Isaac ben Zvi et son ouvrage Les tribus dispersées (1959). Éditions de Minuit. I
Ce livre rare, que plus personne ne lit mais que tous les spécialistes consultent pour son caractère documentaire inégalé en matière d’ethnographie hébraïque et juive, mérite largement cette réédition munie d’une introduction historique.
Il dispose déjà d’une solide préface accordée par une personnalité éminente, René Cassin, de l’Académie des Sciences Morales et Politiques. Le livre a paru sous l’égide des éditions de Minuit en 1959, dans la collection Aleph.
Après cette lumineuse préface, nous lisons une longue étude sur le marranisme, signée par un historien connu, notamment de l’histoire de l’antisémitisme, Léon Poliakov.
C’est dans la dernière partie de ce volume, la plus copieuse, que le lecteur prendra connaissance du travail proprement dit de l’auteur, Isaac ben Zvi, qui fut à la fois un homme de savoir et de pouvoir.
Isaac ben Zvi sera le second président de l’état d’Israël car il accepta de s’effacer devant son ami le docteur Haïm Weizmann.
Je ne peux pas, dans le cadre de cette présentation de son activité scientifique, m’étendre sur l’aspect proprement biographique du personnage.
Il suffit de dire qu’il naquit en 1884 en Russie, après une vie bien remplie au service de la cause nationale juive et du jeune état d’Israël durant toute une décennie (1952-1963).
Il quitta ce monde en 1963, ayant consacré ses jours et ses veilles à l’ethnographie du peuple juif.
Certes, les éléments contenus dans ce livre de ben Zvi, notamment les chiffres et les détails sur le peuplement, les vicissitudes du jeune état d’Israël et tant d’autres choses, ne sont plus d’actualité aujourd’hui mais ils nous apprennent à découvrir la méthodologie de l’historien sioniste.
Dans sa préface, René Cassin résume bien l’œuvre du futur président d’Israël. Il s’agit de rendre compte de l’histoire et du sort des survivants des tribus juives transférées ou dispersées en Orient par le roi d’Assyrie, Nabuchodonosor, de Babylonie et par les légions romaines de Titus en 70 de notre ère…, Vaste programme !
Ce long exil qui commençait, nul ne savait qu’il durerait un peu plus de deux millénaires. Quel fut le secret de la survie de ces tribus végétant souvent dans le plus grand dénuement ?
Martyrisées dans un milieu hostile, loin de chez elles, coupées de leurs racines, ces mêmes tribus ont pu s’emparer de planches de salut et retrouver, autant que faire se pouvait, des bribes de leur passé et de leurs origines…
Ne pas oublier la foi en une divinité tutélaire immatérielle, ce qui les empêcha de sombrer dans la vie dissolue des païens et de perdre leur âme à tout jamais.
Cette préface de René Cassin définit aussi parfaitement le périmètre des recherches : recueillir, ramener en Israël tous ceux qui ont perdu trace de leurs origines juives ou hébraïques, se mettre à l’écoute de ceux qui prétendaient à tort ou à raison, faire partie originellement, du peuple juif.
Mais pour accomplir cette mission sacrée, il fallalit au préalable définir le plus précisément possible qui était vraiment juif…
Pour y parvenir il fallait organiser la traque de tout élément ou indice attestant que tel village ou tel autre, telle région ou telle autre avait bien accueilli ou hébergé des tribus dispersées (mais non perdues).
Les observations de ben Zvi sont très ciblées : par exemple, pourquoi telle ou telle tribu bédouine récite une bénédiction avant de consommer un fruit ? Etait-ce une lointaine réminiscence d’une pratique juive dont les fidèles avaient perdu le souvenir ?
Ou encore, pourquoi telle ou telle population de sites orientaux s’interdisaient tout travail le septième jour de la semaine, et ce sans en connaitre la raison…
On pourrait multiplier les exemples. Ben Zvi a aussi tracé une ligne-frontière entre les fais historiques et le folklore, sachant faire la différence entre les faits avérés et la légende…
Il est difficile de revenir sur tout ce qui le mériterait dans cette préface mais il suffit de dire que l’auteur a répondu à la majorité des questions qui se posaient à lui.
Il n’a pas esquivé les interrogations les plus urgentes concernant la grande division séparant les juifs d’Orient de leurs frères d’Occident, un héritage qui a survécu bien après la naissance de l’état d’Israël, se faisant sentir plus ou moins douloureusement. Le sort de ces grands pôles a dominé la réunification des différentes branches du peuple d’Israël.
On ne pouvait pas espérer une homogénéité parfaite après un exil de deux millénaires. Ben Zvi en était très conscient mais cet état de fait allait perturber la vie en commun dans les frontières du futur état.
Les juifs ashkénazes avaient vécu arrimés à la société européenne tandis que leurs frères
séfarades ou judéo-arabes avaient suivi les méandres des sociétés parfois rétrogrades de la Méditerranée. Les sociologues israéliens avaient repris l’expression hébraïques de édot ha-mizrah, ce qui équivalait en allemand à l’expression Ostjuden, juifs de l’Est, ou juifs orientaux, généralement moins bien vus.
C’est d’ailleurs le premier thème qui s’offre à l’œil du lecteur qui feuillette le livre. Cette désignation peu flatteuse a poursuivi les juifs orientaux en Israël qui se sont plaints d’être victimes d’une forme de ségrégation.
Des juifs se plaignant d’être mal traités par d’autres juifs, dans le pays des juifs !
Après cette séminale préface de René Cassin, nous lisons la belle étude de Léon Poliakov, intitulée sobrement : Du marranisme.
A suivre…
Maurice-Ruben Hayoun, né le 21 septembre 1950 à Agadir, est un philosophe (spécialisé dans la philosophie juive), exégète et historien français.
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