Guerre en Ukraine : Vos diamants viennent peut-être de Russie (malgré les sanctions occidentales)

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«Oui, oui, mille fois oui ! Mais… Ce diamant vient-il de Russie ? » Une telle question n’a probablement jamais été posée dans toute l’histoire des demandes en mariage assorties d’une bague de fiançailles ornée d’un solitaire. Si le diamant reste la norme sur le marché des bagues de mariage, son origine s’avère parfois mystérieuse. Et cette pierre que l’on exhibe fièrement, symbole occidental de l’amour éternel, pourrait bien avoir parcouru une partie du globe pour s’affranchir des sanctions qui pèsent sur les joyaux de la Russie.

« Aujourd’hui encore, il est possible qu’un consommateur européen achète un diamant russe sans le savoir », soutient Gwennhaëlle Barral, avocate aux barreaux de Paris et Luxembourg et autrice de l’article Gel des avoirs et sanctions internationales sur les diamants : une mesure à forte valeur ajoutée ? (Culture compliance). C’est d’ailleurs ce que montre l’enquête publiée par l’ONG russe Arctida, qui affirme que les diamants russes continuent d’affluer vers l’Europe et les Etats-Unis.

Après l’invasion de l’Ukraine, les Etats-Unis et l’Union européenne ont mis en place des sanctions visant à empêcher Moscou de financer la guerre grâce à ses diamants. Car le pays fait office de mastodonte du secteur. « La Russie est un acteur particulièrement important sur le marché des diamants, en particulier dans le domaine de l’extraction. Environ 25 à 30 % de la production mondiale de diamants bruts provient de Russie », explique Avi Kravitz, consultant et analyste spécialisé dans le commerce international des diamants. Avant les sanctions, les exportations de pierres brutes vers l’Europe rapportaient près de 2 milliards d’euros par an à la Russie.

Des sanctions éparses

Ces sommes mirobolantes ont mis un certain temps à être visées par les sanctions occidentales, notamment en raison des réticences belges. Anvers est en effet l’une des plaques tournantes du diamant dans le monde. En décembre 2023, l’Union européenne a finalement adopté des sanctions excluant les diamants russes de son marché, en partenariat avec le G7. Une mesure seulement effective à partir du 1er janvier 2024. Un coup dur pour la Russie, alors que « le marché du G7 représente environ les deux tiers de la demande mondiale de bijoux en diamants », souligne Avi Kravitz.

Malgré une forte réactivité des Etats-Unis, qui ont sanctionné la plus grande entreprise diamantaire russe (Alrosa) le jour même de l’invasion russe en Ukraine, « il n’y a pas d’uniformisation au niveau international et le sujet de la traçabilité a été repoussé plusieurs fois », souligne Gwennhaëlle Barral. Le G7 avait prévu un système pour suivre l’origine des diamants bruts, lequel devait être mis en place le 1er septembre 2024. Mais la date a sans cesse été décalée, et l’UE évoque désormais… janvier 2026.

De la Russie à Dubaï en passant par l’Arménie

Au milieu de ces atermoiements, la Russie a développé des contournements particulièrement efficaces. « De nombreux pays ne font pas partie du G7 et ont donc le droit d’importer des diamants de Russie puis de les revendre au marché indien ou chinois, par exemple. La question est de savoir comment empêcher ces diamants d’entrer sur les marchés européens ou américains », explique Avi Kravitz.

Dans une économie mondialisée, le diamant peut vite passer d’un pays à l’autre et se retrouver étiqueté dans un lot « d’origine mixte ». « La Russie envoie à l’Inde pour qu’elle taille les pierres et les revendent. Dubaï est aussi une plateforme, or c’est un territoire très russophile. Il est évident que certains diamants originaires de Dubaï sont en réalité de Russie », affirme Gwennhaëlle Barral. Moscou utilise aussi l’Arménie, où près de la moitié des diamants importés viennent de Russie. Le pays, qui extrait très peu de pierres lui-même, sert de hub de transit pour réinjecter plus discrètement les diamants russes sur le marché mondial.

Les « diamants de sang » de Kimberley

« Historiquement, les diamants ont toujours beaucoup changé de mains avant d’arriver chez le bijoutier. Ces petites marchandises sont facilement transportables et de grande valeur, un avantage pour des gens malintentionnés », note Avi Kravitz. C’est pour cette raison qu’a été créé le Kimberley Process en 2003. Chaque lot de diamants bruts doit avoir un certificat afin d’éviter qu’ils ne soient originaires de zones de conflit – ce que l’on appelle les « diamants de sang ». La Russie n’est toutefois pas concernée, son territoire n’étant pas directement une zone de conflit, même si son marché des diamants finance probablement en partie l’invasion de l’Ukraine.

Notre dossier sur la guerre en Ukraine

A Washington comme à Paris, vous pouvez donc acheter, sans le savoir, un diamant d’origine russe. D’autant plus que « la plupart des marques de bijouterie vendent une qualité de diamant certifiée plus qu’une éthique », souligne Gwennhaëlle Barral. Il y a toutefois une véritable « prise de conscience » parmi les acteurs du secteur, assure Avi Kravitz. « Les bijoutiers ont de plus en plus tendance à raconter le voyage de leurs pierres, de leur histoire géologique à leur extraction, en passant par les impacts positifs de ce marché pour leur pays d’origine. » Un voyage parfois semé de discrets détours.

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