Israël visait à Doha bien plus qu’une riposte

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Un bâtiment endommagé, suite à une attaque israélienne contre des dirigeants du Hamas,

Israël visait à Doha bien plus qu’une riposte

Depuis la frappe israélienne à Doha contre des cadres du Hamas, une idée circule dans les capitales régionales : Jérusalem ne cherchait pas seulement à « punir », mais à remodeler l’équilibre de pouvoir à l’intérieur de l’organisation. L’objectif implicite, selon plusieurs diplomates et observateurs, était d’obtenir sur le Hamas un effet psychologique et opérationnel comparable à celui qu’a produit l’élimination de Hassan Nasrallah sur le Hezbollah : décapiter la chaîne de décision qui bloque un cessez-le-feu durable et un accord sur les otages.

Dans les heures ayant suivi l’attaque, le discours officiel du Hamas a tenté de projeter l’image d’un commandement intact. Pourtant, l’absence médiatique de certaines figures, l’ambiguïté entretenue sur l’état de santé de plusieurs dirigeants et la visibilité funéraire donnée à des cadres de second cercle traduisent une nervosité évidente. Pour Israël, cette pression vise à fissurer le front interne du mouvement : montrer que la clandestinité et le refuge extraterritorial ne garantissent ni immunité ni continuité de commandement, et pousser les partisans d’un compromis à prendre le dessus.

Cette logique « au-delà de la vengeance » s’inscrit dans un calendrier diplomatique serré. Le cœur de la bataille n’est pas seulement à Gaza-ville, mais autour de la table des médiations. La frappe à Doha a braqué les projecteurs sur le rôle du Qatar : médiateur indispensable, mais aussi havre de négociateurs du Hamas. En touchant le sanctuaire symbolique de ces pourparlers, Israël a voulu indiquer que les discussions ne sauraient se dérouler à l’abri d’un coût stratégique. Ce calcul comporte un risque : braquer certains partenaires occidentaux et du Golfe, soucieux de préserver la médiation et la stabilité régionale.

C’est là que les Accords d’Abraham jouent un rôle d’amortisseur — et de baromètre. Cinq ans après leur signature, ils ont résisté aux secousses politiques et morales de la guerre : ni les Émirats arabes unis, ni Bahreïn, ni le Maroc n’ont rompu les liens. Mais la patience n’est pas infinie. Les partenaires arabes normalisés — surtout Abou Dhabi — continuent de privilégier la realpolitik (sécurité, technologie, commerce), tout en exprimant un malaise croissant face à toute démarche unilatérale susceptible d’enterrer de facto toute perspective politique palestinienne. Le message implicite est clair : la coopération tient, mais elle n’est pas un chèque en blanc.

Au-delà de la région, l’opinion américaine pèse dans l’équation. Depuis deux ans, les enquêtes d’opinion montrent un soutien globalement en recul à l’action militaire israélienne, avec une fracture partisane nette : républicains majoritairement favorables, démocrates de plus en plus critiques, et des indépendants volatils. Pour Jérusalem, cela se traduit par une marge de manœuvre diplomatique plus étroite : même si l’exécutif américain reste un allié, l’espace politique pour un soutien « sans conditions » se rétrécit, surtout à mesure que la guerre se prolonge et que les images de détresse humanitaire saturent les écrans.

C’est précisément cette conjonction — pression sur le Hamas, prudence à l’égard des partenaires arabes, sensibilité accrue de l’opinion américaine — qui permet de comprendre la frappe de Doha. Israël cherche à forcer une bascule : convaincre l’appareil du Hamas que l’option « tenir jusqu’au bout » est perdante, et que négocier — y compris sur les otages — devient, pour le mouvement, la moins mauvaise issue. Dans ce cadre, la référence à l’« effet Nasrallah » n’est pas anodine : l’idée est de montrer que la hiérarchie ennemie n’est jamais hors d’atteinte, même si le prix diplomatique est élevé.

Reste une variable déterminante : la gestion du « lendemain ». Les partenaires de la normalisation avertissent qu’un emballement souverainiste en Cisjordanie — ou une opération à Gaza perçue comme indifférente aux risques humanitaires — éroderait leur capacité à défendre la coopération avec Israël auprès de leurs opinions et de leurs élites. À l’inverse, des gestes « moins symboliques mais plus concrets » — sécurité coordonnée, réformes économiques, initiatives éducatives dés idéologisées — peuvent maintenir l’adhérence des Accords d’Abraham, tout en répondant à l’exigence centrale d’Israël : empêcher la reconstitution d’une base militaro-idéologique contre lui.

Au final, Doha illustre un pari : frapper pour infléchir, sans casser l’architecture diplomatique patiemment construite depuis 2020. La réussite se mesurera moins au bilan immédiat qu’à la capacité de faire émerger, côté Hamas, un pôle décisionnel prêt à un troc « otages contre cessez-le-feu », et, côté régional, à préserver assez de confiance pour que la coopération sécuritaire et économique survive aux tempêtes politiques. Israël peut gagner la pression sans perdre ses partenaires — mais seulement si l’outil militaire reste articulé à une stratégie politique claire, lisible et compatible avec les lignes rouges de ses alliés.

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