Avant la guerre qui fait actuellement rage entre Israël et le Hamas, le chef de la Chambre de commerce de Gaza, Ayed Abu Ramadan, était l’une des figures clés de l’économie de l’enclave, chargé de représenter les intérêts des commerçants de Gaza à l’intérieur comme à l’extérieur de la bande de Gaza.
Ces deux dernières années, admet-il, sa situation a été « moins difficile » que celle de la plupart des habitants de Gaza – il continue de vivre dans un appartement et non dans une tente, un luxe rare dans un territoire à l’intérieur duquel les Nations Unies estiment que 90% des immeubles de logements ont été endommagés ou détruits par Israël.
Mais comme tant d’autres à Gaza, Abou Ramadan aspire à une chose : la fin de la guerre. Ces derniers jours, Abou Ramadan et 16 personnalités de Gaza ont envoyé, par le biais d’intermédiaires, une lettre au président américain Donald Trump pour lui demander d’obtenir que l’État juif mette un terme aux combats qui ont commencé le jour du pogrom commis en Israël par le Hamas, le 7 octobre 2023. Ils estiment que Trump a reçu la lettre vendredi dernier.
« Vous pouvez réussir là où tant d’autres ont échoué, pour arrêter les effusions de sang, protéger des vies innocentes et préparer le terrain pour une paix juste et durable », ont écrit les signataires dans leur lettre à Trump, obtenue par le Times of Israel.
« Nous savons que la seule personne susceptible d’arrêter cette guerre, c’est Trump. Il est l’un des plus grands partisans d’Israël, et il est clair que son influence sur Israël est importante. Il est le seul à pouvoir faire bouger les choses sur la question », explique Abou Ramadan au Times of Israël lors d’un appel téléphonique depuis le sud de Gaza.
Et grâce à plusieurs entretiens jusqu’ici inenvisageables entre des Palestiniens de Gaza et un organe de presse israélien, le Times of Israel s’est entretenu, cette semaine, avec quatre des signataires de cette lettre. D’une même voix, ils appellent de leurs voeux la fin de la guerre et se désolidarisent de l’organisation terroriste du Hamas qui dirige la bande de Gaza, mais qui selon eux ne jouit plus du soutien de la population.
C’est la toute première lettre de ce type depuis le début de la guerre, dans laquelle des représentants de l’élite gazaouie appellent au cessez-le-feu et à la paix avec Israël. Selon ses signataires, Trump a dû recevoir la lettre au moment où la Maison-Blanche finalisait son plan pour mettre fin à la guerre.
Le président américain Donald Trump et le Premier ministre israélien Benjamin Netanyahu (à gauche) participent à une conférence de presse à la Maison Blanche, à Washington, DC, le 29 septembre 2025. (Crédit : Jim WATSON / AFP)
Lundi, Trump a présenté son plan de paix depuis la Maison Blanche à l’occasion d’une conférence de presse avec le Premier ministre Benjamin Netanyahu, en affirmant que Washington n’avait « jamais été aussi près » d’un accord, suite à sa validation par Netanyahu et à l’annonce de plusieurs pays arabes et musulmans disposés à désarmer le Hamas.
La proposition américaine a été présentée aux négociateurs du Hamas par des médiateurs égyptiens et qataris lundi soir tard, a indiqué un diplomate arabe au Times of Israel. Mardi, Trump a déclaré accorder au groupe terroriste « trois ou quatre jours » pour examiner ce plan destiné à libérer les otages israéliens, mettre fin à la guerre et commencer la reconstruction de Gaza.
Qui est derrière cette lettre ?
Le signataire le plus important est le maire de Gaza-City, Yahya al-Sarraj. Avant la guerre, près de 1 million de personnes vivaient à Gaza-City, ce qui en fait non seulement la plus grande métropole de la bande de Gaza, mais aussi la plus grande ville palestinienne.
Comme pour tout autre poste officiel à Gaza, celui de maire passait par une subordination aux structures gouvernementales du Hamas. Mais lors d’un échange via WhatsApp avec le Times of Israel, al-Sarraj nie catégoriquement que la municipalité ou lui-même aient eu une quelconque affiliation avec le Hamas.
« La municipalité est une autorité locale indépendante sur le plan administratif et financier ; elle n’est subordonnée à aucune entité ou faction politique. Son rôle consiste à s’occuper de ses concitoyens et de leur fournir des services comme ceux de l’eau, des traitements des eaux usées, de l’assainissement et de l’urbanisme », a-précise-t-il. Al-Sarraj se présente comme quelqu’un de politiquement indépendant, avec un parcours universitaire et professionnel étranger à tout mouvement politique.
« Les Palestiniens de Gaza aiment la paix et ils veulent un arrêt immédiat des morts et destructions », souligne-t-il, avant d’ajouter que la lettre a « été envoyée à ce moment précis pour encourager le président américain à ne surtout pas perdre cette occasion et à promouvoir des mesures destinées à mettre fin à la guerre – pour le bien de tous ».
Ces deux dernières années, la voix des hauts responsables de la société civile gazaouie, hommes d’affaires, universitaires ou médecins, s’est rarement faite entendre.
