Dans le monde entier, d’anciens et d’actuels soldats israéliens – simples soldats ou généraux de haut-rang – sont actuellement traqués par une organisation, qui, dans l’ombre, affirme pouvoir compter sur des milliers de volontaires, répartis dans le monde entier, qui sont déterminés à demander à ce que justice soit faite pour les habitants de la bande de Gaza.
Lancée au mois de septembre, la fondation Hind Rajab (HRF) utilise les messages publiés sur les réseaux sociaux par des soldats, par des officiers et par des réservistes israéliens pour tenter de les faire arrêter pour crimes de guerre présumés lors de leurs séjours à l’étranger.
Si le groupe a échoué à obtenir gain de cause devant les tribunaux, il est néanmoins parvenu à se faire largement connaître des médias. Il aurait amené un ministre à reconsidérer un voyage à l’étranger et il aurait même incité l’armée israélienne à mettre en place de nouvelles règles qui visent à mieux protéger la vie privée des soldats et à éviter qu’ils ne soient victimes de doxxing – une pratique consistant à révéler en ligne les informations personnelles d’une personne pour mieux l’exposer aux yeux du grand public.
« Jamais nous n’avions jamais été les témoins [d’une initiative concertée] de cette ampleur, de cette portée – et c’est un phénomène à mettre en lien avec l’envergure sans précédent de la guerre, avec le nombre de soldats qui se trouvaient sur le terrain, au Liban et à Gaza, à l’ère des réseaux sociaux, à l’ère du buzz, à une époque où tout est interconnecté », confie une source militaire. « C’est un défi nouveau mais nous le relevons avec tout le sérieux qui s’impose ».
La Fondation a été créée par Dyab Abou Jahjah et par Karim Hassoun – ils sont respectivement un ancien membre et un ancien partisan du Hezbollah et ils affirment rechercher que justice soit faite pour les Palestiniens.
Les deux hommes, qui vivent à Bruxelles, affirment avoir mobilisé des milliers de volontaires dans le monde entier qui parcourent les publications des soldats de Tsahal sur les réseaux sociaux, recueillent des témoignages oculaires, passent au crible les articles des journalistes et les rapports des Nations Unies pour être en mesure d’étayer leurs accusations de crimes de guerre et autres.
« Nous transformons les publications sur les réseaux sociaux en dossiers judiciaires », a récemment expliqué Abou Jahjah lors de l’émission d’information Democracy Now TV.
L’organisation porte le nom d’une petite Palestinienne âgée de six ans, Hind Rajab, qui, semble-t-il, avait été tuée par les soldats israéliens dans le quartier de Tel al-Hawa, à Gaza, le 29 janvier 2024.
Les troupes israéliennes ont combattu à Gaza pendant plus de quinze mois suite au pogrom commis sur le sol israélien, le 7 octobre 2023 – des milliers de terroristes placés sous la direction du Hamas avaient pris d’assaut le sud du pays, massacrant plus de 1200 personnes et kidnappant 251 personnes, qui avaient été prises en otage dans la bande. Le conflit a dévasté l’enclave côtière et profondément secoué l’État juif. Les combats ont cessé depuis la mi-janvier, mais il n’est pas certain que l’accord de cessez-le-feu finalisé entre les deux parties puisse se prolonger au delà de sa première phase.
Les autorités sanitaires à Gaza, placées sous la direction du Hamas, affirment que plus de 48 000 habitants de la bande ont été tués dans les combats – un chiffre invérifiable et qui ne fait aucune distinction entre civils et terroristes.
Israël affirme que les troupes agissent dans le respect du droit international et que l’armée fait de son mieux pour épargner les civils dans sa lutte contre une guérilla terroriste qui se fond dans la population. Les accusations faisant état d’actes pénalement répréhensibles font l’objet d’enquêtes internes – même si les critiques déplorent le faible nombre de poursuites ou de sanctions à l’encontre des soldats mis en cause.
La HRF utilise les réseaux sociaux avec deux objectifs : en premier lieu, trouver des preuves de crimes présumés dans les contenus publiés par les soldats depuis Gaza ou depuis le Sud-Liban, et dans un deuxième temps, traquer les déplacements à l’étranger des troupes, ce qui permet au groupe de porter plainte auprès des juridictions compétentes.
Le ministère israélien des Affaires étrangères a fait savoir, au mois de janvier, qu’il avait connaissance de 28 plaintes déposées dans huit pays différents à l’encontre d’Israéliens en lien avec la guerre. La HRF serait à l’origine de bon nombre d’entre elles.
Par ailleurs, l’organisation a également porté plainte contre un millier de soldats, d’officiers et de commandants auprès de la Cour pénale internationale de La Haye, avait signalé Abou Jahjah au mois d’octobre.
