Dans une Ukraine plongée dans le noir, l’Agence nationale anticorruption met la lumière sur la corruption qui gangrène le secteur énergétique. Le NABU, en partenariat avec le Parquet spécialisé anticorruption (SAPO), a révélé un vaste système de corruption qui touche le nucléaire public ukrainien.
Mais de quoi s’agit-il ? Le président Volodymyr Zelensky pourrait-il ressortir entaché de ces révélations ? Pourquoi le fait que le nucléaire public ukrainien soit touché alimente le scandale ? Eléments de réponses grâce à l’éclairage de Gaël Guichard, spécialiste de l’espace post-soviétique et autrice de Absurdistan (Ed. L’Harmattan).
En quoi consiste ce scandale de corruption ?
Selon les enquêteurs, un réseau organisé détournait des fonds publics destinés aux sous-traitants d’Energoatom, l’entreprise publique du nucléaire ukrainien, via des commissions illégales. Une partie de l’argent était ensuite blanchie grâce à des sociétés écrans et à des transferts vers des proches. Les montants officiellement annoncés s’élèvent à 100 millions de dollars, mais ils pourraient atteindre 250 à 300 millions, selon le Kyiv Post. Au cœur de ces accusations se trouve Timour Minditch, copropriétaire de la société de production audiovisuelle Kvartal 95, fondée par Volodymyr Zelensky. Le ministre de la Justice, German Galushchenko, depuis suspendu, est également accusé.
« Il ne s’agit pas ici de la petite corruption de l’employé de campagne qui demande une bouteille de cognac ou un peu d’argent pour l’anniversaire de sa femme, mais d’un système organisé. Cela ne montre pas forcément un niveau endémique de corruption en Ukraine. Mais cela montre qu’il reste encore des gens très haut placés qui n’ont pas de scrupules et pour lesquels l’enrichissement économique passe avant tout », analyse Gaël Guichard. L’Ukraine a entamé il y a des années déjà un travail d’assainissement de ses institutions mais continue à se battre contre ce fléau comme la plupart des anciens membres de l’URSS.
Volodymyr Zelensky risque-t-il d’être entaché par ce scandale ?
« Volodymyr Zelensky est proche de Timour Minditch, mais était-il au courant pour autant ?, s’interroge Gaël Guichard. A ce jour, l’enquête ne semble pas établir de lien direct entre le président et cette affaire de corruption. » A la suite des perquisitions menées lundi, le dirigeant ukrainien a estimé que la « transparence au sein d'[Energoatom] était une priorité » et ces mesures à l’encontre de la corruption « absolument nécessaires ». Mais l’affaire entache son entourage et l’image de sa présidence.
« Durant sa campagne, Volodymyr Zelensky se présentait comme une rupture par rapport aux oligarques. A l’inverse de Petro Porochenko, surnommé le roi du chocolat en Ukraine. Son positionnement consistait à proposer un assainissement du monde politique. Le fait que son entourage soit directement impliqué dans un scandale à très grande échelle apporte donc de l’eau au moulin de la Russie dans cette guerre de communication », décrypte Gaël Guichard. L’agence de presse russe RT s’est d’ailleurs empressée de sous-entendre que Timour Minditch avait été protégé et s’était enfui grâce au concours du président.
En juillet, Volodymyr Zelensky a promulgué une loi supprimant l’indépendance des agences anticorruption, provoquant la colère de la rue et de ses alliés occidentaux. Si le chef d’Etat a ensuite reculé, modifiant la loi, « tout commentateur admettra qu’il est difficile de ne pas s’interroger sur la coïncidence entre cette décision de juillet et les résultats de cette enquête qui a duré quinze mois », note la spécialiste de l’espace post-soviétique.
Ces doutes pourraient fragiliser politiquement le président alors que la lutte contre la corruption est une préoccupation centrale des Ukrainiens, « presque plus que la guerre », glisse Gaël Guichard. D’après une étude d’Info Sapiens publiée l’année dernière, la corruption constitue le second problème le plus crucial pour près de 80 % des Ukrainiens.
Pourquoi le scandale énergétique choque-t-il particulièrement les Ukrainiens ?
Le timing est particulièrement cruel pour les Ukrainiens qui doivent affronter des coupures d’électricité massives dans tout le pays, à la suite de bombardements russes ce week-end. Une myriade d’entre eux a recours à des générateurs tandis que les autres survivent plongés dans le noir, faute de moyens. Pour l’opinion publique, voir des responsables détourner des fonds dans ce secteur vital est une trahison directe au moment où le pays lutte pour maintenir ses infrastructures essentielles. « Savoir que des gens se sont enrichis alors que la population pouvait se retrouver sans chauffage, sans électricité, c’est encore plus intolérable », souligne Gaël Guichard qui ajoute : « D’une certaine façon, ces gens sont des profiteurs de guerre. »
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