La chaîne saoudienne Al Arabiya a déclenché un véritable séisme médiatico-politique en Algérie en dévoilant une archive audio de l’ancien président égyptien Gamal Abdel Nasser et de son homologue mauritanien Moktar Ould Daddah datant du 6 septembre 1970, soit quelques jours avant la mort du leader égyptien, décédé le 28 septembre. Dans cet enregistrement, le président égyptien se livre à cœur ouvert sur un épisode marquant de l’histoire de son pays, la guerre des Six jours en 1967, et règle ses comptes avec l’Algérie, rétablissant la vérité quant à la supposée aide militaire fournie par l’Algérie à l’Égypte et relatant les trahisons de ce pays qu’il pensait être son allié. Un camouflet douloureux pour le régime d’Alger qui pense que la réécriture de l’Histoire, dont il fait un usage forcené, peut transformer le réel.
C’est une véritable bombe qui vient d’exploser à la figure du régime algérien, passé maître dans la réécriture de l’histoire du pays. Or, cette fois-ci, ce n’est pas l’un de ses colonisateurs qui confronte l’Algérie à ses mensonges, mais l’un de ses anciens alliés, l’Égypte, en la figure de son ancien président, Gamal Abdel Nasser.
Fervent partisan du mouvement de la résistance, Nasser a fourni une aide militaire au Front de libération nationale (FLN), soutenu Ahmed Ben Bella après l’indépendance, avant de se ranger derrière Houari Boumediene lors de sa prise de pouvoir. Lors de l’éclatement de la guerre des Sables en 1963 entre l’Algérie et le Maroc, il a choisi le voisin oriental, lui envoyant armes et soldats.
Après avoir été ainsi soutenue par l’Égypte, on aurait pu croire que l’Algérie rendrait la pareille à son allié. C’est en tout cas ce que tend à faire croire l’histoire vue par l’Algérie en insistant sur le rôle important qu’elle aurait joué lors de la guerre des Six jours, qui a opposé en 1967, Israël à l’Égypte, la Syrie, l’Irak et la Jordanie.
Mais dans l’enregistrement audio dévoilé par Al Arabya, c’est un tout autre récit de cet épisode historique qui est conté par Gamel Abdel Nasser au président mauritanien, Moktar Ould Daddah.
L’Algérie, d’ancien allié à nouvel ennemi
Cet entretien entre les deux chefs d’Etat, daté du 6 septembre 1970, soit quelques jours avant la mort de Nasser décédé le 28 septembre, intervient à une période de fortes tensions entre l’Égypte et l’Algérie. Quelques semaines plus tôt, le 7 août, le président égyptien a accepté un cessez-le-feu sur le canal de Suez et le Jourdain, après avoir accepté, en juin de la même année, le Plan Rogers, soutenu par les États-Unis, qui demandait la fin des hostilités et le retrait israélien du territoire égyptien.
Des prises de position qui ne vont pas être du goût de certains pays arabes, parmi lesquels l’Algérie en première ligne. En effet, épouser la cause palestinienne, très populaire à l’époque et soutenue par l’opinion publique, est une aubaine pour Houari Boumediene qui s’en sert pour améliorer son image en Algérie, mais aussi dans les pays arabes. Force est de constater qu’entre 1967 et 2025, c’est de la même stratégie qu’use toujours le pouvoir en place.
Au cours de cet entretien, Gamel Abdel Nasser confie ainsi à son homologue mauritanien que s’il craint que les Américains ou les Israéliens ne mènent des opérations surprises contre l’Égypte, cette crainte s’avère toutefois moindre en comparaison aux tensions avec certains pays arabes qui «ont épuisé mon pays plus que les missiles et avions israéliens».
Le véritable objet de la colère de Gamel Abdel Nasser n’est autre que l’Algérie, son président de l’époque, Houari Boumediene, et la presse algérienne, auxquels il adresse de vertes critiques dans cet enregistrement. «Nous sommes confrontés à une posture arabe qui engendre plus de détresse psychologique que celle causée par les Israéliens», déclare-t-il ainsi.