Abou Ramadan reconnait qu’une importante partie des élites de Gaza-City ont quitté la bande de Gaza depuis le début de la guerre. Entre novembre 2023 et mai 2024, le point de passage de Rafah vers l’Égypte est resté ouvert, ce qui a permis à ceux capables de payer des milliers de dollars aux entreprises égyptiennes exploitant le point de passage de quitter le territoire, officiellement pour raisons médicales alors même qu’ils ne répondaient pas aux critères nécessaires pour des soins à l’étranger.
« Bien sûr que le départ de l’élite – commerçants, hommes d’affaires, médecins et familles, près de 120 000 personnes – a eu un impact négatif, sur le moral, la santé et l’économie », explique Abou Ramadan.
Mais, s’empresse-t-il d’ajouter, « cela ne représente même pas 1 % de l’impact du génocide. Nous pouvons résister à bien des choses mais le massacre qui a lieu est particulièrement dur. » (Israël nie catégoriquement toute intention de génocide à Gaza, territoire à l’intérieur duquel le Hamas se mêle à la population civile pour mieux l’utiliser comme un bouclier humain.)
Selon le ministère de la Santé de Gaza, dirigé par le Hamas, plus de 65 000 personnes dans la bande ont été tuées ou sont présumées mortes au combat jusqu’à présent, bien que ce bilan ne puisse être vérifié et ne fasse pas le distinguo entre civils et hommes armés. En août dernier, Israël avait revendiqué la mort de 22 000 hommes armés au combat, auxquels s’ajoutent 1 600 terroristes tués en territoire israélien le jour-même du pogrom du 7 octobre – au cours duquel des milliers de terroristes dirigés par le Hamas avaient massacré 1 200 personnes, essentiellement des civils, et qu’ils avaient kidnappé 251 personnes, prises en otage dans la bande de Gaza.
Abou Ramadan, qui se trouve toujours à Gaza, à l’instar de la grande majorité des signataires de cette lettre, le dit clairement : « Malgré tout cela, nous restons et ne quitterons pas la bande de Gaza. Nous n’accepterons pas l’expulsion. Nos racines sont là où nous vivons. »
Pour les signataires de la lettre, il s’agit d’une guerre à sens unique
Abou Ramadan explique que les signataires ont décidé d’écrire à Trump à ce moment précis, forts de l’impression que le monde ne comprenait pas ce qui se passait réellement à Gaza.
« Les gens pensent que c’est une armée qui se bat contre une autre armée. Alors que ce qui se passe, c’est la destruction totale et organisée de la vie dans la bande de Gaza. Ce qu’ils ont fait à Rafah et Khan Younès, ils le font maintenant en détruisant Gaza-City ».
« Il s’agit d’une guerre unilatérale contre des civils, qui utilise des moyens technologiques perfectionnés et inhumains. Il y a une différence entre un soldat et un robot », explique-t-il en évoquant les véhicules téléguidés et pleins d’explosifs que l’armée israélienne a déployés à Gaza pour faire exploser des bâtiments.
Ayed Abu Ramadan, chef de la Chambre de commerce de Gaza et l’un des signataires de la lettre adressée à Trump. (Capture d’écran : X)
« Il n’y a pas de bataille. La résistance [du Hamas et d’autres groupes armés à Gaza] n’est pas présente », affirme par téléphone au Times of Israël Saif al-Din Odeh, économiste gazaoui qui travaillait jusque là à l’Autorité monétaire de l’Autorité palestinienne.
Cela fait tout juste une semaine qu’il a quitté son domicile de Gaza-City face à l’avancée de l’armée israélienne pour prendre la ville.
« L’armée a frappé le toit de notre maison le matin tôt ; le dernier étage a été touché et nous nous sommes enfuis. S’il y avait eu une réelle résistance, la ville aurait-elle été évacuée en deux semaines ? L’armée aurait-elle pu envoyer des robots bombarder des maisons ? », questionne-t-il.
Odeh se dit inquiet à l’idée de la poursuite de l’offensive israélienne dans Gaza-City, même brièvement.
« Si les bombardements continuent ainsi, d’ici un mois, il ne restera plus rien debout. Ensuite, la ville ne sera plus habitable. C’est ça le but ? Sous prétexte du Hamas ? Il n’y a pas de Hamas, pas de résistance, rien. Deux ou trois personnes peut-être – rien à voir avec une confrontation militaire. »
Odeh indique en avoir personnellement parlé avec l’homme d’affaires palestinien Bashara Bahbah, l’un des médiateurs des pourparlers avec le Hamas.
« J’ai personnellement dit au Dr Bashara : cela ne peut plus durer, même quelques heures de plus. Chaque heure qui passe, ils détruisent des centaines de maisons qui ne posent aucun problème. Il faut impérativement cesser — je ne parle même pas d’arrêter les tueries — les destructions qui ont cours. Ensuite, il sera possible de négocier. Que les destructions cessent pendant deux, trois ou quatre jours, et les politiciens se parleront », estime-t-il.
