Les zones d’ombre de l’impressionnant patrimoine du candidat Villepin
Immobilier de luxe, revenus d’avocat exceptionnels, liens avec des puissances étrangères… Si l’ancien Premier ministre devait se présenter à l’élection présidentielle en 2027, son patrimoine serait passé au crible.
Tenus en réserve à toutes fins utiles, parfois depuis des années, les dossiers potentiellement embarrassants remontent souvent à la surface au moment où une personnalité affichant une bonne cote de popularité se déclare candidate à la présidence de la République. Erreurs de parcours politique, vie privée, patrimoine, éventuels écarts de conduite, tout y passe.
Parfois, le coup fait long feu. Les révélations sur la jeunesse trotskiste de Lionel Jospin en 2002 n’avaient guère ému l’opinion. L’emploi de Penelope Fillon comme attachée parlementaire fantôme, en revanche, a ruiné la campagne présidentielle de son mari. Et cela, alors que la pratique n’était pas rare chez les parlementaires, à l’époque. Les réactions de l’opinion sont difficiles à anticiper.
Dominique de Villepin a déjà été candidat à la fonction suprême en 2012 (après quelques velléités en 2007). Il avait été définitivement relaxé un an plus tôt dans un sous-volet de la célèbre affaire Clearstream, où il avait été mis en examen en 2006 pour complicité de dénonciation calomnieuse.
Rien de consistant n’était alors sorti contre lui, mais prudence. D’une part, il plafonnait alors à quelques points dans les sondages. D’autre part, près de quinze ans ont passé, pendant lesquels il s’est constitué une fortune et un réseau, qui pourraient tout aussi bien soutenir ses ambitions que les torpiller. À quoi doit-il s’attendre ? Y aura-t-il séisme et si oui, de quelle magnitude ? L’avenir le dira, mais voici déjà la carte de ses zones à risques personnelles.
Comment Dominique de Villepin a-t-il accumulé un tel patrimoine ?
Si Dominique de Villepin se lançait dans la course à la présidentielle, confie un de ses proches, il ne pourrait pas sortir de sa poche les 30 millions nécessaires pour financer deux tours de campagne. Mais 20 millions, oui… Entre décembre 2020 et début mars 2021, en quatre mois seulement, il dépense 6,9 millions d’euros en deux achats immobiliers : d’abord 700 000 euros pour un manoir dans le Loiret, qui appartenait au peintre Zao Wou-ki, puis 6,19 millions pour acheter un duplex de 380 mètres carrés situé au 40 de l’avenue Foch, appartenant à Jacques Dessange.

Art. Avec Zao Wou-ki, dont il possède des toiles, en 2009.
Même ses amis s’interrogent : « Comment est-il devenu si riche ? » Car Dominique de Villepin, s’il vient d’une famille très aisée, n’est pas un héritier. Son père, Xavier, fut cadre supérieur puis sénateur. « Où en serions-nous tous s’il fallait rechercher l’origine des fortunes ! » Dominique de Villepin connaît sans doute cette phrase lancée par un avocat dans L’Auberge rouge, d’Honoré de Balzac. C’est précisément en tant qu’avocat qu’il s’est constitué un patrimoine.
À sa retraite politique, en 2008, il s’inscrit au barreau de Paris et enregistre une société appelée Villepin International (avec 900 euros de capital social). Henri Proglio, qui dirige alors Veolia, l’engage aussitôt pour des missions de conseil auprès de ses filiales étrangères. Suivent Alstom, Total… Les affaires démarrent au quart de tour, au point que, dès 2009, Dominique de Villepin a les moyens d’acheter l’hôtel particulier de Sarah Bernhardt, au 35 rue Fortuny (17e), pour un prix estimé à 3,5 millions d’euros.
Lors de ses deux premières années d’exercice en tant qu’avocat, il déclare 4,65 millions d’euros et 2,6 millions de résultats nets. Puis il cesse de publier ses comptes. Selon une enquête des Échos, les nombreux ministres reconvertis à cette époque en avocats à la faveur d’une nouvelle réglementation pouvaient prétendre à 200 000 euros ou 250 000 euros de revenus avant impôt… Dominique de Villepin explose donc la moyenne. En juillet 2015, il demande à être retiré de l’ordre et change la raison sociale de sa société, qui devient une entité de conseil et de stratégie.
Sa déclaration de patrimoine de candidat sera scrutée. Outre l’immobilier, il devra déclarer ses émoluments et une collection de tableaux qui ébahit ses visiteurs (Soulages, de Staël, Zao Wou-ki, etc.). Quinze millions d’euros constituent une estimation basse de sa fortune.

