L’accord Google–Character.AI sous la loupe du ministère américain de la Justice
Le géant technologique Google, via sa maison mère Alphabet Inc., est dans le viseur des autorités américaines. Le ministère de la Justice a ouvert une enquête préliminaire sur un accord stratégique conclu en août 2024 entre Google et la start-up Character.AI, spécialisée dans l’intelligence artificielle générative. Cette investigation, révélée par Bloomberg, vise à déterminer si cet accord a contourné les règles traditionnelles de régulation antitrust.
Une alliance stratégique sous tension
Fondée en 2022 par Noam Shazeer, un ingénieur israélien ayant travaillé chez Google, et Daniel De Freitas, un autre ancien de la firme, Character.AI s’est rapidement imposée comme un acteur innovant dans le domaine de l’IA conversationnelle. Sa plateforme permet aux utilisateurs de créer des agents virtuels capables de simuler des échanges avec des célébrités ou de personnaliser des assistants numériques.
Initialement, Google envisageait d’investir dans la jeune pousse sur une base de valorisation de 5 milliards de dollars. Cet accord, finalement abandonné, a laissé place à une transaction alternative : Google a acquis pour 2,7 milliards de dollars une licence non exclusive sur la technologie de Character.AI. En parallèle, les deux fondateurs — Shazeer et De Freitas — ainsi que plusieurs membres de l’équipe de développement, ont rejoint les rangs de Google.
Fusion déguisée ou simple partenariat ?
C’est précisément cette structure hybride qui a éveillé l’attention des autorités fédérales. Le ministère de la Justice cherche à établir si cette opération constitue, de facto, une acquisition déguisée, contournant ainsi les obligations de déclaration et d’examen antitrust imposées en cas de fusion classique.
Plusieurs éléments alimentent les soupçons : la somme engagée par Google, représentant plus de la moitié de la valorisation précédente de Character.AI ; le rachat d’actions des investisseurs à une valorisation revue à la baisse (2,5 milliards) ; et surtout, le transfert des cerveaux à l’origine de la technologie vers Google, tout en maintenant officiellement la start-up indépendante sous une nouvelle direction.
Une pratique en expansion chez les géants du numérique
Ce type de partenariat stratégique devient une pratique de plus en plus répandue parmi les grands noms de la tech désireux de renforcer leur position sur le marché de l’IA générative, sans passer par les lourdeurs d’une acquisition officielle. En 2024, Microsoft a ainsi conclu un accord similaire avec Inflection AI pour 650 millions de dollars, tandis qu’Amazon a intégré une partie de l’équipe d’Adept, autre startup spécialisée, dans ses propres effectifs.
Ces rapprochements ont tous en commun un schéma équivalent : transferts de talents, acquisition de licences, et maintien formel de l’indépendance juridique de la start-up concernée. Des pratiques qui, selon les régulateurs, méritent un examen approfondi.
Un secteur sous haute surveillance
Dans un contexte de concentration accélérée du marché de l’intelligence artificielle, les autorités américaines — et en particulier le ministère de la Justice — surveillent de près les liens entre grands groupes et start-ups innovantes. L’accès privilégié à des ressources rares, comme les puces spécialisées et la puissance de calcul, est au cœur des préoccupations : des partenariats bien rodés pourraient conférer un avantage compétitif démesuré à quelques acteurs dominants.
Google, de son côté, minimise la portée de l’accord. « Nous restons disponibles pour répondre aux questions des régulateurs. Character.AI est toujours une entreprise indépendante, et nous n’avons pris aucune participation dans son capital », a précisé un porte-parole du groupe.
Et maintenant ?
À ce stade, aucune charge formelle n’a été retenue contre Google. L’enquête n’en est qu’à ses débuts. Mais elle reflète la détermination croissante des autorités américaines à encadrer un secteur technologique où l’innovation rapide pourrait, si elle reste non régulée, engendrer de nouveaux déséquilibres de marché.
La suite dépendra des conclusions du ministère de la Justice, qui pourrait, le cas échéant, imposer des restrictions ou ouvrir une procédure pour infraction aux règles de concurrence. Pour l’instant, ni Character.AI ni les autorités américaines n’ont souhaité commenter publiquement cette affaire en cours.
Jforum.fr
Partager :
La source de cet article se trouve sur ce site