Tsahal vs Guardian : le choc des bilans
Fuite chiffrée contestée
Une enquête conjointe du Guardian, de +972 Magazine et de Local Call affirme avoir eu accès à des données issues d’une base de renseignement israélienne répertoriant les combattants du Hamas et du Jihad islamique palestinien (PIJ). Selon ces éléments, arrêtés en mai 2025, 8 900 noms de membres de ces organisations étaient classés « tués » ou « probablement tués », pour un total de 53 000 morts recensés alors dans la bande de Gaza par les autorités sanitaires locales. L’écart suggère qu’environ 83 % des personnes tuées seraient des civils. Tsahal a qualifié ces chiffres « d’incorrects », sans préciser quelles données seraient erronées ni contester formellement l’existence de la base utilisée. (The Guardian)
Le dossier, attribué à la Direction du renseignement militaire israélien (AMAN), recenserait près de 47 653 personnes considérées comme actives dans les ailes armées du Hamas et du PIJ. Les auteurs précisent que la liste proviendrait en partie de documents internes saisis à Gaza et croisés par les services israéliens. +972 Magazine indique que l’armée a confirmé l’existence de cette base et son pilotage par AMAN, la considérant comme la référence interne pour comptabiliser les pertes ennemies identifiées. (+972 Magazine)
Le Guardian souligne que le ratio avancé — environ cinq civils pour un combattant — serait « exceptionnellement élevé » au regard des conflits contemporains. Citant l’Uppsala Conflict Data Program (UCDP), le journal estime que depuis 1989, des parts plus élevées de victimes civiles n’ont été observées que lors de cas extrêmes comme Srebrenica, le génocide rwandais ou le siège de Marioupol. Là encore, l’armée israélienne n’a pas détaillé en quoi ces comparaisons seraient inexactes ; elle s’est bornée à indiquer que les chiffres publiés « ne reflètent pas » ses systèmes. (The Guardian)
Un autre point saillant tient au décalage entre les communications publiques et les référentiels internes. D’après l’enquête, si certains responsables politiques ont parfois évoqué un bilan élevé de combattants tués, la compilation nominale consultée accréditerait une proportion de pertes civiles nettement majoritaire. Le Guardian ajoute que des sources israéliennes de renseignement considèrent paradoxalement les totaux quotidiens du ministère de la Santé de Gaza comme une base de travail utile pour le pilotage opérationnel, bien que ces chiffres soient publiquement contestés par des responsables politiques en raison du contrôle du Hamas sur l’institution. (The Guardian)
Sur le terrain, plusieurs facteurs peuvent contribuer à un taux élevé de victimes civiles : densité urbaine extrême, présence d’infrastructures militaires au cœur de zones habitées, opérations aériennes et terrestres simultanées, et incertitudes inhérentes à l’identification des cibles. L’article du Guardian pointe aussi des pratiques d’attribution post-frappe (comptabilisation de tués comme « militants » sans identification formelle), dont l’ampleur et la fréquence ne sont pas documentées de manière exhaustive au public. Tsahal, de son côté, affirme appliquer des procédures visant à réduire les dommages aux civils et conteste la validité des chiffres publiés, sans fournir à ce stade d’éléments détaillés permettant de recalculer les ratios. (The Guardian)
La volumétrie avancée ouvre une autre interrogation : l’attrition réelle dans les rangs du Hamas et du PIJ. Les données citées suggèrent que, malgré des pertes avérées parmi les cadres et les unités, une part substantielle des effectifs est demeurée active au printemps 2025 — et que la dynamique de recrutement pourrait avoir compensé une partie des pertes. Cette appréciation, fondée sur des listes nominatives et des recoupements de renseignement, reste cependant tributaire des limites de la collecte en temps de guerre (personnes non identifiées, militants non affiliés officiellement, disparus non dénombrés). (+972 Magazine)
Au-delà de la bataille des chiffres, l’enjeu est double. Sur le plan humanitaire, il s’agit de mesurer avec la plus grande rigueur le sort des civils, condition préalable à toute évaluation juridique et politique. Sur le plan opérationnel, la précision des décomptes influence la planification militaire et la crédibilité des autorités. Tant que l’armée se borne à dire que les chiffres publiés sont « incorrects » sans divulguer ses propres agrégats, l’écart d’interprétation persistera. À l’inverse, la publication intégrale de séries vérifiables — même agrégées — permettrait de trancher une partie du débat méthodologique.
En l’état, deux certitudes coexistent : une enquête médiatique détaillée qui alerte sur un ratio très élevé de victimes civiles, et une contestation officielle qui rejette ce calcul sans en proposer un autre. Entre les deux, la réalité d’une guerre menée dans un environnement urbain saturé, où chaque frappe soulève des questions de proportionnalité, de ciblage et de transparence.
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