée dans ce feuilleton juridique.
En Israël, les réactions se partagent entre applaudissements et sourcils froncés. Les soutiens de Netanyahou voient dans la démarche de Trump une validation internationale de leur thèse : un procès politique destiné à abattre un dirigeant jugé trop ferme face à l’Iran et aux ennemis d’Israël. Ses opposants, eux, s’inquiètent de voir un président étranger peser aussi ouvertement sur un dossier judiciaire en cours et craignent un précédent dangereux pour l’indépendance des juges.
Du côté de Netanyahou, la ligne reste claire : il se dit victime d’un « océan d’absurdités » et refuse tout scénario où il endosserait le costume du coupable repentant. Dans ce jeu de rôle très assumé, Trump tient celui de l’ami fidèle prêt à signer une grâce par procuration, Herzog celui de l’arbitre institutionnel, et les juges celui des enquêteurs inflexibles.
Reste que, dans cette intrigue, la condition sine qua non du pardon – reconnaître sa faute – est précisément ce que Netanyahou rejette avec le plus de vigueur. Tant qu’il préférera le rôle du combattant innocent à celui du justiciable contrit, la lettre de Trump restera une pièce à conviction très médiatique, mais juridiquement rangée au rayon des accessoires. Et le vrai suspense continuera à se jouer, loin des micros, dans la salle d’audience.
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