Parmi les accusations lancées contre les militaires, l’usage de tactiques de guerre inhumaines, des crimes de guerre, des crimes contre l’humanité et des actes de génocide à l’encontre des Palestiniens de la bande de Gaza.
Au mois de janvier, l’organisation avait annoncé avec fierté qu’une plainte déposée contre le ministre des Affaires de la diaspora, Amichai Chikli – qui mettait en cause le politicien pour « des menaces terroristes », avait-elle précisé – l’avait contraint à annuler une visite prévue au Parlement européen, à Bruxelles.
Les autorités belges avaient noté déclaré que le déplacement de Chikli n’entrait pas dans le cadre d’une visite d’État et qu’il ne profiterait donc pas d’une immunité diplomatique, dans l’hypothèse où des groupes réclameraient un mandat d’arrêt à son encontre.
La HRF a également récemment appelé l’Italie à arrêter le général de division Ghassan Alian, qui dirige le Bureau du des activités gouvernementales dans les territoires (COGAT), l’unité du ministère de la Défense qui supervise, entre autres, les envois d’aide humanitaire à Gaza.
La HRF avait accusé Alian, qui se trouvait en Italie dans le cadre d’une visite officielle, de génocide, de crimes contre l’Humanité et de crimes de guerre. La haut-responsable israélien avait toutefois maintenu son programme initial.
Les officiels israéliens, pour leur part, estiment que les affirmations faites par l’organisation en ce qui concerne les poursuites judiciaires intentées contre des soldats sont souvent exagérées.
Tsahal suit avec beaucoup d’attention les activités de HRF et d’autres groupes similaires mais les militaires ne les considèrent pas pour autant comme une menace majeure, a-t-il été confié au Times of Israel. L’armée a fait savoir qu’elle pensait que la majorité des plaintes déposées contre des soldats au niveau individuel avaient tourné court s’étaient en raison d’un manque de preuves suffisantes, étayées.
Néanmoins, des mesures ont été prises dans le but réduire les risques de poursuites judiciaires intentées contre les soldats et contre les réservistes qui se rendent à l’étranger.
Il n’y a pas de directive explicite sommant les soldats de ne pas partir à l’étranger en raison de la menace que ferait peser la Fondation Hind Rajab. Mais l’armée israélienne a récemment annoncé qu’elle n’autoriserait plus les soldats à être identifiés par leur nom dans les médias et, de son côté, le ministère des Affaires étrangères a diffusé une mise en garde affirmant que les messages postés sur les réseaux sociaux par les militaires pouvaient être utilisés dans le cadre d’une action en justice lancée dans un autre pays.
« La Fondation Hind Rajab est très douée pour faire les gros titres », estime Michael Freilich, un député belge élu sous l’étiquette du parti nationaliste et conservateur Nouvelle Alliance Flamande. « Ces gens tentent de se faire passer pour plus importants que ce qu’ils sont réellement. Ils sont chouchoutés par la presse, principalement en raison de leur rhétorique extrémiste ».
Anti-assimilation, pro-Nasrallah
Abou Jahjah et Hassoun militent ensemble depuis l’an 2000 au moins – l’année où ils avaient fondé la Ligue arabe européenne, une organisation politique dont le siège est en Belgique et qui s’oppose à l’intégration sociétale des immigrés musulmans – une intégration qui, selon des propos tenus par Abou Jahjah, s’apparenterait à un « viol culturel ».
Le groupe, qui a également une branche aux Pays-Bas, a été accusé d’attiser l’antisémitisme et de soutien au terrorisme.
En 2001, Abou Jahjah avait rencontré Hassan Nasrallah, le chef du groupe terroriste chiite libanais du Hezbollah, un mandataire de l’Iran, qui a juré de détruire Israël.
« Nous n’avions parlé qu’une heure mais son aura, son sourire, sa brillance et sa gentillesse restent inoubliables. J’ai la chance d’avoir vécu lorsqu’il était là et d’avoir été témoin de son leadership », s’est souvenu Abou Jahjah sur X après la mort de Nasrallah qui a été tué lors d’une frappe aérienne israélienne au mois de septembre dernier.
Abou Jahjah a également emmené des responsables du Hezbollah en visite en Europe, où ils ont rencontré des députés de la Ligue arabe européenne en 2009.
Dans une interview accordée au New York Times en 2003, Abou Jahjah vait revendiqué son appartenance au Hezbollah et il avait déclaré qu’il « tirait toujours une grande fierté » de l’entraînement militaire dont il avait bénéficié au sein du groupe terroriste.
Hassoun s’est également distingué par le soutien qu’il apporte au Hezbollah et au Hamas – même s’il reste plus discret qu’Abou Jahjah.
Quelques jours seulement après le pogrom du 7 octobre, Hassoun avait écrit sur son compte X : « Je condamne le Hamas pour ne pas avoir pris 500 ou 1 000 otages au lieu de seulement 200 ».
