Les concepteurs du « Burj Khalifa de Jérusalem » en interview :
« Si nous construisons un bâtiment plus bas, l’espace public sera affecté »
À la veille de la décision du comité national d’urbanisme et de construction concernant l’approbation d’une tour de 170 mètres à proximité de Yad Vashem et du mont Herzl, les architectes à l’origine du projet – qui ont également conçu la Burj Khalifa de Dubaï – sont arrivés en Israël. Ils tenteront de répondre aux objections d’environ 200 opposants et de souligner les contributions du projet à la communauté et à l’environnement.
Le projet du complexe Epstein, officiellement nommé « Ain Karem Tower » et souvent surnommé le « Burj Khalifa de Jérusalem », est arrivé au terme d’un long processus et a été présenté jeudi dernier devant le comité national d’urbanisme. Il s’agit d’un projet promu par la municipalité de Jérusalem qui, dans sa version actuelle – ayant subi de nombreuses modifications – comprend une tour de 170 mètres avec 40 étages et environ 240 unités résidentielles.
En 2018, la planification du projet a débuté sous la direction du cabinet d’architecture international Adrian Smith + Gordon Gill Architecture (AS+GG), en collaboration avec le Studio Yigal Levy (SYL), un cabinet d’architectes local chargé de l’exécution. La municipalité de Jérusalem a souhaité promouvoir ce complexe à l’intersection des rues Ain Karem et Kiryat Yovel, en raison de son emplacement stratégique adjacent à la ligne rouge du tramway léger. L’accessibilité de la zone a conduit à privilégier une densification urbaine, conformément à la politique municipale visant à accroître la population le long des lignes de transport en commun.
« Ce fut un processus long et très fructueux en termes de collaboration entre le client et le comité municipal de Jérusalem », expliquent Gordon Gill, architecte principal et cofondateur du cabinet, et Luis Palacio, directeur du bureau. Tous deux sont impliqués dans la conception du projet depuis leur bureau basé à Chicago et Pékin, fondé en 2006 par Adrian Smith, Gordon Gill et Robert Forest.
Le cabinet est particulièrement connu pour la conception de gratte-ciel emblématiques, notamment le Burj Khalifa de Dubaï – le plus haut du monde avec 830 mètres de hauteur –, la Central Park Tower à New York (également appelée tour Nordstrom) et la Jeddah Tower en Arabie saoudite, actuellement en construction et destinée à devenir le plus haut bâtiment du monde, atteignant un kilomètre de hauteur.
Le projet soumis au « tribunal suprême » de l’urbanisme
Le projet du Burj Khalifa de Jérusalem a été vivement critiqué pour son impact sur le tissu urbain et historique de la ville, notamment en raison de sa proximité avec Yad Vashem, le mont Herzl et la vallée d’Ain Karem. L’un des principaux opposants est Yossi Havilio, adjoint au maire de Jérusalem, qui, avec environ 200 autres opposants, a demandé une discussion devant le comité national d’urbanisme et de construction.
Dans la hiérarchie des comités d’urbanisme, le comité national peut être comparé à une Cour suprême : avant d’y parvenir, le projet a déjà été discuté au niveau local et régional, chaque décision ayant fait l’objet d’un recours. La décision du comité national scellera non seulement l’avenir de ce projet mais aussi celui du skyline de Jérusalem.
Dans son opposition, Yossi Havilio écrit :
« Ce projet va à l’encontre de l’intérêt public et des valeurs du judaïsme, du sionisme, du patrimoine, de la culture, de la société et du paysage de Jérusalem. Cette ville a une histoire unique, et nous avons le devoir de la préserver. »
Dans une lettre d’opposition déposée par l’Association des Architectes, il est souligné que :
« Toute ville, et en particulier Jérusalem, doit avoir une vision d’urbanisme claire, qui se traduit par un plan directeur. Aujourd’hui, Jérusalem ne dispose pas d’un plan directeur actualisé et multidisciplinaire, basé sur une hiérarchie spatiale et une méthodologie rigoureuse pour évaluer les impacts urbains de ses décisions. »
Un projet controversé
Depuis l’Antiquité, la course vers les hauteurs a été un symbole de pouvoir et de développement technologique. À l’origine, elle servait à glorifier Dieu ou la royauté, puis, à partir des années 1960-1970, elle est devenue un défi architectural et technologique. Aujourd’hui, un gratte-ciel est défini comme tout bâtiment dépassant 150 mètres de hauteur.
Jérusalem cherche désormais à rejoindre cette compétition. En parallèle du projet de la Ain Karem Tower, la municipalité prévoit la construction de 500 gratte-ciel supplémentaires dans la décennie à venir, dans le but d’augmenter le nombre de logements disponibles pour une population en pleine expansion.
« Ce projet marque un tournant dans l’évolution de Jérusalem », explique Gordon Gill. « Les villes évoluent en permanence. La question est de savoir si Jérusalem va croître en hauteur pour préserver ses espaces ouverts, ou si elle va s’étendre horizontalement en les sacrifiant. »
Il souligne également que les grandes villes comme Paris et Londres ont réussi à maintenir une forte densité sans construire de gratte-ciel, mais que même ces métropoles commencent à s’élever en hauteur.
Intégrer la tour dans le tissu urbain existant
Selon les architectes, le projet a été conçu pour minimiser son impact visuel et maximiser son intégration avec la ville.
« Si nous avions conçu un bâtiment plus bas et plus étalé, il aurait occupé tout le site, ne laissant aucun espace public », explique Luis Palacio.
La version finale comprend donc une place publique, cinq étages commerciaux et publics en gradins suivant la topographie locale, ainsi qu’une tour de 40 étages.
« La place publique est un élément clé du projet », précise Palacio. « Elle offre une connexion directe entre Ain Karem et Kiryat Yovel, avec des escaliers et des ascenseurs panoramiques permettant un passage fluide entre les niveaux. »
En ce qui concerne les matériaux, la façade nord-est du bâtiment, tournée vers la ville, sera recouverte de pierre de Jérusalem, tandis que la façade sud-ouest, tournée vers la vallée, sera en verre, afin de préserver les vues panoramiques et de répondre aux conditions climatiques locales.
Jérusalem s’élève
La municipalité de Jérusalem a déjà adopté une politique de construction en hauteur, notamment avec le développement des transports en commun et des infrastructures urbaines.
« Nous devons maintenir un équilibre entre densité urbaine, infrastructures et espaces publics », conclut Gordon Gill.
Les gratte-ciel permettent une mixité des usages tout en optimisant l’espace urbain, mais ils posent également des défis en termes de coût du logement, infrastructures routières et accès aux services.
L’un des principaux arguments contre le projet reste son emplacement sensible, à proximité des sites nationaux sacrés. Pourtant, selon les architectes, loin de nuire à ces lieux, la tour les mettra en valeur en attirant l’attention sur eux.
La décision finale du comité national d’urbanisme déterminera non seulement l’avenir de la Ain Karem Tower, mais aussi celui de l’évolution architecturale de Jérusalem.
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