Après des décennies, le grand moment va enfin arriver. Celui de pouvoir inscrire sur les monuments des « Morts pour la France » le nom de ceux que l’on surnomme les Malgré-Nous. Ça ne veut peut-être rien dire pour vous, mais pour eux, ça veut dire beaucoup. Car entre mémoire, reconnaissance tardive et même injustice, les cicatrices restent aujourd’hui encore vives en Alsace et en Moselle.
Désormais les communes d’Alsace et de Moselle pourront ainsi apposer « les noms de leurs concitoyens « Morts pour la France » entre 1939 et 1945, incorporés de force ou non, lorsque le monument aux morts de leur commune est « silencieux », c’est-à-dire sans noms, ou en le complétant si cela s’avère nécessaire », précise l’association dans un communiqué. L’initiative est conduite en partenariat avec le conseil régional du Grand-Est, qui a recensé l’ensemble des « Morts pour la France » des trois départements (Haut-Rhin, Bas-Rhin, Moselle) en les regroupant par commune.
« En particulier en Moselle, mais aussi en Alsace, de très nombreuses communes n’ont pas voulu mettre les noms des combattants, qui sont pourtant morts pour la France, mais qui sont morts pour la France en uniforme allemand », a souligné lundi le président du Souvenir français Serge Barcellini dans un entretien à Ici Lorraine. « La convention vise à corriger cette omission, quatre-vingts ans après la fin de la guerre, pour que ces soldats soient totalement intégrés et fassent partie de la grande famille de la commune », a-t-il dit.
Incorporés de force à partir de 1942
Pour comprendre qui sont vraiment les Malgré-Nous et pourquoi c’est important dans le Bas-Rhin, le Haut-Rhin et la Moselle, il faut faire un petit retour en arrière. Durant la Seconde Guerre mondiale, des milliers de jeunes Alsaciens et Mosellans ont été enrôlés de force dans la Wehrmacht, et même pour certains dans la Waffen-SS. Refuser à l’époque signifie la mort, pour eux ou même pour leurs familles.
En 1940, l’Alsace et la Moselle, sous le joug de l’armée nazie, sont soumises à une politique de germanisation écrasante, mais c’est en 1942 seulement que l’incorporation de force est décrétée. Beaucoup des Malgré-Nous meurent sur le front de l’Est ou dans les camps de prisonniers soviétiques, d’autres, plus rares, sont envoyés sur le front contre les alliés. Plus de 30.000 n’en reviendront jamais. Quant à ceux qui en sont revenus, ils sont marqués à vie, traumatisés et, trop souvent, rejetés par une France qui ne voulait pas comprendre cette incorporation de force.
Une image floue dans la mémoire collective
Surnommés les Malgré-Nous, ils ont encore du mal de nos jours à obtenir une vraie reconnaissance de leur destin tragique. Dès la Libération, ils sont accueillis avec méfiance, période pendant laquelle il est souvent difficile de faire la distinction entre un incorporé de force et un volontaire. Certains les accusent de collaboration. D’autres choisissent le silence, honteux ou épuisés par ce qu’ils ont vécu. Ces soldats de l’armée nazie « malgré eux » gardent une image floue dans la mémoire collective.
L’État français mettra d’ailleurs plusieurs décennies à reconnaître officiellement leur statut de victimes et il a fallu attendre 1981, avec François Mitterrand élu président de la République, pour que les Malgré-Nous obtiennent officiellement le statut de victimes du nazisme. Puis en 2010, autre virage décisif, avec l’inscription au mémorial de la Shoah d’un panneau explicatif qui rappelle ce qui est arrivé et précise leur incorporation forcée. Mais pour beaucoup, le mal est fait. Le traumatisme du rejet, du non-dit, reste ancré dans la mémoire de nombreux Français.
Aujourd’hui encore, la mémoire des Malgré-Nous continue de susciter des interrogations (quand ce n’est pas de l’incompréhension) et des débats. Si bien qu’à l’occasion des cérémonies du 80e anniversaire de la Libération de Strasbourg l’an passé, le président Emmanuel Macron avait évoqué le sort des incorporés de force d’Alsace-Moselle, parlant d’un « crime de guerre » qu’il faut « reconnaître » et « enseigner ». Alors c’est peu dire à présent si cette convention entre la région Grand-Est et l’association mémorielle, qui doit être signée ce mercredi à Metz, est importante, pour ne pas dire historique.
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