Les Etats-Unis ont un nouveau président, Donald Trump, dont l’investiture se déroule ce lundi 20 janvier. Dans les coulisses de cette revanche électorale, l’influence d’Elon Musk a joué un rôle prépondérant. Avec une propagande axée sur la dénonciation de l’Etat et de son « inefficacité », une célébration d’une certaine liberté d’expression et des libertés individuelles et économiques, Elon Musk a, semble-t-il, épousé la doctrine libertarienne. Une pensée qu’il essaime à présent, en soutenant publiquement des partis d’extrême droite européens comme l’Afd, en Allemagne.
Pour tenter de comprendre cette lame de fond dans les droites radicales à présent au pouvoir en Argentine, aux Etats-Unis, et en passe d’y accéder au Canada, voire en Allemagne et en France, 20 Minutes s’est entretenu avec Sébastien Caré, maître de conférences à l’université de Rennes et spécialiste de la pensée libertarienne.
Dénonciation de l’Etat providence, défense des libertés individuelles et économiques, célébration d’une certaine liberté d’expression… Le courant de pensée libertarien américain s’impose-t-il dans les droites radicales ailleurs dans le monde ?
Je crois que oui. Mais d’abord, il est important de rappeler que l’ancêtre du libertarianisme est la old right américaine, qui dominait le parti républicain à la période du New deal (les années 1930). Une droite à la fois isolationniste, anti-Etat providence, qui défend les libertés économiques et d’une sensibilité conservatrice sur les valeurs et la morale. Donc les premiers libertariens étaient déjà plutôt conservateurs.
Le mouvement libertarien émerge dans les années 1960. Il vient d’une rupture avec les conservateurs, lesquels étaient de moins en moins isolationnistes, de plus en plus impérialistes durant la Guerre froide, et se souciaient de moins en moins de la défense des libertés économiques. C’est à partir de là que les libertariens fondent leur propre parti et think tanks.
Ensuite, au début des années 1990, se met en place une version du libertarianisme qui est le paléo-libertarianisme. Une version compatible avec une vision conservatiste et théorisée notamment par Murray Rothbard. Et c’est cette alliance, préparée dès le début des années 1990, qui s’exprime aujourd’hui de plusieurs manières.
C’est sur cette alliance que s’est bâtie la victoire de Donald Trump à l’élection présidentielle américaine ?
La première victoire de Trump [en 20116] reposait d’abord sur cette alliance conservateur – paléo-libertarien, mais aussi sur une droite américaine suprémaciste, viriliste, raciste, souvent antisémite. Cette alliance – l’alt-right – a permis l’élection de Trump. Mais elle n’a pas tenu. Parce qu’on voit par exemple que quelqu’un comme Richard Spencer, le leader de l’alt-right, se dissocie à présent à la fois des libertariens et de Trump.
Donc l’élection de 2024 repose sur une coalition un peu différente, dont ont été exfiltrés ces groupes suprémacistes – ceux qui ont été particulièrement actifs dans l’assaut du Capitole.
On décrit souvent Elon Musk, très actif dans le dialogue des extrêmes droites, comme un libertarien. Est-ce le cas ?
Elon Musk n’a pas toujours été libertarien, il va d’abord là où ses intérêts sont. Rappelons que ses entreprises ont reçu des subventions, et qu’il a financé un temps le parti démocrate. Et je n’irai pas non plus jusqu’à dire qu’Elon Musk est un représentant du paléo-libertarianisme.
Mais c’est cette alliance conservateurs – paléo-libertariens qu’il est en train de construire, comme lors de sa rencontre et de ses échanges avec la cheffe de l’AfD. Il lui fait dire que Hitler, ce n’était pas bien car c’était un communiste, et que l’AfD ce n’est pas du tout ça, et elle dit « Nous, on est libertariens et conservateurs ».
Voilà un exemple de ce qui se structure et de ce qu’est en train de faire Elon Musk : la droite, l’extrême droite, devrait être à la fois conservatrice et libertarienne. Et faire reculer ce qui est par exemple le programme du RN en France, un peu plus redistributeur au niveau social. Nous n’en sommes qu’au début de cette réorientation de l’extrême droite par Elon Musk autour des principes paléo-libertariens. Elle peut prendre des idées libertariennes, par intérêt, l’un des points de fractures étant l’immigration ou les droits LGBTQI+.
Dans cette nouvelle carte des droites radicales, quelle place occupe Javier Milei, le président argentin ?
Javier Milei est un cas à part, car lui est un pur paléo-libertarien. Il n’y a pas plus fidèle à la pensée et à la stratégie pensée par Rothbard d’un populisme de droite. Milei est un universitaire, et il faut le distinguer de Trump et Bolsonaro.
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Car en Argentine, il y a bien une coalition avec la droite conservatrice, mais celle-ci est réellement tractée par un paléo-libertarien. Milei est un doctrinaire. Il ne tient pas de discours hostile sur l’immigration et ne remet pas en cause les droits des LGBTQI+. A part Milei, il n’y a pas de pur libertarien, ou quelqu’un qui ne soit pas un libertarien d’opportunisme comme le fait la cheffe de file de l’AfD ou Elon Musk, dans une certaine mesure.
Donald Trump pourtant, peut paraître imprégné d’une certaine culture libertarienne…
Il est aussi peu structuré idéologiquement qu’Elon Musk. C’est ça qui est difficile avec les politiciens aux Etats-Unis. Ils assemblent des idées sans réelle structure idéologique. Donald Trump avait été à la convention du parti libertarien et avait été hué.
La plupart des libertariens ne sont pas des paléo-libertariens, même si ces derniers ont pris la tête du parti. Beaucoup le trouvent trop autoritaire. Il a mené un protectionnisme commercial, fait des lois anti-immigration, imposé des droits de douane, une hausse des dépenses publiques sous son premier mandat… Autant de choses auxquelles sont généralement opposés les libertariens.
Lorsque vous avez commencé vos recherches sur le libertarianisme aux Etats-Unis il y a près de vingt ans, vous attendiez-vous à le voir prendre une telle ampleur ?
Jamais. Du moins pas pour sa version paléo-libertarienne, qui a actuellement du succès et qui n’est pas celle des libertariens les plus progressistes.
En France, on devrait commencer à en mesurer les effets. Soit sur la ligne politique du RN, voire son renversement par ce qu’incarne Zemmour et Marion Maréchal.
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