Et de poursuivre son offensive à l’encontre de l’Algérie, mû par une profonde rancœur et une certaine amertume: «Ils nous attaquent sans raison. Ils disent que la guerre est nécessaire. Ils sont contre un cessez-le-feu, ne comprennent pas pourquoi nous l’accepterions», explique-t-il, faisant référence au cessez-le-feu qu’il a accepté suite aux lourdes pertes essuyées sur le front du canal de Suez et à sa souscription au plan Rogers.
«Et parce que nous avons accepté un cessez-le-feu, ils ont rappelé leurs troupes présentes en Algérie», poursuit Nasser. En effet, le 6 août 1970, l’Algérie sonne le retrait de ses troupes– près de 2.000 hommes– stationnées sur le front du Canal de Suez depuis le cessez le feu de juin 1967. Un timing que l’on interprète dans les milieux informés du Caire à cette époque comme une conséquence du désaccord surgi avec l’Égypte suite à l’acceptation par le président Nasser du plan de paix américain.
La guerre des Six jours vue par l’Égypte… à l’opposé du récit algérien
Outre les désaccords entre les deux pays au sujet des décisions prises par Gamel Abdel Nasser pour mettre fin au conflit qui oppose son pays à Israël, la susceptibilité des Algériens est aussi mise en cause… sans grande surprise.
En effet, s’ouvre le président mauritanien dans cet échange, Houari Boumediene et les Algériens seraient «blessés» suite à des propos tenus à leur sujet en Égypte, remettant en question le rôle joué par l’Algérie pendant la guerre des Six jours en 1967.
Pour rappel, en 1967, Ben Bella n’est plus au pouvoir en Algérie depuis 1965, renversé lors d’un coup d’État par Houari Boumediene. Après des tensions entre l’Égypte et l’Algérie suite à ce coup d’État que Nasser ne soutient pas, Boumediene envoie en Égypte une aide militaire. Selon la version algérienne, une cargaison de chars de combat aurait été envoyée, ainsi que des avions, une brigade de l’air et un contingent d’hommes. Mais l’engagement militaire de ces forces restera marginal lors de cette guerre éclair, ce qui ne manquera pas d’attiser la rancœur des militaires algériens en Égypte où les troupes demeureront stationnées jusqu’en 1969, après la défaite arabe et pendant la guerre d’usure. Voilà pour le récit officiel…
Ces propos, qui se répandent en Égypte en 1970 et vexent les Algériens, affirment que ces derniers étaient contents «d’être loin du front» lors de la guerre de 1967, autrement dit, que ceux-ci auraient été soulagés de ne pas prendre part au combat. De quoi torpiller la légende de la Mecque des Révolutionnaires. Mais loin de nier ces propos, Gamal Abdel Nasser va au contraire enfoncer le clou en répondant à son homologue: «Ils hésitaient sur tout».
En réalité, explique Gamel Abdel Nasser, les Algériens ont aussi été blessés par des propos tenus par Anouar Al Saddate– alors vice-président égyptien. Lors d’une réunion de travail ouverte aux étudiants, un étudiant algérien, boursier en Égypte, a demandé à Al Saddate quel type d’aide avait été fourni par l’Algérie à l’Égypte lors de la guerre de 1967. «En réalité, il n’y a pas eu d’aide», lui a alors répondu Al Saddate, narre le président égyptien. À l’évocation des avions prétendument envoyés par l’Algérie après 1967, le vice-président aurait alors rétorqué que les avions en question provenaient de l’Union soviétique.
«Ils ont été contrariés par ces propos, mais ces propos sont la vérité. Ce qui les contrariait, c’est la vérité», poursuit Nasser en expliquant que par la suite, cet étudiant algérien s’est rendu à l’ambassade d’Alger au Caire pour dénoncer les propos tenus par Al Saddate et l’accuser d’avoir attaqué les étudiants algériens présents lors de cette réunion.
