Le troisième Temple dans la prophétie d’Ézéchiel (3/3)
II. Le Temple à venir
Toutefois, si le plan de ce Temple-là se trouve bien décrit dans la prophétie d’Ezéchiel, il l’est, il faut le relever, à la fin de ce livre, dans les chapitres qui le concluent ( 40 et sq ). Cette disposition n’est pas le fait du hasard. Le plan du Temple vient en conclusion de la prophétie d’Ezéchiel. En somme pour bien comprendre le plan du Temple à venir il faut au préalable comprendre le plan du Livre qui le contient, d’autant qu’à l’examiner de près un tel plan détermine aussi un processus, une géométrie spécifique qui s’inscrive non plus seulement dans un espace mais aussi et surtout dans un temps désormais réorienté.
Le livre d’Ezéchiel s’ouvre par une vision, celle dite du « Chariot céleste » qui marque dans l’exégèse biblique un véritable horizon intellectuel mais qui assigne aussi, si l’on n’y prenait garde, un véritable point de non – retour psychique et mental. D’où les avertissements déjà mentionnés dispensés par le Traité H’agiga dans son célèbre chapitre « Ein dorchin » (L’on n’investiguera pas ).
D’un point de vue structural, si la vision du Chariot est à la fois structurée et structurante, cette vision d’ouverture correspond homothétiquement à la vision du Temple à venir et au site particulier où il doit être fondé, ou refondé, site que nous aurons à découvrir ou à redécouvrir.
Et s’il ne saurait être question d’analyser dans le détail cette vision initiale, il importe d’en saisir, là encore, les éléments les plus déterminants pour notre recherche. Et d’abord, l’endroit et le moment singulier où elle se produit.
Le prophète Ezéchiel est fait témoin d’une pareille ouverture des cieux, du Monde d’en haut, du plus profond de l’exil: betokh hagola. Cela signifie que l’exil n’emporte pas la fermeture des cieux ni celle de l’esprit en mesure d’y pénétrer.
Affirmation essentiellement espérancielle: plus que jamais l’exil est le lieu de l’investigation, de la recherche. L’exil s’assimile à une condition non pas passive mais bien et fortement réactive. Il n’est pas question d’en devenir l’objet inerte ni le jouet. Au contraire.
Cette indication primordiale est renforcée par une autre indication de lieu: Ézéchiel se trouve au bord d’un fleuve, l’Euphrate qui n’est pas nommé ici de ce nom (nehar Perat ) mais de cet autre nom : Cvar, qui veut dire : « déjà ». Le cours du fleuve est image d’un autre cours, celui du temps.
La catastrophe annoncée est imminente, à moins qu’elle ne fût déjà consommée. Plutôt qu’un sentiment de sidération, de paralysie mentale, il faut d’ores et déjà se remettre à l’œuvre. La mort est fascinante, elle qui pétrifie, qui rigidifie. Sans attendre, comme lorsque l’on se prémunit contre la glaciation mortelle de ses membres, il faut se remettre en chemin.
Chemins de la terre, dans le désert des peuples ; chemins du ciel où la Présence divine a fait retrait afin qu’on l’y recherche. C’est pourquoi, la vision du Chariot se dit en hébreu maâssé Mercava. MeRCaVa est construit sur la racine RCV( B) que l’on a discernée dans Cvar, le nom du fleuve prophétique, une racine que l’on retrouve, entre autres, dans les mots BeRaCha, la bénédiction et BiRCaïm, les genoux et d’une manière générale les articulations : celles qui jouent lorsque l’organisme est encore en vie et qu’il manifeste sa vitalité.
La vision du « Chariot » s’éclaire par cette approche : à considérer ces éléments constituants et sa cinétique l’on en retire deux enseignements : d’une part son intime « structuralité » et d’autre part son impressionnante cinétique.
Le Chariot est complexe. Y opèrent et y jouent un grand nombre d’éléments mais lorsqu’il se déplace il ne se désunit et ne se déforme pas. Par ailleurs des créatures y apparaissent dans lesquels les historiens voudront reconnaître des rémanences de la mythologie babylonienne, s’agissant notamment des figures du buffle, du lion et de l’aigle qui sont autant d’emblèmes du Pouvoir et de la souveraineté [10].
