Algérie: l’écrivain Boualem Sansal gracié

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Boualem Sansal, Algerian writer, Milan, Italy, March 2016. (Photo by Leonardo Cendamo/Getty Images)

Boualem Sansal est libre, l’écrivain franco-algérien a été gracié pour raisons humanitaires

Par Adam Arroudj, Alger

Presque un an jour pour jour après son arrestation, l’écrivain franco-algérien a été gracié par le président Tebboune. Une libération rendue possible par un montage diplomatique entre Paris, Berlin et Alger qui, cette fois, a pu aboutir.

C’est finalement l’Allemagne qui a offert une porte de sortie à Boualem Sansal – et à l’Algérie. L’écrivain franco-algérien de 80 ans a été gracié ce mercredi 12 novembre par le président Abdelmadjid Tebboune, quasiment un an jour pour jour après son arrestation, le 16 novembre 2024. Cette décision marque l’aboutissement d’un travail diplomatique long et contrarié, engagé dès le début de l’année par Berlin en concertation étroite avec Paris, tous deux mobilisés pour trouver une issue honorable à un dossier devenu politiquement encombrant.

La requête formulée en début de semaine par le président allemand Frank-Walter Steinmeier n’est évidemment pas étrangère à cette décision. « Un tel geste serait l’expression d’une attitude humanitaire et d’une vision politique à long terme. Il refléterait ma relation personnelle de longue date avec le président Tebboune et les bonnes relations entre nos deux pays », a déclaré lundi le chef de l’État allemand dans un communiqué. Il a également proposé que Boualem Sansal soit « transféré en Allemagne pour y recevoir des soins médicaux », compte tenu de son âge avancé et de sa santé fragile.

Alignement des planètes

Mais si Boualem Sansal est libre, il le doit aussi à un assez rare alignement des planètes. Entre Alger et Berlin, d’abord. Abdelmadjid Tebboune doit se rendre en Allemagne. Une visite d’État est prévue au début de l’année prochaine, et elle ne saurait être assombrie par le cas Boualem Sansal. Depuis des mois, des contacts réguliers ont eu lieu entre Alger et Berlin pour tenter de dénouer la situation. L’Allemagne, où le président algérien a été soigné à plusieurs reprises depuis 2020, notamment après sa contamination au Covid, est considérée à Alger comme un «pays ami», selon nos sources, «le meilleur partenaire consensuel pour clore ce dossier».

Contrairement à l’axe Paris-Alger, il n’existe aucun sujet de litige entre les deux capitales, pas même sur le Sahara occidental. Sur cette question, Berlin maintient une position d’équilibre: elle soutient le processus onusien en vue d’une «solution politique juste, pragmatique, durable et acceptable par toutes les parties», tout en qualifiant le plan d’autonomie marocain de 2007 «d’effort sérieux et crédible» et de «bonne base» pour une négociation.

Plus rien n’était possible avec Paris, qui avait fait de Boualem Sansal la clé de sortie d’une crise sans précédent dans laquelle les deux capitales s’enlisent depuis des mois
L’Algérie ne pouvait donc pas se permettre que l’affaire Sansal devienne un sujet bilatéral. L’auteur du Serment des barbares, récemment élu académicien en Belgique, est par ailleurs assez connu en Allemagne, où il a reçu en 2011 le prix de la paix des libraires allemands, une distinction prestigieuse attribuée à des personnalités comme Salman Rushdie ou Orhan Pamuk pour leur contribution à la paix par leurs œuvres.

Engagement personnel du président Tebboune

Plusieurs sources à Alger et Paris évoquent un engagement personnel du président Tebboune à libérer Boualem Sansal. Berlin aurait insisté à plusieurs reprises pour que la promesse soit tenue avant le déplacement présidentiel. La séquence diplomatique imposait donc un dénouement. Alger y a bien compris son intérêt. Alors que le plus médiatique des prisonniers s’apprêtait à franchir le cap de sa première année de détention, Boualem Sansal devenait, selon les mots d’une source judiciaire, «embarrassant» pour le pouvoir.

Plus rien n’était possible avec Paris, qui avait fait de l’écrivain la clé de sortie d’une crise sans précédent dans laquelle les deux capitales s’enlisent depuis des mois. Abdelmadjid Tebboune, de son côté, ne pouvait rien attendre d’Emmanuel Macron : affaibli sur le plan intérieur, le président français restait soumis à une pression médiatique constante depuis un an sur ce dossier.