Selon Freilich, qui est le premier député juif orthodoxe de Belgique, Abou Jahjah et Hassoun sont des personnalités qui restent marginales dans le plat pays, même s’ils bénéficient du soutien de certains mouvements pro-palestiniens, ainsi que du soutien de certaines organisations israéliennes d’extrême-gauche.
« La majorité de la population, y compris au sein de la population musulmane, ne les soutient pas », dit-il, notant que les deux hommes ont tenté de faire leur entrée dans la politique locale, en vain.
« Abou Jahjah a tenté à plusieurs reprises de se faire élire, mais sans succès. Il a également été licencié de De Standaard, où il était chroniqueur, après avoir fait l’éloge d’un attentat à la voiture piégée à Jérusalem qui avait entraîné la mort de plusieurs soldats israéliens », explique Freilich.
Dans la ville belge de Willebroek, le parti Iedereen 2830 a été contraint d’écarter Hassoun le mois dernier, après que le maire a déclaré qu’il ne formerait pas de coalition avec des extrémistes.
Le mois dernier, Haroon Raza, un avocat de la HRF, a été exclu d’un panel lors de la conférence du Réseau palestinien européen à Copenhague. La HRF a déclaré dans un communiqué sur X que sa participation avait été annulée à la suite de la diffusion « dans la presse israélienne, d’informations nous liant faussement à des mouvements de résistance au Liban et en Palestine », ainsi que du refus d’autres invités de siéger à la même table ronde que Raza.
La HRF et ses fondateurs ont néanmoins su tirer parti de la vague de sentiment anti-israélien qui domine en Europe depuis les massacres du 7 octobre.
« La guerre a renforcé l’opposition publique au traitement des Palestiniens par Israël et a même transformé de nombreux soutiens de l’État hébreu en critiques », a déclaré Khaled Diab, journaliste et auteur belgo-égyptien, au Times of Israel. Il décrit le conflit à Gaza comme « la guerre la plus impopulaire à laquelle Israël ait jamais pris part. »
Selon Diab, même en l’absence de victoires judiciaires, le travail de la HRF peut avoir un effet dissuasif sur les troupes israéliennes, qui « savent qu’elles peuvent potentiellement être poursuivies ».
Robert Neufeld, chercheur postdoctoral au Centre Minerva pour l’État de droit dans des conditions extrêmes à l’université de Haïfa, a confié au Times of Israel qu’aucune affaire portée par la HRF ne prouve de manière concluante l’existence de crimes de guerre ou de crimes contre l’humanité. Toutefois, selon lui, « ce groupe représente une menace réelle et devrait être traité comme tel. Il ne faut pas les prendre à la légère ».
Neufeld, qui a occupé plusieurs postes au sein du corps de l’avocat général des armées et du bureau de l’ombudsman militaire, souligne que la victoire sur le champ de bataille à Gaza ne marque pas la fin du combat. Chaque dossier porté par la HRF et rendu public contribue, selon lui, à ternir l’image d’Israël.
« Ils cherchent à aller bien au-delà des personnes qu’ils poursuivent. Leur objectif est d’affaiblir et de nuire à Tsahal dans son ensemble, et d’empêcher les gens de s’engager comme combattants. Ils veulent présenter Israël comme un État criminel et l’armée israélienne comme une organisation criminelle », a déclaré Neufeld.
« Nous devons comprendre que les guerres ne se déroulent pas uniquement sur le champ de bataille, mais aussi sur les réseaux sociaux et dans les tribunaux, et que cela affecte également les communautés juives à l’étranger », a-t-il ajouté.
Anne Herzberg, conseillère juridique auprès de NGO Monitor, une organisation israélienne qui suit la HRF depuis son apparition en septembre, estime que l’objectif principal du groupe n’est pas tant de poursuivre des soldats en justice que de « dissuader et harceler les Israéliens et les Juifs à travers le monde. C’est là leur véritable objectif. »
« Ils cherchent à déstabiliser la coopération sécuritaire entre l’Occident et Israël, ainsi qu’à perturber ses relations internationales. Nous ignorons encore beaucoup d’éléments à ce sujet et devons examiner la question de plus près. Chaque pays où ils opèrent doit faire l’objet d’une enquête », a-t-elle déclaré.
Bien que la fondation soit enregistrée auprès des autorités belges, peu d’informations sont disponibles sur le financement de ses activités.
« Nous ne savons pas avec qui ils collaborent ni quel type de soutien professionnel ils reçoivent », a souligné Herzberg.
Herzberg et Freilich ont tous deux appelé les gouvernements à identifier ceux qui pourraient être secrètement impliqués dans ces initiatives. « Ils ne peuvent pas faire cela seuls, cela coûte trop cher », a ajouté Herzberg.
TIMES OF ISRAEL
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