La psychanalyse voudra y reconnaître pour sa part des résurgences de la mentalité totémique avec les effigies qui s’y attachent. Pourquoi pas ? Sauf que l’essentiel réside surtout dans la corrélation de ces figures animales, chacune d’un genre différent, à la présence humaine ( Ez, 1, 10). Comme s’il fallait rappeler d’ores et déjà l’injonction qui régissait le Gan Eden en lequel l’Humain avait été institué comme son gardien et l’utilisateur avisé de ce biotope tellurique et maritime, animal et végétal. C’est bien la figure humaine, le visage humain qui humanisent à leur tour les autres effigies, sans aucun amalgame entre elles. Le Temple à venir, homothétique du « Chariot » céleste, devra lui aussi illustrer ces caractéristiques : intégrer les énergies du vivant sous toutes ses formes, mais intimement corrélées à la figure humaine qui leur confère leur véritable orientation. C’est pourquoi il sera nommé aussi Beth Habéh’ira, « La Maison du choix ». Choix de Dieu. Choix de l’Homme.
Dans ces conditions l’on pouvait s’attendre à ce que le plan du Temple à venir fût aussitôt indiqué. Il n’en est rien. Jusqu’à ce que le moment jugé opportun arrive, Ezéchiel doit délivrer d’autres prophéties. Si ce n’est pas notre propos de les examiner l’une après l’autre et chacune selon son contenu spécifique, il importe une fois de plus de souligner leur agencement, leur structure interne.
Il faut d’abord relever que le prophète est bien appelé « Fils de l’homme » : Ben Adam. A notre connaissance aucun autre prophète biblique n’est jamais désigné aussi méthodiquement. L’intention mise dans cette désignation est claire. Elle corrèle la vision du Chariot et le plan de la construction du Temple à une construction corrélative de l’Humain dont les assises sont ébranlées par l’exil d’Israël.
Ce qui atteste une fois de plus de l’universalité de telle prophétie, universalité qui se vérifierait en tant que de besoin par les interlocuteurs du Prophète: le peuple d’Israël, divisé en ces deux royaumes de paille, mais aussi les nations environnantes et les Empires du moment : Tyr, l’Assyrie, l’Egypte avec leurs propres temples et leurs propres cultes dont l’avenir démontrera qu’ils sont impuissants à assurer leur survie. Ensuite le prophète, invité à « manger le livre » ( Ez 3, 1-3 ), en faire de la Parole qu’il contient la substance de son propre être, à l’incarner, est appelé à remettre en vigueur l’Alliance, la Bérith du Sinaï et donc, selon la formule d’André Neher, « à destituer et à restituer ».
Destituer les fauteurs de ruine et d’exil : les rois impotents, les pontifes idolâtres, les juges concussionnaires, les prophètes de mensonge et de prostitution. C’est à cause d’eux que la Présence divine a quitté en dix étapes récessives l’enceinte du Temple et les hauteurs de Jérusalem.
L’éclipse de Dieu suit l’éclipse de l’Humain. Aux fins de réprobation, Ezéchiel ne se contentera pas de messages verbaux : il faut que son corps, que sa gestuelle choquent, frappent, interloquent, provoquent une reprise de conscience. Jamais la Présence divine ne reviendra habiter sa Demeure tant que sévirons ces signes de contradiction, cette confusion torpide entre ce qui confère la vie et ce qui instille la mort ; tant que l’on viendra faire ses besoins au pied de l’Arbre de vie et de l’Arbre du bien et du mal.
Dans un passage à la limite de sa prophétie, Ezéchiel y intègre sans sourciller cette dénonciation de l’excrémentiel qui a si vivement fait réagir Voltaire lequel pourtant ne fera rien d’autre lorsqu’à son tour il dénoncera l’iniquité judiciaire lors de l’affaire Calas.
C’est seulement lorsque cette destitution aura été accomplie, que les faux-semblants, que les illusions, que les mensonges ne tiendront plus lieu de réel, que la pulsion de vie est sollicitée.
Elle l’est dans deux visions qui n’ont pas fini de susciter analyses et commentaires : celle de la guerre dite de Gog et Magog (Ez, 38) suivant celle de la résurrection des morts dans la vallée de l’Ossuaire (Ez, 37).
Qui expliquera jamais jusqu’au dernier mot la guerre de Gog et Magog ? Pourquoi est-elle si longuement décrite dans la prophétie d’Ezéchiel ? Sans doute à cause de la singularité du « phénomène- guerre » lui-même.
Comment des êtres humains formés en peuples, regroupés en Nations, érigés en Empires en arrivent-ils à vouloir conquérir la Création pour eux seuls et dominer tous les autres humains qui ne veulent s’agréger à leurs engeances ?
Et pourquoi, afin d’y arriver, n’hésitent-ils pas à exterminer, à détruire, à dévaster, bref à dé-créer, érigeant avec des monceaux de ruines les gigantesques arcs de Triomphe pour l’Ange de la Mort dont ils propagent le culte en toutes les dimensions de l’espace terrestre et des étendues célestes ?