Et de remettre ainsi en question le glorieux récit officiel de la présence militaire algérienne en Égypte en affirmant «nuls mensonges derrière ces propos, c’est la vérité». De la même manière, Nasser balaie d’un revers de la main les prétendues aides que l’Egypte aurait reçues en comparant le budget alloué aux forces armées entre les guerres de 1970 et de 1967. «Nous avons annulé un cessez-le-feu et nous nous sommes battus. Nous avons subi des pertes et causé des pertes en Israël, mais nous combattions seuls. Aujourd’hui, le budget des forces armées est de 553 millions de livres. En 1967, nous étions à 160 millions de livres. C’est au détriment du développement et de tout le reste», explique-t-il ainsi. Et de poursuivre par une pique adressée à l’Algérie: «Cette vérité est aussi nécessaire à entendre pour nos frères d’Algérie».
Gamal Abdel Nasser ne cache pas son mépris et ironise quant à la prétendue aide fournie par l’Algérie à l’Égypte: «C’est une honte pour nous de demander (de l’aide) à qui que ce soit. Nous-mêmes ne nous le permettons pas. Les Algériens ne nous ont pas aidés d’un seul millième, d’une seule livre après notre retour (…) Nous avons compté sur nous-mêmes. Nous avons imposé de lourdes taxes au peuple, mais nous n’avons rien demandé, et nous ne demanderons rien, ni à eux ni à qui que ce soit».
L’ingratitude d’un pays à la mémoire courte
Déterminé à pointer du doigt tous les manquements de l’Algérie à l’égard de l’Égypte et à déconstruire les mensonges colportés dans la presse algérienne de l’époque, Gamel Abdel Nasser évoque ensuite la résolution 242 de l’ONU. Votée le 22 novembre 1967 par le Conseil de sécurité de l’ONU, quelques mois après la guerre des Six jours, cette résolution, qui exhorte Israël à quitter les 70.000 m² de territoires qu’elle occupe, et a été acceptée par Israël, l’Égypte, la Jordanie et le Liban. Mais au sein des pays arabes, l’heure est à la discorde, et là encore, l’Algérie va planter un couteau dans le dos de son principal allié.
«Il y a une différence entre nous et les autres, nous sommes en première ligne et nous combattons, tandis qu’eux sont à des milliers de kilomètres du champ de bataille. Donc, j’ai la main sur le feu, et eux non», déclare le Raïss à l’endroit de l’Algérie. Pour mettre en lumière ce qu’il qualifiera plusieurs fois de «trahison», Gamel Abdel Nasser évoque alors le rôle joué par l’Égypte aux côtés de l’Algérie dans sa guerre d’indépendance et lors de la guerre des Sables en 1963.
«Quand Ben Bella est venu ici, il n’avait même pas un fusil. Il n’avait rien. Nous lui avons tout donné», narre Gamel Abdel Nasser, évoquant ici la période où Ahmed Ben Bella, qui prépare l’insurrection armée contre la présence française en Algérie, s’est évadé de prison en 1952 pour fuir en Egypte.
«Puis Boumediene est arrivé. Il était étudiant ici. Il est parti d’ici à bord du yacht du roi Farouk. Il a pris les armes que nous lui avons remis pour l’Algérie et les a embarquées. Ensuite, nous leur avons ouvert des crédits (…)», poursuit le président égyptien, évoquant ici la journée du 28 février 1955, lorsque Houari Boumediene, alors colonel, embarque en compagnie d’une vingtaine de révolutionnaires, depuis le port d’Alexandrie, à bord du Dinah, un yacht ayant appartenu au roi Farouk avant que celui-ci ne soit renversé par Nasser. À bord, 13,5 tonnes d’armes et de munitions fournies par l’Égypte pour soutenir la guerre d’indépendance algérienne.
Et Nasser de remonter le fil de l’histoire en rappelant également son implication dans la guerre des Sables et en regrettant presque d’avoir aidé l’Algérie aux dépens du Maroc. «Et dire que quand ils sont entrés en lutte contre le Maroc, ils n’avaient même pas d’armée. Le Maroc les a attaqués. Ils se sont tournés vers nous et nous leur avons envoyé des avions, des chars et des parachutes. Ils ont eu tout ce qu’ils demandaient en trois jours. C’est honteux de constater qu’aujourd’hui certains osent parler… », lance-t-il, d’un ton acerbe, invitant l’Algérie à la retenue dans ses critiques sachant que «c’est nous qui sommes sur le front, et vous, vous en êtes très loin».