« L’économie de Gaza s’est effondrée »
Nombre des signataires de cette lettre sont des experts économiques qui ont une opinion précise de l’effondrement financier de la bande de Gaza. Abou Ramadan reproche à Israël de favoriser ainsi la corruption et le chaos.
« Il encourage la corruption parce que la situation permet à un tout petit nombre de commerçants de vendre des marchandises à des prix élevés, mais aussi le chaos parce qu’il protège les pillards dans les zones qu’il contrôle et les encourage à attaquer les convois, aussi bien privés qu’humanitaires. Ce qui provoque des hausses de prix insensées », assure-t-il en évoquant une hyperinflation à Gaza qu’il estime à 900 %.
« Les prix sont neuf fois plus élevés qu’avant la guerre. Or, plus de 70 % de la population est sans emploi. Les 30 % qui en ont un travaillent dans le secteur des services – essentiellement la santé –, dont les salaires sont très bas. Il n’y a plus de liquidités et Israël refuse d’autoriser l’entrée de billets de banque à Gaza », ajoute-t-il.
« On ne peut plus parler d’économie palestinienne à Gaza. C’est fini. Le secteur des affaires et de l’agriculture est totalement détruit. »
Avant la guerre, les terres agricoles de Gaza permettaient de nourrir sa population et même d’exporter, principalement des fruits et des légumes. Selon Odeh, pour retrouver cette situation dans l’après-guerre, il faudra remettre en état les terres.
« La terre devra être purifiée. Des dizaines de milliers d’explosifs se trouvent dans le sol, qui est dès lors vicié », souligne-t-il.
Al-Sarraj explique sa décision de rester dans la bande de Gaza malgré la bataille qui fait rage à Gaza-City.
Il évoque des destructions de grande ampleur : « Dans la ville, tout est dévasté : immeubles résidentiels, commerciaux ou culturels, hôpitaux, écoles, universités, églises, mosquées – tout a été touché. Les infrastructures ont elles aussi été détruites : plus de 75 % des puits ont été détruits et les autres sont inaccessibles. Les stations d’épuration, les systèmes d’eau et de drainage ont également été touchés. Bref, les destructions touchent absolument toutes les installations et tous les quartiers. »
Un panache de fumée s’élève dans le ciel suite à une frappe militaire israélienne dans Gaza-City, vu depuis le centre de la bande de Gaza, le 26 septembre 2025. (Crédit : AP Photo/Abdel Kareem Hana)
Tous contre le Hamas
La lettre en elle-même ne fait aucune mention du Hamas, mais quelques uns de ses signataires se sont vivement opposés au mouvement, en privé.
Selon Marwan Tarazi, à la fois homme d’affaires et président du conseil d’administration de l’Université de Gaza – la plus ancienne école privée de l’enclave, fondée en 1942 –, « Le Hamas est une organisation terroriste, nous n’avons aucun lien avec elle, alors pourquoi tous ces morts ici ? »
« Croyez-moi, la rue toute entière est désormais contre le Hamas », assure Tarazi. « Vous pouvez demander à n’importe qui à Gaza : ils seront contre le Hamas. Ce qui s’est passé le 7 octobre n’a rien à voir avec notre façon de faire. Nous devons vivre en paix avec Israël, avec les Juifs. »
« Des enfants, âgés de pas plus d’un an ou deux, ont été supprimés », explique Odeh avec colère. « Des dizaines de milliers sont morts. Mais moi, qu’est-ce que j’en ai à faire des factions [groupes armés dans la bande de Gaza] ? Que toutes ces factions aillent en enfer. »
Les auteurs de cette lettre disent n’être affiliés à aucun camp politique palestinien, ce qui n’empêche pas Abou Ramadan de suggérer que l’OLP et l’AP sont les autorités ultimes et la voie la plus probable vers la paix avec Israël.
Des Palestiniens déplacés traversent un camp de tentes à al-Muwasi, zone désignée comme sûre par Israël, à Khan Younès, dans le sud de la bande de Gaza, le 29 septembre 2025. (Crédit : AP Photo/Jehad Alshrafi)
La lettre ne propose pas de plan détaillé et ordonné pour l’après-guerre, mais Abou Ramadan propose sa vision.
« Nous voulons une solution à deux États, une paix globale et juste », explique-t-il. « L’Autorité palestinienne a sans doute un rôle à jouer, que ce soit immédiatement ou après un an ou deux – tout est envisageable. »
« Nous avons besoin de respirer un peu », poursuit Tarazi avec un rire amer. « Ce qui se passe à Gaza, c’est beaucoup, beaucoup trop. »
Il estime que l’expulsion du Hamas de la bande de Gaza est l’une de ses principales priorités d’après-guerre. « Le plus important désormais est de faire cesser la guerre, et ensuite de se débarrasser du Hamas. »
« Dans l’ensemble, la société gazaouie aspire à vivre en paix, sans blocus, avec des frontières ouvertes et sans restrictions de la circulation des personnes et des biens », conclut al-Sarraj. « Personne ne veut que la guerre se poursuive. »
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