Si cette libération a tardé, c’est uniquement à cause des attaques répétées de Bruno Retailleau lorsqu’il était ministre de l’Intérieur, mais aussi des prises de position de la droite et de l’extrême droite françaises, largement relayées par leurs médias

Plusieurs sources proches du pouvoir algérien

À Alger, on savait aussi qu’une éventuelle visite du pape – Léon XIV ayant exprimé son souhait de se rendre en Algérie, un travail diplomatique étant déjà engagé – aurait été difficilement envisageable avec Boualem Sansal derrière les barreaux. Sans parler du coût politique pour le dirigeant algérien si l’écrivain, dont l’état de santé est un véritable sujet de préoccupation, était décédé en détention.

Intérêts concordants

Enfin, le timing de la clémence présente bien des avantages pour les trois présidents. À Berlin, le président social-démocrate, Frank-Walter Steinmeier, réussit un coup diplomatique face au chancelier conservateur, Friedrich Merz, en difficulté sur la scène politique intérieure et dont l’international était la seule bouée de secours.

Pour Abdelmadjid Tebboune, cette voie diplomatique n’est plus le résultat d’un bras de fer avec Paris, mais d’une médiation venue de Berlin. Autrement dit, le chef de l’État n’a pas cédé à la pression française. Il est d’ailleurs intéressant de noter la rapidité avec laquelle le communiqué de Frank-Walter Steinmeier a été relayé lundi par les circuits officiels : publié par la présidence, repris par l’agence de presse officielle, la plupart des médias, et tweeté par le ministère des Affaires étrangères. Une manière, sans doute, de préparer l’opinion à ce qui allait suivre.

Ceux qui font croire aux Français que le bras de fer et la méthode brutale sont la seule solution, la seule issue, se trompent Laurent Nuñez, ministre de l’Intérieur

Pour Emmanuel Macron – et par extension pour son homologue à Alger – cela permet surtout de protéger la reprise du dialogue après plusieurs mois d’une crise sans précédent. Tant pis si l’Élysée n’en tire pas de gloire directe, nous murmure-t-on à Paris. Que l’écrivain soit mis dans un avion pour l’Allemagne directement depuis sa cellule «ne fait que concrétiser les efforts entrepris par le couple franco-allemand pour trouver une solution». Tant pis si la France reste celle qui a «juste» «tenu un dialogue exigeant» avec l’Algérie, comme l’a dit la semaine dernière le ministre des Affaires étrangères Jean-Noël Barrot. «En coulisses, c’est bien la diplomatie qui a payé», souffle-t-on encore. Lundi, le patron de la DGSI, Nicolas Lerner, a confié sur France Inter : «Aujourd’hui, nous avons des signaux qui viennent de la partie algérienne sur la volonté de la reprise du dialogue. La France y est prête, elle a toujours été prête, à ses conditions, en rappelant ce que sont ses exigences et notamment la libération de nos deux compatriotes», à savoir Boualem Sansal et le journaliste Christophe Gleizes, dont le procès en appel se tiendra le 3 décembre.

Dégel Alger-Paris

Pendant ce temps, les discrets allers-retours depuis Paris – dont bientôt celui de la secrétaire générale des Affaires étrangères, Anne-Marie Descôtes – ont repris.

D’ici la fin de l’année, Alger et Paris espèrent concrétiser une visite du ministre de l’Intérieur, Laurent Nuñez. Ce dernier, qui a rompu avec la position de fermeté de son prédécesseur Bruno Retailleau envers l’Algérie, a été invité par son homologue Saïd Sayoud. «Ceux qui font croire aux Français que le bras de fer et la méthode brutale sont la seule solution, la seule issue, se trompent, a souligné le nouveau chef de Beauvau, dont la nomination a été saluée par les médias algériens proches du pouvoir. Ça ne marche pas, dans aucun domaine.» Sa visite reste toutefois conditionnée à des garanties algériennes, en particulier sur des sujets sécuritaires comme la reprise des Algériens sous OQTF.

Paris sait que la partie n’est pas gagnée, mais tout le monde a envie de croire que maintenant que Boualem Sansal est libre, tout sera plus facile.

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