La trahison, principal fondement de la diplomatie algérienne
Disant «ne pas comprendre la position des Algériens», Gamel Abdel Nasser évoque alors les tensions entre son pays et l’Irak, auxquelles prend part une Algérie bien décidée à souffler sur les braises du conflit israélo-palestinien, quitte à poignarder dans le dos son ancien allié, l’Égypte.
«Pourquoi nos frères en Algérie acceptent-ils cela? Sont-ils d’accord avec l’Irak à notre sujet maintenant? Il y a des communications entre eux et l’Irak, et nous le savons. Entre Bouteflika et les Irakiens», annonce-t-il, alors qu’à cette période Abdelaziz Bouteflika occupe le poste de ministre des Affaires étrangères en Algérie.
Pour Nasser, il n’y a pas de doute, «la trahison, le travail contre nous est l’objectif poursuivi dans les pays arabes et africains, et partout, même parmi les étudiants arabes à l’étranger. (…) Et en Tanzanie, ils travaillent aussi contre nous, avec les Africains et les groupes de libération africains. Je ne sais pas ce qui se passe».
Le complotisme de l’Algérie à l’encontre de l’Égypte ne passe pas inaperçu. Ainsi, au plus fort de la crise entre Le Caire et Bagdad, alors que les relations diplomatiques entre les deux pays menacent d’être rompues, en août 1970, la conférence des ministres de la Défense et des Affaires étrangères de cinq pays arabes composant l’ancienne République arabe unie (la R.A.U) (Égypte, Syrie, Jordanie, Soudan et Libye), s’ouvre à Tripoli, en Libye, avec pour décision principale de souder les rangs et d’isoler l’Irak et l’Algérie.
À la fin de l’enregistrement, Gamel Abdel Nasser s’interroge sur les contradictions de l’Algérie pour mieux s’expliquer les trahisons de ce pays: «Leur relation avec le Maroc et avec la Tunisie est très forte. Il y a constamment des communications entre eux. Et ils font aussi beaucoup l’éloge du Maroc… À vrai dire, la position de l’Algérie est vraiment bizarre», conclut-il.
La calomnie, ligne éditoriale de la presse algérienne
Entre 1970 et 2025, peu de choses ont réellement changé en Algérie, à commencer par la calomnie dans laquelle se répand la presse algérienne. «C’est nous qui sommes sous la pression d’Israël et ils disent dans la presse algérienne que nous avons capitulé, que notre acceptation de la proposition américaine (ndlr: le plan Rogers) est une trahison envers la oumma arabe, les nations arabes, envers la Palestine et la cause palestinienne et qu’il aurait fallu libérer toute la Palestine. Si nous avions pu le faire nous l’aurions fait mais en 22 ans, cela n’a pas été possible. Comment peuvent-ils demander qu’on libère toute la Palestine? (…)», s’insurge le Raiss.
Et de s’adresser à l’Algérie donneuse de leçons: «Si nous ne pouvons pas libérer toute la Palestine et que vous, vous pouvez le faire, alors venez! Tout cela ne sont que des paroles vides! Quand nous avons arrêté les tueries, ils se sont mis en colère. Alors qu’ils viennent tuer à notre place. Moi je n’ai aucun problème à ce que l’armée algérienne vienne se battre mais ils disent qu’il n’y a pas de guerre. Ni raids, ni opérations», poursuit-il.
Gamel Abdel Nasser s’ouvre ensuite au président mauritanien sur un échange avec Houari Boumediene à ce sujet. «Pourquoi vos journaux écrivent cela sur nous? Pourquoi écrivent-ils que nous ouvrons des cabarets pour distraire les gens et les détourner de la bataille? Nous avons 650.000 soldats, tous sortis des universités de tout le pays, et en décembre prochain nous aurons 750.000 soldats», aurait ainsi interpellé Nasser le président algérien, outré par ailleurs que «les journaux égyptiens laissent entendre aux gens que le conflit avec Israël est terminé et que c’est la raison pour laquelle les Égyptiens n’écoutent pas la chaîne du Caire mais celle de Londres».
