Question à Dov Zerah. La France a initié un mouvement de reconnaissance d’un État palestinien. Quelles en sont les motivations ?

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Article paru sur « atlantico.fr » sous le titre: « Cette autre solution pour un Etat palestinien que tout le monde feint d’ignorer »

A ce jour, 148 des 193 pays membres de l’Organisation des Nations unies reconnaissent officiellement l’Etat de Palestine. Emmanuel Macron a annoncé, le 24 juillet, qu’il reconnaîtrait la Palestine en septembre, lors de l’Assemblée générale des Nations unies, à New York.

Atlantico : Depuis bientôt trois mois, la France a initié un mouvement de reconnaissance d’un État palestinien. Quelles en sont les motivations ? Comment la jugez-vous ?

Dov Zerah : Comme l’affirmait le général de Gaulle, « un État n’a pas d’ami, il n’a que des intérêts ! ». Le président Emmanuel Macron s’inscrit dans la traditionnelle « politique arabe de la France »vieille de plus de mille ans et basée sur le serment de Saint Louis de protéger les Maronites et les lieux saints de la Chrétienté. Souvenons-nous de l’alliance en 1536 de François 1er avec le grand Turc pourtant en guerre avec des nations chrétiennes européennes. Rappelons-nous le projet de Napoléon III de soutien et d’aide à l’émir Abdel Kader en vue de la renaissance du califat de Bagdad à Alger sous la protection de la France. Paris se doit de s’intéresser à ses voisins méditerranéens, à leurs marchés… !

C’est pour renouer avec cette tradition que le général de Gaulle a bradé l’Algérie, les pieds noirs, les Harkis, le Sahara… et a refermé la parenthèse de dix ans de relations très développées avec Israël. L’État juif a été  « notre ami, notre allié » parce qu’il permettait d’affaiblir le président égyptien, Gamal Abdel Nasser, principal soutien des indépendantistes algériens.

Au-delà de ces fondamentaux historiques, les autorités françaises se doivent de tenir compte des positions de certains pays arabes comme l’Arabie saoudite, les Émirats arabes unis, le Koweït, ou le Qatar, importants souscripteurs de bons du Trésor français, à un moment où la dette publique va continuer à s’alourdir et constitue un handicap majeur pour notre pays. De même, elles se doivent d’être à l’écoute des demandes de plus de dix millions de musulmans présents sur notre sol. Enfin, après les déconvenues avec plusieurs pays africains francophones, c’est une façon de renouer avec le « sud global » et un moyen d’améliorer notre image à peu de frais.

Ne nous trompons pas. Il n’y a aucune place pour la morale !

Reprenant un des éléments de la logorrhée internationale depuis 50 ans, cette initiative intègre insuffisamment la situation sur le terrain, et risque de favoriser la radicalisation du Hamas et de légitimer la résurgence de l’antisémitisme de par le Monde, et notamment en France.

Quels sont les éléments de la situation sur le terrain auxquels vous pensez ?

Tout d’abord, l’opposition israélienne à une telle perspective. Rappelons qu’en juillet 2024, 97 députés israéliens sur 120 ont refusé une telle création ; cela représente une quasi-unanimité puisque la Knesset compte dix députés arabes et que seuls 13 députés sur les 24 du groupe de gauche et centre gauche ont voté contre. Les Israéliens considèrent que nonobstant les Accords d’Oslo et le retrait négocié de territoires, ils ont eu la 2nde intifada. De même le retrait unilatéral de Gaza en 2005 a entrainé la prise du pouvoir à Gaza par le Hamas et une multiplication des tensions jusqu’au 7 octobre.

Il n’est pas très encourageant de constater que le retrait de territoires négocié ou unilatéral a débouché sur la guerre.

Le traumatisme du pogrom du 7 octobre 2023, la tragédie des otages, les drames des populations déplacées du Nord et du pourtour de Gaza, la vie aux abris depuis deux ans, les morts, les blessés, les destructions… ont considérablement affaibli « le camp de la paix en Israël », et peu de personnes sont disposées à prendre à nouveau un quelconque risque.

Par ailleurs, la recherche d’une solution est de plus en plus difficile avec le discrédit croissant du leadership palestinien.

Considérez-vous qu’il y ait faillite du leadership palestinien ?

Oui, c’est clair. On est face à une véritable faillite du leadership palestinien.

L’Autorité palestinienne est complètement discréditée par l’absence d’élections, une corruption très développée et un leadership vieillissant qui a loupé la démarche initiée avec les Accords d’Oslo. Deux occasions ont été manquées : une première fois en 2000 avec le refus d’Arafat « des paramètres Clinton », et en 2007, avec celui de Mahmoud Abbas des propositions d’Ehud Olmert, le premier ministre israélien de l’époque, qui était prêt notamment à se retirer de 97 % de la Judée et de la Samarie, à acter la séparation de Jérusalem et à accepter le retour de réfugiés.

Ces deux refus ont signé la mort des accords d’Oslo.

