Une résilience économique d’Israël qui s’explique. Jacques Bendelac nous livre un édito remarquable.

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Les recettes économiques appliquées en période de conflit militaire et politique ont fait basculer Israël dans une économie de bulles.

Une économie de bulles est une situation où le niveau de prix d’un bien est anormalement élevé par rapport à sa valeur fondamentale ; c’est bien ce qui s’est passé en Israël durant sa soixante-dix-septième année d’indépendance.

Certes, l’économie israélienne a bien résisté au choc des attaques terroristes du 7 octobre 2023 et aux conflits qui ont suivi ; une résilience qui s’explique par :

  • une situation budgétaire saine en 2022,
  • une gestion monétaire habile,
  • un système financier solide,
  • et de fortes réserves en devises.

Bulles spéculatives

Mais comme il fallait s’y attendre, la guerre – exceptionnelle par sa durée, son ampleur et son intensité – a provoqué un ralentissement marqué de la croissance économique, voir un début de récession.

Pour mieux résister aux risques financiers, les agents économiques se sont donc réfugiés dans des bulles qui permettent momentanément de se déconnecter de la réalité. Cette déconnexion est favorisée par un climat de confiance dans l’économie qui amène à surestimer les gains futurs de la revente d’un actif.

Le spectre de la bulle a bien plané sur tous les secteurs de l’économie israélienne au cours des douze derniers mois. Le gonflement du prix des actifs, sans rapport avec les créations réelles de richesse, a caractérisé toute une série de marchés en Israël, comme financier, immobilier, technologique, matières premières, etc…

Face à une évolution économique en dents de scie, beaucoup d’opérateurs se sont réfugiés dans la sphère financière (spéculative) au détriment de l’économie réelle (productive), contribuant au gonflement artificiel des prix et des marges de profit, tout en laissant planer l’incertitude quant à l’avenir.

Au final, les fortes hausses de prix sont restées artificielles. Elles n’ont aucune justification économique réelle, si ce n’est d’enrichir les firmes, investisseurs et spéculateurs, qui tirent profit de la faiblesse du consommateur pour lui faire acheter des articles dont il n’a pas réellement besoin, à des conditions désavantageuses.

L’arrêt de l’activité économique en Israël à partir du 7 octobre 2023 et la récession qui s’est installée en 2024 auraient dû tirer les prix vers le bas ou, tout au moins, s’accompagner d’une hausse modérée. Il n’en a rien été. De nombreux actifs sont devenus des valeurs refuge qui ont vu leur prix s’envoler.

D’une bulle à l’autre

Durant sa 77e année, l’économie d’Israël est donc passée d’une bulle à l’autre, comme notamment :

  • Une bulle boursière :
    À Tel Aviv, l’indice TA 35 a bondi de 28% en 2024 (et encore de 4% au premier trimestre 2025), sans commune mesure avec la valeur réelle des entreprises cotées en bourse. À titre de comparaison, le Dow Jones de Wall Street a gagné seulement 10% en 2024 alors que le CAC 40 (l’indice phare de la Bourse de Paris) s’est tassé de 2%.
  • Une bulle immobilière :
    Les prix de l’immobilier vendu au cours des douze derniers mois ont bondi de 7,5%, un boom qui s’explique notamment par les subventions accordées par les promoteurs à l’achat d’appartements neufs. Il s’agit de prêts dits « crédits ballon » qui ne présentent aucune garantie de remboursement de la part de l’acheteur.
  • Une bulle technologique :
    Le rachat récent par Google (pour 32 milliards de dollars) de la start-up israélienne Wiz, spécialisée dans la cybersécurité, symbolise la bulle dans laquelle la technologie israélienne s’est développée. De nombreux secteurs de l’informatique présentent les caractéristiques de bulle, comme l’intelligence artificielle (IA) qui attire l’argent plus vite qu’elle ne génère de la valeur, d’où un décalage qui se creuse entre des coûts importants et des revenus potentiels inconnus.
  • Une bulle gazière :
    Les découvertes de gaz naturel en mer Méditerranée au début des années 2000 ont suscité un battage médiatique exagéré avant de s’estomper. Début 2025, le ministère de l’Énergie a choisi de ne pas augmenter les réserves de gaz naturel, marquant la fin de l’ère du gaz en Israël vers 2046 et recommandant la construction d’infrastructures d’importation de gaz dans le respect des normes environnementales.