Pour finir par s’auto-détruire. Car Gog, le surpuissant, l’omnipotent, et Dieu à ses propres yeux, finit bel et bien par engendrer Magog que l’on dirait son double si précisément, conforme à son géniteur, il n’en démultipliait les échelles de force et de destructivité.
Au-delà de ses péripéties, si l’on ose ainsi les nommer, la finalité de la guerre que font et se font Gog et Magog n’est-elle pas justement de disqualifier la guerre comme catégorie de l’être, catégorie aberrante puisqu’elle mobilise toutes les ressources de celui-ci pour les retourner contre lui, pour engendrer le « désêtre » ?
C’est également ce désert là que le fils de l’Homme devra traverser : après le désert géographique et le désert des peuples, rien de moins que le désert ultime, la désolation de l’être même, désertifié.
Surgit cette dirimante objection : après tant de violences, tant de meurtres, tant d’ethnocides et de génocides, après une si totale disqualification de l’Humain, quel peut être le sens d’un troisième Temple ?
Quelle construction, aussi inspirée qu’on le veuille, pourra-t-elle faire sécher tant de sang, consoler tant d’affligés, rétablir la vie en ses assises et dans ses droits ? Aussi hauts que soient les murs d’enceinte de l’édifice sanctifié, de ce point de vue l’on n’y découvrira jamais que l’étendue à l’infini des champs de bataille, les profondeurs des fosses communes, les innombrables ossuaires.
C’est afin que cette objection-là, fondée comme aucune ne le fût, ne ruine à son tour tout élan d’espérance, tout germe d’avenir, qu’advint précisément au prophète Ezéchiel la vision de la résurrection des morts.
On pourra s’arrêter indéfiniment sur le caractère purement hallucinogène de cette vision en mettant en cause le déni de la mortalité humaine qu’elle semble exprimer à un si fatal degré. Une autre interprétation est possible qui n’y verrait pas tant le déni de la mort que l’affirmation ultime de la vie.
Ces ossements sont tassés là parce que des corps qui furent en vie s’y sont desséchés après qu’on leur eût retiré violemment cette vie, qu’on les en eût dépouillés, à leur corps et à leur âme défendant.
Ce que le retrait de la vie a provoqué, le retour de la vie peut le guérir. Jusqu’à présent l’homme n’a su que prendre violemment la vie de son prochain sans être capable de la lui rendre.
La vision d’Ezéchiel dans la vallée des ossements lui révèle cette aptitude résurrectrice et sa force spirituelle sans limites pour peu qu’il sache ouvrir en soi le chenal de l’esprit. De même qu’au commencement de sa prophétie l’Esprit divin avait enjoint à l’esprit abattu d’Ezéchiel, à son corps replié sur lui-même : « Debout, tiens-toi ferme » et que le prophète vivant – mort s’était redressé et avait recouvré l’usage de la pleine parole, le voici à son tour, ainsi invigoré, qui recommence l’opération mais cette fois à destination du genre humain, dans cette vallée des ossements où se colligent tous les cimetières du monde, où s’ajointent tous les champs de bataille où gisent des morts et des morts, à perte de vue, à perte de voix, à perte de temps.
Si l’esprit souffle à nouveau, eux aussi se redresseront car la mort est avant tout privation de la vie, comme l’obscurité est absence de lumière. Pareille résurrection se caractérisera par sa double échelle : universelle, on vient de le voir, mais spécifique aussi.
Elle concerne à ce titre le peuple d’Israël vivant à son tour sa résurrection singulière. Telle est probablement l’une des différences déterminantes entre le second et le troisième Temple.
Le second Temple dont le relèvement avait été entrepris au temps d’Ezra et de Néhémie l’avait été alors qu’une partie du peuple juif était demeurée à Babel, qu’elle y avait naturalisé l’exil, la golah en lui donnant parfois les couleurs de la délivrance, de la guéoula.
Dans la vision d’Ezéchiel, l’aboutissement de cette reviviscence des corps morts se trouve dans la réunion des deux parties clivées du peuple, dans la guérison des causes du schisme qui en avait provoqué la bipartition ( Ez, 37, 15).
Et si les tables du Sinaï ont été transcrites sur des supports de pierre, l’Alliance de la ré-union sera transcrite sur cette plaque de bois vif qui lui infusera sa sève et sa vitalité, bois issu de l’Arbre de vie, du Êts h’aym, moyeu du Jardin d’Eden.
