Défense, économie, société… Quel rapport de force entre la Russie et l’Europe ? L’Ifri (Institut français des relations internationales) vient de publier une vaste étude comparative sur ces multiples champs.
Il en ressort que l’Europe « possède les ressources industrielles, économiques et militaires, ainsi que l’expertise technologique et le potentiel géopolitique nécessaires pour se défendre face à la Russie » soutiennent les nombreux experts qui ont collaboré à cette étude, sous la houlette de Thomas Gomart, directeur de l’Ifri. Mais « à condition d’en avoir la volonté politique ». Voici ce qu’il ressort de l’étude.
L’Europe protégée par « la cohésion de l’Otan » et « la résistance continue de l’Ukraine »
Le facteur nucléaire reste « au cœur de la stratégie d’escalade de Moscou » relève l’étude. Mais, « à l’heure actuelle, les postures de dissuasion américaines, françaises et britanniques ont pour effet de protéger l’Europe des intimidations et du chantage nucléaire russe ».
Jusqu’à présent, « deux facteurs majeurs ont contribué à dissuader la Russie d’une agression militaire ouverte contre l’espace euroatlantique : d’une part, la cohésion de l’Otan, dont l’engagement de Washington est un facteur clé, et, d’autre part, la résistance continue de l’Ukraine, qui mobilise la plus grande partie de la puissance militaire russe ». Si l’un ou l’autre de ces deux facteurs venait à faiblir, « le risque d’une confrontation armée ouverte entre la Russie et l’Europe, quelle qu’en soit l’échelle, augmenterait considérablement ».
Avantage terrestre pour la Russie, mais supériorité de l’Europe dans le domaine aérien
Au niveau militaire, « le domaine terrestre reste le point faible de l’Europe ». Au total, les forces terrestres russes pourraient atteindre jusqu’à 950.000 soldats contre à peine 750.000 pour les pays européens de l’Otan (hors Turquie). La Russie possède ainsi un avantage « en matière de masse, de puissance de feu, de capacité de mobilisation et de tolérance à l’attrition ».
Dans le domaine aérien en revanche, « l’Europe bénéficie d’une supériorité quantitative et qualitative nette ». Idem « en mer, dans l’espace et dans le cyberespace », où l’Europe « détient également l’avantage, à condition de l’exploiter en déplaçant la confrontation dans ces espaces, où la posture de déni russe se révèle moins efficace ». Les forces européennes bénéficieraient également « d’un avantage qualitatif grâce à leur maîtrise de la tactique interarmes et à la qualification de leur personnel de tous niveaux. »
Perspectives économiques « sombres à long terme » pour la Russie
Si la Russie « a démontré une résilience macroéconomique notable entre 2022 et 2024, cet élan a maintenant culminé ». Avec une inflation en hausse, un déficit budgétaire croissant, « l’économie russe dérive vers la stagflation, laissant présager des perspectives sombres à long terme ». Surtout, « le secteur gazier russe ne se remettra pas de la perte du marché européen ».
Les relations sino-russes sont aujourd’hui plus étroites qu’elles ne l’ont jamais été, ce qui peut se transformer en faiblesse pour le Kremlin. Pékin est désormais le premier partenaire commercial de Moscou avec 30 % des exportations russes et 40 % des importations, mais la Chine n’a pas remplacé l’Europe. Pékin entretient parallèlement des relations commerciales beaucoup plus intenses avec l’Occident qu’avec la Russie.
L’Europe a, quant à elle, « absorbé le choc du découplage énergétique ». « Les factures annuelles d’importation de combustibles fossiles ont été divisées par deux par rapport aux niveaux de 2022 ». D’ici à 2030, l’Union européenne est même « en position de devenir l’acteur central de l’électrification mondiale et de l’action climatique ».
Le système démocratique de l’Union européenne, « lui permet de résister à l’épreuve du temps »
L’État russe fonctionne sur la base d’un système autoritaire, permettant de « centraliser la prise de décision au sein d’un cercle de personnes dont beaucoup sont issues des services de sécurité ». Le Parlement, les partis politiques, les médias, le pouvoir judiciaire et la société civile « ne peuvent pas faire rempart ». Le régime est cependant fragilisé face à une « absence totale de visibilité sur la Russie post-Poutine », même si celui-ci pourrait rester en place jusqu’en 2036 (il aura alors 84 ans).
La société russe fait par ailleurs « preuve d’endurance face à la guerre ». « La stabilité sociale est assurée par une propagande intense, une répression sévère et des paiements généreux aux recrues provenant principalement des régions périphériques ». Si « l’Europe est désavantagée par rapport à la Russie, qui est conditionnée pour l’endurance », elle doit « pour compenser cette lacune, renforcer sa cohésion, investir dans son autonomie stratégique et sensibiliser ses populations à la nécessité d’une résilience à long terme. »
Par ailleurs, « en dépit de sa lenteur (décisions unanimes requises), le système démocratique pluraliste de l’UE permet de formuler une réponse collective », ce qui « lui confère une légitimité beaucoup plus forte et lui permet de résister à l’épreuve du temps ». Mais attention : l’UE est face à un risque de « changement de son ADN avec l’arrivée ou le renforcement de forces populistes ». « Les partis populistes prorusses ou eurosceptiques en Europe exploitent le mécontentement sur les questions économiques et migratoires, ce qui pourrait éroder la cohésion de l’UE », même si le risque « d’implosion de l’UE » reste « très limité à court et moyen termes ».
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