Affaire Boualem Sansal: quand la gauche française s’aligne sur le pouvoir algérien
Par Omar youssef Souleimane
TRIBUNE – L’écrivain et journaliste exilé d’origine syrienne Omar Youssef Souleimane dénonce la manière dont une partie de la gauche française traite l’auteur franco-algérien emprisonné.
Le courage de Boualem Sansal ne se résume pas seulement à ce qu’il dit, mais aussi à ce qu’il fait. En 2012, il s’est rendu en Israël. Il a été le premier écrivain d’origine arabe à visiter l’État hébreu pour participer à un festival littéraire. Les photos de l’auteur du Village de l’Allemand tournaient en boucle sur les réseaux sociaux. Il a été accusé, dans les milieux intellectuels arabes, d’être « un agent du sionisme », de « vouloir plaire aux Occidentaux pour obtenir des prix littéraires », d’être « un Arabe de service ». Rien de surprenant : visiter l’État juif dans la sphère arabo-musulmane est considéré comme une trahison impardonnable.
Ce qui est étonnant, c’est qu’aujourd’hui, en France, les mêmes accusations se répètent, cette fois venant de l’extrême gauche française, contre les Français d’origine arabe. La raison est la même : le soutien à Israël. Pour eux, on doit forcément être du côté « palestinien », selon leur vision de la Palestine. À travers cette mentalité totalitaire, et au nom de la défense de la décolonisation, ils pratiquent en réalité un pur colonialisme.
En avril dernier, à l’Escale du Livre de Bordeaux, j’ai discuté de ce sujet avec Boualem Sansal. Nous devions simplement prendre un verre, mais la soirée a duré quatre heures. L’échange avec lui ressemblait à un voyage dans le temps : nous avons parlé d’histoire, de l’islam, du Proche-Orient et de l’Europe. Sansal n’est pas un simple intellectuel, c’est une véritable galaxie de savoir. Sur le chemin du retour vers l’hôtel, nous nous sommes perdus plusieurs fois, plongés dans une conversation passionnante. En lui, j’ai trouvé une âme à qui je pouvais confier ma souffrance. Un père avec qui je me sentais libre. Il m’a confirmé que l’incompréhension que nous ressentons de la part de la gauche est due soit à leur peur d’affronter l’islam, ou à leur méconnaissance du danger que représentent les islamistes en Europe.
Des intellectuels aux propos nauséabonds
Depuis son arrestation le 16 novembre, peu de médias de gauche française ont soutenu Sansal. Ces derniers mois, il était courant d’entendre des murmures condamnant l’écrivain de 2084 sous prétexte de son adoption d’un « discours radical contre l’islam et pour le sionisme ». Comme par hasard, c’est la même accusation utilisée par l’agence de presse du régime algérien le 22 novembre « Paris serait gangrené par un lobby “antialgérien” et “prosioniste” ».
Devons-nous expliquer à cette gauche le monde dans lequel nous avons grandi ? Que les adultes au Moyen-Orient admirent Hitler uniquement parce qu’il avait persécuté les Juifs ? Pour mon père, il était un grand homme, qui avait protégé l’humanité contre les Juifs.
Le Moyen-Orient ne se résume pas aux jolis souks, monuments historiques et gens généreux, comme une gauche tente de l’enseigner
Certains parents appellent leur fils du nom du chef de l’État nazi, surtout dans le sud du Liban et en Palestine, uniquement pour défier Israël. Au lieu de jouer au football ou de regarder des dessins animés, nous étions obligés de répéter « mort à Israël » tous les matins à l’école. Le Moyen-Orient ne se résume pas aux jolis souks, monuments historiques et gens généreux, comme une gauche tente de l’enseigner à travers ses regards pétris de folklore.
Il suffit pourtant de suivre l’affaire Sansal pour comprendre à quel point la situation est terrible : après l’annulation de son audition le lundi 25 novembre, même son avocat a confirmé avoir reçu des « informations contradictoires. » Accusé de « remettre en cause l’indépendance et l’histoire de l’Algérie », Sansal risque jusqu’à cinq ans de prison, simplement parce qu’il a exprimé son point de vue sur l’histoire du Maghreb. Et des voix françaises abondent dans ce sens ! « L’écrivain blesse le sentiment national algérien », a honteusement déclaré l’historien Benjamin Stora.
Aujourd’hui, Boualem Sansal, rassemblant les exilés, est derrière les barreaux. C’est notre voix qui est emprisonnée
Avant la fin de la rencontre avec Boualem Sansal, je lui avais exprimé la difficulté d’être doublement exilé: premièrement, parce qu’on est engagé contre les régimes dictatoriaux dans notre pays d’origine, et deuxièmement, parce qu’on est souvent mal compris en France. Il m’a répondu sur la nécessité de se mobiliser. Aujourd’hui, Boualem Sansal, rassemblant les exilés, est derrière les barreaux. C’est notre voix qui est emprisonnée. Cette voix, qui appartient à la démocratie, fatiguée d’une mémoire blessée, ne doit pas être écrasée à nouveau, mais bien écoutée. Pas seulement pour la soutenir, mais parce qu’elle nous alerte sur le risque que le danger qui étouffe notre pays natal envahisse aussi notre pays d’adoption.
JForum.fr avec Le Figaro Magazine
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