Depuis, le divorce entre Jérusalem et Ramallah n’a cessé de s’accentuer avec les nombreuses manifestations révisionnistes de Mahmoud Abbas, les récompenses financières accordées aux familles de terroristes, les livres scolaires prônant la haine des Juifs et d’Israël…

Depuis 2007 et la victoire du Hamas à Gaza, la légitimité de l’Autorité palestinienne n’a cessé de s’effriter tant à Gaza qu’en Judée et Samarie. Au point que Mahmoud Abbas n’a jamais voulu se représenter devant les urnes.

La réaction israélienne au pogrom du 7 octobre, a entraîné des dégâts humains et matériels énormes à Gaza qui écornent, jour après jour, la légitimité du Hamas, malgré ses rodomontades. De même, en Judée et Samarie, il n’a pas réussi à faire le soulèvement qu’il espérait, ce qui l’a privé de ce levier stratégique susceptible de mettre Israël en danger. Le discrédit du Hamas a été signifié par la récente position de 14 pays musulmans demandant qu’il rende les armes !

Aujourd’hui, les Palestiniens n’ont pas de leadership reconnu, légitime, ni de perspective politique crédible. C’est une réelle hypothèque pour crédibiliser une solution. C’est une réalité qui handicape tout éventuel État palestinien. Ne pas en tenir compte est une faute politique et revient à construire des châteaux de sable !

Que faire alors ? Doit-on se satisfaire de ces violences at accepter une « guerre de 100 ans » sans perspective de paix ?

Non ! Certainement pas ! Bien au contraire !

« Les accords d’Abraham » le démontrent ; il est possible de bâtir la paix sur la base du respect mutuel et de la reconnaissance de l’autre. Se pose alors la question : faut-il continuer à demander une telle création sans aucune perspective de succès ou ne faut-il pas essayer d’explorer d’autres voies pour faire bouger les lignes ? Il faut sortir des sentiers battus, faire preuve d’imagination. À cette fin, revisitons l’histoire depuis 1917 et la déclaration Balfour.

En quoi cette plongée dans l’histoire peut-elle être utile ?

Elle permet de constater qu’il y a déjà un État palestinien qui s’appelle la Jordanie.

Convaincus que l’Empire turc ne survivrait pas à un conflit armé, les Alliés, et principalement les Britanniques et les Français, ont anticipé et préparé le démantèlement de l’Empire turc avec les accords secrets Sykes-Picot du 18 mars 1916 ; ils avaient prévu le partage de la partie proche-orientale de l’Empire entre les deux pays, et d’accorder à Londres la gestion de toute la Palestine, y compris la Jordanie actuelle.

Avec sa déclaration en 1917, Lord Balfour préjuge d’un territoire qu’il ne contrôle pas encore, et anticipe la victoire. Mais, par cette promesse, les Britanniques ont écorné un engagement écrit fait à Hussein ibn Ali, Chérif de la Mecque pour la création d’un État arabe en échange de son aide contre Istanbul. Ce double jeu britannique a compliqué la coexistence des communautés arabe et juive dans la province turque dénommée Palestine, dénomination reprise par les Romains après la chute du 2nd Temple pour éradiquer toute référence juive !.

Après la chute de Bagdad en mars 1917, le 9 décembre 1918 a sonné le glas de quatre siècles de domination musulmane sur Jérusalem. C’est le début du processus conduisant à la proclamation de la République turque, à l’instauration de la laïcité et à la fin du califat qui a constitué un tsunami pour le monde musulman, une véritable « Nukba ». Peu de temps après, en 1924, le mouvement des « frères musulmans » a été créé avec l’objectif de reconquérir les territoires perdus !

Haïm Weizmann ne s’est pas contenté d’engranger l’engagement britannique. Il a cherché à trouver un terrain d’entente avec les Arabes. En juin 1918, il s’est rendu à Aqaba pour rencontrer l’Émir Fayçal Ibn Hussein, un des fils du chérif Hussein Ibn Ali.

Malgré l’opposition de son père, la réaction de l’Émir Fayçal fût positive ; ils se retrouvèrent plusieurs fois et finirent par signer un accord le 3 janvier 1919 à Paris en marge de la conférence de la paix. Le pacte Weizmann-Fayçal constituait un engagement réciproque des Arabes au projet sioniste, d’une part, et des Juifs à la volonté d’indépendance des Arabes, d’autre part. Mais, l’opposition du chérif Hussein Ibn Ali et l’expulsion de Damas de Fayçal par les Français en 1920 rendirent l’accord caduc. C’est la 1ère occasion manquée, et le début de la nouvelle « guerre de cent ans » ! Il faut renouer avec l’esprit de cet accord.

Les dispositions du Traité de Sèvres en 1920 étaient très dures pour les Turcs. Mais, l’arrivée au pouvoir d’Atatürk et des « Jeunes Turcs », le refus turc de ratifier le traité … l’ont rendu inapplicable. S’ensuivirent des discussions pour le réviser. Il a fallu attendre les conclusions de la conférence de San Remo (19-26 avril 1920) qui ont été reprises dans le traité de Lausanne signé le 24 juillet 1923, il a acté la fin de la guerre avec la Turquie et la création du « nœud gordien » proche oriental.