Boumediene se contentera de lui répondre «qu’il n’a pas le contrôle sur ce que diffuse la presse», mais Nasser n’y croit pas, car argue-t-il, «nous connaissons les intentions de Bouteflika et son groupe depuis le début».
La réaction ulcérée des autorités algériennes
En Algérie et sans grande surprise, cet enregistrement diffusé par la chaîne saoudienne Al Arabiya a provoqué un vif émoi. L’agence officielle de propagande du régime d’Alger s’est d’ailleurs fendu d’une dépêche pour dénoncer une «manipulation médiatique» et remette en question la véracité de l’enregistrement. Lequel serait en fait «un deepfake, fabriqué grâce aux technologies de l’intelligence artificielle», qui «n’est rien d’autre qu’une imposture historique, celle des mensonges, moteur de diffusion de la chaîne».
Un comble dans un pays où les médias à la solde du pouvoir n’hésitent pas à créer de faux reportages pour accuser le Maroc de tous les maux, quitte à inventer un tunnel secret entre le Maroc et l’Algérie par lequel le Royaume inonderait son voisin de drogues, en reprenant des images de la Guardia Civil espagnole. Ou encore en reprenant des images extraites de reportages télévisés filmés au Maroc pour se les approprier et s’inventer une vie culturelle, industrielle et touristique.
«En diffusant une prétendue archive où Gamal Abdel Nasser, figure historique du monde arabe, minimiserait le rôle de l’Algérie durant la guerre des Six Jours de 1967, cette chaîne confirme une fois de plus sa vocation: travestir l’Histoire, semer la discorde et salir les nations arabes les plus engagées dans la cause des peuples», s’insurge l’APS.
«Qui a peur de l’entente entre Alger et Le Caire?», interroge la dépêche, fidèle à l’esprit de complotite aigue dont raffole le régime algérien. Ou encore, «qui a peur que la force arabe unie prônée par le président Abdel Fattah al-Sissi prenne forme?». On se le demande…
Et l’agence officielle de la junte au pouvoir de s’adonner ensuite à son autre exercice favori, la réécriture de l’histoire en affirmant que Nasser, qui a «combattu le sionisme et a toujours prôné l’unité des peuples arabes, a été toujours un soutien indéfectible à l’Algérie». Une affirmation qui doit faire se retourner dans sa tombe Gamel Abdel Nasser, eu égard aux propos qu’il tient dans cet enregistrement, quelques jours à peine avant sa mort.
Le nouvel enregistrement de Nasser diffusé… par son propre fils
La thèse algérienne du complot de la chaine saoudienne a été mise à mal le 3 octobre par le fils du défunt Raïss lui-même, Hakim Nasser. Fondateur de la chaîne YouTube Nasser.TV, sur laquelle il publie des vidéos et des audios d’archives de son père, celui-ci vient en effet de publier la suite de l’entretien entre Gamal Abdel Nasser et Moktar Ould Daddad, daté du 6 septembre 1970.
Le président égyptien y évoque les tensions entre les pays arabes et l’Égypte à la suite de la guerre des Six jours. «Certains, après la guerre de 1967, se sont imaginés que nous étions finis, que nous devions disparaître. Même parmi les nationalistes arabes— comme George Habache (ndlr : nationaliste palestinien, fondateur et ancien secrétaire général du Front populaire de libération de la Palestine), tu en as sûrement entendu parler— il avait de très bonnes relations avec nous, mais il s’est imaginé que nous étions terminés», explique-t-il ainsi au président mauritanien.