Passion Napoléon. Grand amateur de manuscrits et livres sur l’Empereur, Dominique de Villepin disperse sa collection à Drouot le 19 mars 2008. Pour 1,1 million d’euros.© Patrick BRUCHET/PARISMATCH/SCOOP
Dominique de Villepin a-t-il servi des intérêts étrangers ?
Que vend exactement le conseiller en stratégie Villepin ? Lui qui se dit si attaché à la souveraineté et à l’intérêt national aurait-il valorisé au profit de groupes étrangers un carnet d’adresses étoffé à Matignon et au Quai d’Orsay ? « Il est comme tous ces diplomates qui pensent qu’être dans les affaires, c’est prendre un avion et présenter deux personnes. Il n’a jamais pu faire déboucher un deal, c’est uniquement de la représentation », commentait un businessman qui le connaissait depuis les années 1980 dans Ces Français au service de l’étranger, publié par Clément Fayol chez Plon, en 2020.
Le journaliste d’investigation consacre un chapitre entier à Dominique de Villepin. Ce dernier, après quelques dénégations, a dû admettre qu’il avait assumé des missions à plusieurs millions d’euros pour le groupe saoudien Bugshan Group entre 2008 et 2010. Il apparaît toujours au « comité de conseil mondial » (global advisory council) du fonds d’investissement chinois China Minsheng. En 2013, il fait valoir ses droits à la retraite de diplomate pour devenir président du conseil consultatif international de UCRG, agence de notation chinoise, détenue par Dagong, une institution financière contrôlée par le pouvoir chinois.
Sa proximité avec les dignitaires qataris sera disséquée. Dominique de Villepin jure n’avoir jamais travaillé pour eux, mais il est de notoriété publique qu’il était en excellents termes avec le cheikh Hamad al-Thani (qui a abdiqué en 2013 au profit de son fils) ainsi qu’avec l’épouse de ce dernier, la cheikha Moza. Il est encore plus proche de leur fille, la cheikha Al-Mayassa, très influente dans le milieu de l’art. « Il ne touche pas directement d’argent du Qatar, mais se fait rémunérer par des groupes français pour leur décrocher des contrats auprès de l’émirat », croit savoir l’un de ses concurrents. Rien de répréhensible pour un conseiller en affaires internationales, mais la barre déontologique est forcément plus haute pour un candidat à la présidence. Il ne pourra plus invoquer le secret des affaires et le droit à la vie privée pour esquiver les questions.
Quels mystères cache sa réussite de collectionneur de manuscrits ?
Comme l’ont appris tant de passionnés à leurs dépens, pour amasser une petite fortune comme collectionneur de manuscrits, il faut commencer avec une grande fortune. « C’est un marché étroit et confidentiel, résume un expert. Il y a des effets de mode imprévisibles qui augmentent ou diminuent la valeur d’une collection, et les estimations demandent beaucoup d’expérience. » Selon ce même expert, Napoléon, grande passion de Dominique de Villepin, illustre bien la complexité du marché. « L’Empereur écrivait énormément. Certains documents signés de sa main ont une valeur considérable ; pour d’autres, elle est anecdotique. »
Son copain Alexandre Djouhri
Les dilettantes sont les bienvenus, mais à leurs risques et périls. Dominique de Villepin serait l’exception qui confirme la règle. En deux ventes, à cinq ans d’écart, il empoche 4 millions d’euros. En 2008, d’abord, il vend à Drouot un ensemble de 300 documents relatifs à Napoléon. Estimé à 400 000 euros, le lot rapporte 1,1 million. En 2013, ensuite, il vend une autre partie de sa bibliothèque, et en tire 2,9 millions d’euros. Deux fois l’estimation. Interrogé par France TV en 2008, l’ancien ministre explique alors avoir amassé ces ouvrages depuis l’âge de 14 ans, avec son argent de poche… « Certaines des meilleures pièces qu’il a vendues en 2008 étaient passées à un moment dans les mains de dirigeants africains », explique notre expert. La vente stupéfie le milieu, et même les proches de Villepin. « Les prix sont partis dans des hauteurs vertigineuses. Le moindre bout de livre relié, qui valait 500 euros, s’est arraché à 8 000 euros », raconte l’un de ses proches.

Acquisition. L’ex-Premier ministre possède un duplex de 380 mètres carrés avenue Foch (Paris 16e).
Il existe une autre possibilité, qui sera forcément explorée par les adversaires du candidat Villepin. Les ventes de manuscrits auraient été une forme amicale de financement déguisé. Le mécanisme est très simple. Deux acheteurs anonymes, comme il y en a tant aux enchères, se manifestent par téléphone à Drouot et font monter les prix, sans dire qu’ils sont des amis du vendeur. Le 28 novembre 2013, Dominique de Villepin vend ainsi pour 43 000 euros un album original de Tintin. Le discret acheteur n’était autre que son copain Alexandre Djouhri, petit truand devenu intermédiaire de grands contrats internationaux. En 2013, la brigade financière enquête sur cette vente étrange. « Mais on s’en fout, qu’il le garde », dira Alexandre Djouhri, placé sur écoute, à propos de l’album. « Je paie et il le garde. Je le récupérerai en temps et en heure… »
L’affaire Aristophil, gigantesque escroquerie présumée aux ventes de manuscrits, sera jugée en septembre au tribunal correctionnel de Paris. Dominique de Villepin n’apparaît pas dans le dossier. Selon nos informations, il n’est même pas cité comme témoin, mais son nom pourrait surgir au détour des audiences. Il était en effet partenaire d’achat et de vente régulier de Jean-Claude Vrain, libraire dans le 6e arrondissement, expert pour Aristophil, mis en examen pour escroquerie en bande organisée. Au minimum, ce procès va mettre en lumière un marché très particulier, sur lequel l’ancien ministre a été très actif.
Le Point et JForum.Fr
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