Pouvez-vous nous expliquer l’enchainement qui aboutit à une situation inextricable ?

La reconnaissance international du droit des Juifs à un foyer national avec le traité de Lausanne a été un événement exceptionnel. Il est antérieur et indépendant de la Shoah.

Mais, ce moment fut une marque supplémentaire de la duplicité britannique puisque dans le même temps, Churchill a créé la Transjordanie en la dissociant de la Palestine et en la confiant à l’Émir Abdallah, frère de l’Émir Fayçal et fils du Chérif Hussein.

C’est ainsi que 76 % de la Palestine mandataire ont été attribués à un pays arabe, créant de facto un État palestinien puisque deux-tiers de la population, aujourd’hui de plus de 11 millions d’habitants, sont des arabes palestiniens. Seul « le double jeu » britannique a fait que le pouvoir ait été remis à la tribu hachémite du Cheikh Hussein totalement inféodée à Londres.

Dans l’histoire du Monde, c’est probablement un des actes des Empires les plus arbitraires qui soit car il revient à donner, sans aucune concertation, sans aucune justification, un territoire à une tribu ultra minoritaire !

Rappelons que le plan de partage arrêté par l’ONU en 1947 a été accepté par Israël mais refusé par les pays arabes.

Au départ des Britanniques, les arabes déclenchèrent la guerre, la Légion arabe jordanienne est entrée en Judée et Samarie. À l’issue de la guerre de 1948, le royaume de Transjordanie a occupé et annexé Jérusalem-Est, les collines de Samarie et le désert de Judée qu’il a rebaptisés Cisjordanie en écho au nom de Transjordanie remplacé par celui de Jordanie. Ces dénominations n’ont fait que compliquer la perception de la situation.

Le roi Abdallah a aussi fait main basse sur les lieux saints.

Alors que la résolution n° 181 des Nations Unies avait prévu la création d’un État palestinien, les Jordaniens ne l’ont pas traduite dans les faits.

Cette annexion a été condamnée par la communauté internationale, sauf par la Grande-Bretagne. En revanche, les pays arabes ont admis que la Jordanie assure l’administration du territoire annexé, Parallèlement, l’Égypte a pris le contrôle de Gaza.

S’arcboutant sur leur refus du partage territorial, ni la Ligue arabe, ni aucun État arabe, et encore moins la Jordanie n’a proposé et défendu la création d’un État palestinien.

Il faut reconnaître au Président Habib Bourguiba le courage, dans son fameux discours prononcé à Jéricho en 1965, d’avoir critiqué la Jordanie pour s’être appropriée la Cisjordanie et avoir écarté la création d’un État de Palestine. Pour avoir mis « les pieds dans le plat », la Tunisie a été exclue de la Ligue arabe.

Abdallah 1er a été le seul souverain arabe prêt à accepter le plan de partage entre État arabe et État juif, et pour cause puisqu’au final, il a annexé les terres de l’État arabe qui aurait dû héberger l’État de Palestine. Simultanément, il s’est considéré comme le leader légitime des Palestiniens.

Quelles conclusions en tirez-vous ?

Que la Jordanie s’inscrive dans une fédération jordano-palestinienne, ce qu’elle est déjà de par la composition de sa population.

La faillite du leadership palestinien conduit inéluctablement à se tourner vers le Roi Abdallah II pour trouver une solution à l’aspiration palestinienne.

Le prince héritier Hussein ben Abdallah est-il comme son père hachémite ou palestinien à l’image de sa mère Rania ? La perspective d’avoir un Palestinien sur le trône de Jordanie pourrait régler le sujet du leadership palestinien et le souhait de l’identification dans une structure étatique.

La Jordanie étant un État de Palestiniens, il peut être l’État des Palestiniens !

Rappelons que le drapeaux palestinien et jordanien reprennent les couleurs de la révolte arabe de 1916-1918 ; ils sont identiques à deux bémols prés, la taille du triangle rouge et l’étoile à sept branches du drapeau jordanien qui renvoie notamment aux 7 versets de la 1ère sourate.

Quel avenir pour les Palestiniens des territoires ?

Que cette fédération jordano-palestinienne supervise, en assurant la sécurité, un canton palestinien autonome en Samarie, éventuellement étendue à des territoires israéliens dans le cadre d’un échange de territoires ainsi qu’un canton palestinien autonome en Judée. Leur quête d’identité nationale s’exercera dans le cadre des structures étatiques actuelles réaménagées de la Jordanie surtout si le futur Roi est palestinien. Il lui appartiendra de conquérir leurs cœurs et de pallier la défaillance de l’actuel leadership.

Parallèlement, il est plus que temps que l’Égypte reprenne, comme avant « la guerre des six jours » la supervision de Gaza qui bénéficierait, dans un cadre démilitarisé, d’une autonomie de gestion.

Source: atlantico.fr

https://atlantico.fr/article/decryptage/cette-

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