Et d’évoquer à nouveau l’Algérie de Boumediene, et sa trahison, marchant dans les pas de l’Irak et du parti Baas. «L’Irak, de son côté, s’est mise à dire: ‘Nasser n’a pas le droit de parler au nom du peuple arabe, il se soumet maintenant à Israël et aux Américains’. Et ils proclamaient que l’avant-garde de la lutte arabe, c’était le parti Baas. (…) Boumediene, en Algérie, disait: ‘Moi, je parle au nom du peuple arabe’ (…) Il nous a attaqués dans un discours il y a une dizaine ou une quinzaine de jours», fustige le président égyptien en évoquant le discours prononcé le 27 août 1970 par Houari Boumediene, qui présidait la cérémonie militaire organisée à la base de Tafaraoui (ex-Lartigue), en Oranie, à l’occasion du rapatriement de soldats algériens envoyés en Égypte.
Dans ce discours, Boumediene déclarait que «l’application du plan Rogers signifie la liquidation de la résistance palestinienne». Après avoir comparé le cessez-le-feu israélo-arabe, accepté par Nasser, à la paix des braves, naguère offerte par le général de Gaulle aux maquisards du FLN, le chef de l’Etat algérien dénonçait le manque de franchise envers les pays arabes, lesquels selon lui n’avaient pas été informés que l’application du plan Rogers signifierait la reconnaissance d’Israël.
Et Boumediene de régler ses comptes indirectement avec Gamal Abdel Nasser. Affirmant que les troupes algériennes avaient été ramenées en Algérie, en 1969, en raison du cessez-le-feu qui se trouvait être «en contradiction avec la politique algérienne», celui-ci ne manqua pas de faire allusion aux accusations selon lesquelles son gouvernement adoptait «des attitudes fanatiques… sans accomplir son devoir». Pour le président algérien, il était inadmissible que «la mémoire des martyrs soit souillée», allant jusqu’à affirmer que les Algériens tombés sur le front de Suez étaient «nombreux», sans pour autant qu’un chiffre ne soit révélé. À la veille du cessez-le-feu, l’Algérie fit pourtant état de… deux morts dans ses rangs.
Gamal Abdel Nasser a réagi sévèrement au discours de Boumediene. «Nous ne l’avons pas supporté…J’ai écouté le discours et je l’ai insulté», réagit Gamal Abdel Nasser à l’adresse de Houari Boumediene.
Poursuivant son récit, empli de désillusion à l’égard de l’Algérie, Gamal Abdel Nasser, rappelle que «même vis-à-vis de la France, de l’Italie et de l’Allemagne, l’Algérie y allait et leur disait: ‘Pourquoi traitez-vous économiquement avec l’Égypte? Nous sommes le pays dont la voix porte le plus dans le monde arabe’». Et de s’insurger de cette trahison de plus, «alors que l’Algérie devrait plutôt soutenir l’Égypte».
Un constat suivi par une invitation à l’égard de l’Algérie: «Si l’Algérie veut se battre, bienvenue: nous lui ouvrons un front. Mais pour l’instant, ce ne sont que des mots». Gamal Abdel Nasser met ensuite en garde Mokhtar Ould Daddah, s’agissant de Houari Boumediene qu’il s’apprête à rencontrer en Mauritanie dans le cadre d’une visite officielle avec l’intention d’évoquer avec lui ces tensions: «Il n’est pas ouvert d’esprit, c’est sa façon de faire. Même si vous lui parlez, il ne vous parle pas. Mais nous devons être prudents avec l’Algérie. Nous ne devons pas la laisser évoluer», décrète alors Gamal Abdel Nasser. Une mise en garde qui résonne encore aujourd’hui, 55 ans plus tard, alors que le régime algérien n’a eu de cesse depuis de mordre la main qui l’a nourri.
Difficile pour l’APS de contester davantage la véracité de ces enregistrements, ceux-ci ayant été publiés par le fils du président égyptien lui-même, ni de prétendre encore à une entente parfaite entre l’Algérie de Houari Boumediene et l’Égypte de Gamal Abdel Nasser. Le récit national fabriqué de toutes pièces par le régime algérien se fissure à l’épreuve du réel. L’enregistrement de Gamal Abdel Nasser est une calamité pour le Système algérien. L’édifice mensonger et son cortège de millions de chouhadas est menacé d’effritement.
Par Zineb Ibnouzahir
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