Les Tel-Aviviens qui ont déménagé pour vivre dans les gares et les parkings
Tel-Aviv sous abris
Tel-Aviv sous abris : quand les gares et parkings deviennent des refuges de fortune
À Tel-Aviv, la guerre ne se vit pas seulement à travers les alertes ou les journaux télévisés. Elle s’inscrit désormais dans le quotidien, dans les choix les plus simples : où dormir, où protéger ses enfants, comment garder un semblant de normalité. Alors que les frappes se poursuivent et que les abris manquent dans les logements anciens du centre-ville, de nombreux habitants ont pris la décision inédite de se réfugier, chaque nuit, dans des espaces publics transformés en abris collectifs : stations de tramway désaffectées, parkings souterrains, entrepôts municipaux.
C’est le cas à la station Allenby, l’une des plus centrales du tramway léger de Tel-Aviv. Depuis plusieurs jours, la ligne est fermée, et les quais sont désormais occupés par plus d’une centaine de personnes, chacune installée avec son tapis, son sac de couchage ou quelques affaires de survie. Mikol, immigrée d’Italie depuis trois ans, en fait partie. Elle vit à proximité mais, faute d’abri adapté chez elle, elle a préféré rejoindre d’autres habitants dans la station. “Au début, c’était l’angoisse. J’ai dormi peu. Puis j’ai vu que d’autres s’organisaient, j’ai essayé moi aussi. Et depuis, je reviens chaque nuit”, confie-t-elle.
Autour d’elle, des familles, des enfants, des touristes même – comme ce jeune Philippin venu initialement pour la Gay Pride et qui, pris au piège, partage désormais ses nuits dans une ambiance improvisée faite de solidarité et de fatigue. Les coins près des prises électriques sont les plus convoités : ils permettent de charger téléphones et ordinateurs, voire de continuer à travailler malgré tout.
À quelques centaines de mètres, le parking souterrain du centre Dizengoff a lui aussi été réaménagé par les résidents. C’est là qu’est né un campement communautaire surnommé “Les voisins de Bograshov”. Des tentes, des guirlandes LED, des tapis et même des jeux pour enfants y ont trouvé leur place. Chaque soir, une vingtaine de familles s’y retrouvent. Pnina Telal, une figure militante locale, y veille comme une intendante bienveillante. Elle distribue les couvertures, accueille les nouveaux venus, organise les tours de ménage et même les activités éducatives pour les enfants.
“On est passés d’un abri de fortune à un mini-village”, plaisante-t-elle. “Avec les voisins, on se connaît mieux qu’avant. On s’entraide. On vit ensemble, on dort ensemble, on apprend à vivre autrement.” Et parfois, au détour d’un rire ou d’un verre partagé, on trouve aussi un peu de répit : “Il y a de super célibataires ici, vous savez. Je crois qu’on va lancer un projet de rencontres !”
Les enfants, eux, s’approprient ces nouveaux lieux comme une sorte de colonie de vacances étrange. Delma, originaire des Philippines et mère de deux enfants, a préféré faire le trajet chaque soir avec ses petits jusqu’à la station Allenby. “Ils dorment mieux ici, ils n’entendent pas les sirènes. Moi, je ne dors pas, mais au moins je suis rassurée.” Pour occuper les plus jeunes, des coloriages sont distribués, des tablettes sont sorties, et les plus chanceux jouent entre les tentes sous les néons.
La situation est le reflet d’un paradoxe. Tel-Aviv est l’une des villes les plus modernes du pays, mais son centre est composé de bâtiments anciens, souvent sans abri réglementaire (MAMD). Et même lorsqu’ils existent, les familles nombreuses, les personnes âgées ou en situation de handicap ont du mal à y accéder en pleine nuit et en urgence. Résultat : les refuges publics, longtemps délaissés, retrouvent une utilité vitale.
Certains y voient une renaissance de l’esprit communautaire. C’est le cas de Ronen, bénévole pour le groupe “Frères d’Armes”, qui a pris en charge le parking Dizengoff comme s’il reconstruisait un kibboutz. “On a remonté des villages entiers après les attaques du Sud. Ici, on monte des tentes. On reconstruit aussi du lien social.” Pour Dani, jeune femme venue de New York, c’est une première. “Je suis fière d’être ici, même si c’est dur. Chaque nuit, il y a plus de choses. La première nuit, c’était presque vide. Aujourd’hui, on a de la musique, de la nourriture, des jeux. C’est un autre monde.”
Entre deux alertes, certains trouvent même de la joie à partager un moment suspendu. Une gorgée d’arak, une chanson, un coloriage pour les petits, une discussion sous les tuyaux du plafond. Le chaos est là, omniprésent. Mais l’humanité aussi.
Quand une alarme retentit à 1 h 30 du matin et interrompt une douche improvisée, tout le monde revient en courant, paniqué mais ensemble. Et quand les sirènes se taisent, on replie les matelas, on boit un verre d’eau, on installe les enfants, et on recommence. Parce qu’il faut bien vivre. Parce qu’il faut tenir.
Dans les recoins de Tel-Aviv transformés en refuges temporaires, ce ne sont plus seulement des citoyens qui dorment, mais des communautés entières qui se reforment. Entre peur et solidarité, c’est une autre ville qui émerge, souterraine, mais bien vivante.
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