Durant la même période, l’économie réelle d’Israël s’est contractée : le PIB a augmenté de seulement 1% en 2024. En raison de la croissance démographique de 1,3% l’an passé, il s’agit d’une baisse de production par habitant de 0,3%.

Autrement dit, la poursuite de la guerre en 2025 fait peser sur l’économie d’Israël la menace d’une crise financière, avec un creusement de la dette publique, une inflation persistante et un dérapage du déficit budgétaire.

Ballons de baudruche.

L’apogée d’une bulle se termine souvent par son explosion, ce qui fut le cas en Israël sur le marché des devises. Après avoir paradé en tête des devises internationales, le shekel a subi les retombées de la guerre et des tensions politiques : il a perdu de sa hauteur et il s’est carrément dégonflé durant sa 77e année.

Face au dollar américain, le shekel a perdu 0,3% en 2024 après une chute de 8,9% en 2023. Même dégonflage face à l’euro : -0,4% en 2024 et -11,3% en 2023. Début avril 2025, le dollar a dépassé, pour la première fois en huit mois, la barre des 3,8 shekels.

En fait, cette dernière année a connu une dépréciation de la devise israélienne forte et générale face à beaucoup de devises étrangères, comme la livre sterling (-3,0%) et le franc suisse (-2,3%). En revanche, le shekel s’est renforcé face au yen japonais (+7,4%) et au dollar canadien (+1,2%).

Pour se protéger de l’incertitude du shekel, les investisseurs ont misé sur la bourse et certaines valeurs sûres, comme les obligations d’État. Les exportateurs israéliens ont gagné de la baisse du shekel face au dollar (ils reçoivent davantage de contrepartie en shekels), alors que les firmes de high tech perçoivent de l’étranger des ventes en dollars mais paient en Israël des salaires en shekels.

Reconnexion à la réalité économique

Tôt ou tard donc, les bulles économiques se dégonflent. En Israël, leur éclatement a été accéléré par le recours à la dette publique qui a permis de parer au plus pressé, notamment au creusement du déficit budgétaire.

Or l’éclatement des bulles risque de laisser de nombreux Israéliens sur le carreau : la hausse artificielle des actifs immobiliers ou financiers va creuser l’endettement des ménages sans contrepartie réelle.

Après une période de croissance économique négative (par habitant), de hausse du chômage et de fermetures d’entreprises, il faudra attendre le retour à la stabilité économique de l’après-guerre pour entrevoir une relance de la machine productive.

En 2025, la poursuite de la situation de guerre et son influence sur l’activité en Israël repoussent le redémarrage de l’économie réelle. La phase de reconnexion à la réalité économique ne se produira qu’en 2026.

à propos de l’auteur

Jacques Bendelac est économiste et chercheur en sciences sociales à Jérusalem où il est installé depuis 1983. Il possède un doctorat en sciences économiques de l’Université de Paris. Il a enseigné l’économie à l’Institut supérieur de Technologie de Jérusalem de 1994 à 1998, à l’Université Hébraïque de Jérusalem de 2002 à 2005 et au Collège universitaire de Netanya de 2012 à 2020. Il est l’auteur de nombreux ouvrages et articles consacrés à Israël et aux relations israélo-palestiniennes. Il est notamment l’auteur de « Les Arabes d’Israël » (Autrement, 2008), « Israël-Palestine : demain, deux Etats partenaires ? » (Armand Colin, 2012), « Les Israéliens, hypercréatifs ! » (avec Mati Ben-Avraham, Ateliers Henry Dougier, 2015) et « Israël, mode d’emploi » (Editions Plein Jour, 2018). Dernier ouvrage paru : « Les Années Netanyahou, le grand virage d’Israël » (L’Harmattan, 2022). Régulièrement, il commente l’actualité économique au Proche-Orient dans les médias français et israéliens.

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