C’est dans cet espace-temps-là : édénique, dans ce terrain de l’Humain à nouveau viabilisé,, qu’Ezéchiel, le Prophète des limites à l’infini reculées, est maintenant incité à inscrire le plan du Temple à venir. Pour lui, le temps est venu de se laisser guider par cette personne, ce ich, une fois de plus, ambassadeur de toutes les personnes humaines, qui le conduira à l’endroit choisi et voulu par Dieu pour une reconstruction cette fois pérenne.
Car ce troisième Temple qui comporte en lui-même la mémoire des deux premiers, sera semblable à ce fil triple dont Salomon affirme que ce n’est pas de sitôt qu’il se rompra. Temple de la synthèse, Temple de l’expérience acquise, de la Présence divine accueillie au sein de la Présence humaine.
Temple qui rétablira l’Humain, reconstitué dans toutes les dimensions de l’espace et de la durée, en son site originel : le Gan Eden où Dieu l’avait originellement établi afin qu’il le travaille et le sauvegarde de sorte à y parachever l’œuvre de la Création, le Maâssé Béréchit.
Et c’est à ce moment-là que l’on discerne la fonction de ce troisième Temple : translater en un ici- bas qui deviendra de ce fait, si l’on peut dire, un « ici haut », la vision du « Chariot », le Maâssé Mercava, mais, de surcroît , réunir enfin les deux Maâssiot, corréler le Maassé Beréchit et le Maâssé Mercava dont le troisième Temple constituera l’interface, le lieu de passage de l’une en l’autre.
D’où l’insistance sur la localisation du Temple à venir , après les particularités concernant sa ré-édification [11]– et sur sa situation singulière dont l’homologie édénique est patente : « Il me fit venir vers l’entrée du Temple; or de l’eau sortait de dessous le seuil de la Maison vers l’Orient, car la façade de la Maison était à l’orient »( Ez,47, 1) .
La phase ultime de la prophétie se déroule à une entrée, en une ouverture et celle-ci se trouve en direction de cet orient qui désigne la naissance de l’aube, la naissance de la naissance si l’on peut ainsi s’exprimer.
Et voici que l’édifice se situe au regard d’un flux d’eau vive, d’une fluence, de cela qui circule et irrigue, en effet, comme au jardin d’Eden. Fluence indissociable de l’Humain, de l’abondance humaine guérie de ses désertions et de ses désertifications. « Il me dit : « As-tu vu, Fils de l’Homme ? » Il m’emmena et me ramena au bord du torrent ». Et la vison édénique se déploie : « … voici que sur le bord du torrent, il y avait des arbres très nombreux, des deux côtés … » [12]. Arbres, arborescence, magnificence du vivant. Et cette eau ne sera point rare, elle s’écoulera jusqu’à la mer et les eaux de la mer en seront adoucies assurant la surabondance du poisson. Métaphores de l’Humain ayant recouvré sa vitalité parce qu’on se sera enfin adonné au choix de la vie. Le principe majeur est proclamé : « Il y aura de la vie partout où pénétrera le torrent ».
L’arborescence initiale s’élargira et se perpétuera, les arbre se faisant fruitiers : « leur feuillage ne se flétrira pas et leurs fruits ne s’épuiseront pas ; ils donneront chaque mois une nouvelle récolte, parce que l’eau du torrent sort du Sanctuaire. Leurs fruits serviront de nourriture et leur feuillage de remède ». Et c’est une fois cette fluence assurée et cette eau sanctifiée, susceptible de nourrir et de guérir, irriguant l’espace -temps de l’Humain rétabli en son être, que s’opérera la délimitation consentie des tribus d’Israël, des douze éléments de l’architecture humaine à venir compatible avec l’architecture du Temps qui vient.
Une dernière question apparaît encore: pourquoi cette patience, pourquoi cette endurance ? Qui habitera le Temple à venir ? De quoi sera-t-il le réceptacle et l’écrin ? Dieu, le Créateur et le Thérapeute, l’a indiqué auparavant : pour rien d’autre que son Nom.
Au-delà de Dieu se trouve le Nom de Dieu, qui permet que tout être puisse l’invoquer sans s’assujettir à aucune représentation obligée de ce qu’il est présumé être, sans en résorber l’infini d’infini.
Le Nom de Dieu proclamé par l’intégralité du genre humain mais aussi dans la plus intime, la plus discrète, la plus confidentielle des prières.
Raphaël Draï zal, 3 juillet 2009 Source: raphaeldrai.wordpress.com
[10] Parrot, Assur, Gallimard,
[11] Le livre d’Ezechiel ne reprend ni la description exhaustive du Michkane, ni celle du premier Temple qu’il considère comme acquises. Il insiste plus particulièrement sur ceux de leurs éléments qui doivent être renforcés, sur leur symbolique désormais prévalente.
[12]
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