Gazaoui « Je déteste encore plus le Hamas qu’Israël »

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Brahim ne voit rien. Le noir complet a avalé sa cellule. Il tâte le sol autour de lui. Ses mains tremblent. Un geôlier vient de lui jeter un bout de pain. « Mange, espèce de chien… » crache-t-il avant de s’éloigner. « Cela a duré 26 jours mais j’ai cru y passer 26 ans », retrace Brahim, ce jeudi 22 mai, dans un appartement d’al-Bireh, en Cisjordanie.

Cet homme de 40 ans, voix fluette et regard triste, mêle la colère au désespoir. En 2008, ce natif de la bande de Gaza a fui l’enclave palestinienne sous la pression du Hamas. Sa famille, elle, est restée. Nisma, Kayan et Adam survivent dans un camp de déplacés de Khan Younès, dans le centre. Son téléphone portable tombe directement sur leur messagerie.

Adam, le plus jeune, a réussi à le joindre en début de semaine. « Papa, on a vraiment besoin de manger… » implore le garçon de 12 ans. Au milieu des tentes, les réfugiés doivent faire la queue six heures pour obtenir un peu de nourriture, autant pour aller aux toilettes. Le cœur de Brahim se brise. « Je déteste encore plus le Hamas qu’Israël », lâche-t-il.

En 2007, le groupe islamiste conquiert le pouvoir par les armes. À ses yeux, Brahim est coupable d’avoir travaillé dans l’ancienne administration, liée à l’Autorité palestinienne et aux rivaux du Fatah. Ce douanier contrôlait les passeports au poste-frontière de Rafah, sa ville natale, tout au Sud.

« Une guerre, c’est soldat contre soldat »

Un matin, cinq hommes encagoulés le capturent à son domicile. Dans un cachot, ils le suspendent au plafond par les chevilles. Des bourreaux le battent, le traitent de mécréant et le somment de crier que Mahmoud Abbas, le président de l’Autorité palestinienne, est un traître. « À la fin, ils m’ont fait signer un papier disant que je quitterai Gaza sans jamais revenir. » Son père l’exfiltre le jour même en Égypte.

Les premières années, sa femme Nisma peut lui rendre visite au Caire. Leurs deux enfants naissent à cette époque. Et puis, le Hamas resserre son emprise. Brahim n’a pas vu Nisma, Kayan et Adam depuis neuf ans. Après un temps d’errance, il a rejoint la Cisjordanie en 2013, où il a repris un travail de policier.

Dix ans plus tard, le 7 octobre 2023, le groupe politico-militaire opère le raid le plus sanglant jamais mené dans l’État hébreu. Brahim ne le cache pas, Israël est son ennemi : « L’occupation a pris nos maisons et nos rêves. » Mais il ne peut s’empêcher d’être triste devant les images d’enfants victimes de rapt ou fauchés en pleine fête religieuse (Simh’at Torah qui clôture la semaine de la fête des cabanes, Souccot).

« Une guerre, c’est soldat contre soldat. Pourquoi prendre en otage une vieillarde de 90 ans ? » Surtout, il pressent que Gaza, « c’est fini ». « Le Hamas n’a jamais pensé au fait que 2 millions de personnes allaient souffrir des conséquences de ses actes. » D’autres contempteurs estiment, au contraire, que les islamistes avaient parié sur la riposte féroce de Tsahal pour apitoyer le monde.

Depuis, le gouvernement de Benyamin Netanyahou pilonne l’enclave, provoquant un désastre humanitaire que la communauté internationale dénonce chaque jour davantage. « Le Hamas a fourni à Netanyahou l’excuse parfaite : longtemps, le monde a répété qu’Israël avait le droit de se défendre », déplore Brahim.

« Le Hamas abat ses opposants »

À l’entendre, le Hamas tirerait depuis les maisons vides à peine un quartier évacué. Tsahal, l’armée israélienne, répliquerait ensuite, touchant parfois des habitants de retour chez eux. « C’est un cercle vicieux… » Jusqu’à peu, les terroristes détournaient une partie de l’aide humanitaire pour s’enrichir au marché noir. Les élites politiques du mouvement, pendant ce temps, vivent dans le confort du Qatar.

Brahim suit la ligne de l’Autorité palestinienne. « On n’a pas le pouvoir de se battre contre un pays aux capacités militaires pareilles. Il faut arrêter de mentir aux gens. » Récemment, un cadre du Hamas a déclaré que les destructions seraient réparées, et que les femmes du peuple palestinien donneraient bientôt de nouveaux enfants. « Nous perdons des médecins, des gens qualifiés, et vous croyez que nous allons les remplacer du jour au lendemain ? »

Brahim se rappelle des vieux slogans du Hamas qui promettaient, avant le coup d’État, du changement face à la corruption de l’ancienne administration. Il n’a vu qu’une nouvelle gangrène, des hommes s’imposant dans les affaires, et l’enfer de la guerre et du blocus. En 2016, comme des milliers de Palestiniens, quatre de ses cousins ont essayé de fuir par la mer cette prison à ciel ouvert. Leur bateau a coulé entre la Grèce et la Turquie.

À Gaza, 2 millions de personnes, veut-il croire, pensent comme lui. Quelques manifestations seulement se font entendre pour l’instant. « Personne ne peut rien dire : le Hamas abat ses opposants », assure-t-il. Sur son téléphone, il a enregistré la vidéo de cet homme, Ziad, qui avait hurlé lors d’une marche : « Protégez-nous du Hamas avant de nous protéger de l’occupant ! » Son corps a été retrouvé quelques jours plus tard, une balle logée dans le crâne.

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