Samantha Harvey intègre le prestigieux palmarès des Booker Prize. Mardi soir, le prix littéraire a été décerné à cette écrivaine britannique pour son roman Orbital, dont l’histoire se déroule dans une station spatiale. La romancière succède ainsi à l’Irlandais Paul Lynch, en 2023, ou encore au Sri Lankais Shehan Karunatilaka, l’année précédente. Leurs noms ne vous disent rien ? Rien de très surprenant (vous pouvez souffler, ce n’était pas une question piège).
Si l’on se souvient plus aisément des derniers lauréats du Goncourt, du Renaudot ou du Femina – ne serait-ce que pour faire genre à la machine à café devant les collègues –, les détenteurs du Booker Prize passent beaucoup plus inaperçus auprès du grand public hexagonal. Pourtant, ce prix littéraire créé à la fin des années 1960 est l’un des plus importants au monde. Mais pourquoi passe-t-il sous les radars en France ?
Un prix prestigieux qui marque son époque
Doté d’une récompense de 50.000 livres (environ 57.000 euros), le Booker Prize récompense chaque année un roman de fiction écrit en anglais. Après avoir été longtemps réservé aux auteurs britanniques, irlandais, zimbabwéens et des pays du Commonwealth, il s’est ouvert en 2014 aux écrivains américains, rappelle Franceinfo. Parmi les heureux lauréats de ce prix à la renommée internationale, on compte notamment le prix Nobel de littérature J.M. Coetzee pour Michael K, sa vie, son temps, en 1983, ou encore la célèbre écrivaine Margaret Atwood, autrice du best-seller The Handmaid’s Tale (adapté en série), saluée en 2000 pour Le Tueur aveugle. Par ailleurs, tous deux ont reçu cette récompense à deux reprises.
Pour Michael McCaughley, responsable éditorial du domaine étranger chez Calmann-Lévy, le Booker Prize capte particulièrement l’air du temps et d’une époque. « C’est un prix qui créé du débat, ce sont souvent des sujets percutants et forts, estime-t-il auprès de 20 Minutes. Il y a eu des Booker Prizes vraiment très marquants, notamment Salman Rushdie avec Les Enfants de minuit [en 1981] qui a marqué un tournant, une ouverture dans la littérature anglophone. »
C’est aussi un tremplin pour ces auteurs plus ou moins reconnus avant de le recevoir. « Il s’agit d’un prix qui transforme la carrière du lauréat […] Le lauréat et les auteurs présélectionnés sont assurés d’avoir un lectorat mondial et peuvent s’attendre à une augmentation spectaculaire des ventes de leurs livres », est-il précisé sur le site du Booker Prize. Mais pas en France ?
Un prix mal identifié dans l’hexagone
En 2022, le prix britannique couronnait The Seven Moons of Maali Almeida (« Les Sept Lunes de Maali Almaida »), saluant « l’ampleur et la compétence, l’audace, la hardiesse et l’hilarité » de son auteur Shehan Karunatilaka. Un roman sur la guerre civile au Sri Lanka à la fin du XXe siècle, édité dans sa traduction française, début 2024, par Calmann-Lévy. Un succès de librairie ?
« Je ne suis pas convaincu que le Booker Prize soit suffisamment identifié pour avoir un impact sur le grand public [en France] », analyse Michael McCaughley, qui précise que les ventes ont été « en dessous des espérances ». Mais le prix prestigieux ne manque pas d’intérêt pour autant. « C’est aussi une vitrine pour l’auteur, ça a été le cas quand Shehan Karunatilaka est venu à paris. Le fait d’avoir le Booker Prize a eu un vrai levier sur la mise en place en librairie », souligne le responsable éditorial du domaine étranger chez Calmann-Lévy.
Il faut dire que les lecteurs français croulent déjà sous une ribambelle de prix littéraires, comme le Goncourt ou le Renaudot, la plupart décernés également à l’automne. Et du côté des récompenses étrangères, une autre vole quelque peu la vedette au Booker Prize. « Il a moins de retentissement médiatique que certains prix américains. Le prix Pulitzer a une force de frappe plus importante, du fait qu’il récompense plusieurs catégories de livres, comme le journalisme, et que ce sont souvent des sujets d’actualités », note Michael McCaughley.
Le Booker Prize souffre-t-il en France avant tout d’une méconnaissance du grand public ? « La clientèle française ne sait pas forcément quel prix est britannique ou américain et quels sont les types d’auteurs primés. Mais je crois que tout le monde sait, qu’en gros, ce sont les équivalents du Goncourt », explique Patrick Moynot, le propriétaire et directeur de la librairie Smith & Son, à Paris.
La barrière de la langue
Dans cette célèbre librairie anglophone de la capitale, une vitrine est consacrée depuis une semaine à la short list du Booker Prize. Ces romans font partie des bonnes ventes de l’année. « Le Pulitzer, le Booker Prize… Ce sont des prix qui se vendent très bien chez nous. Il y a un vrai effet sur la clientèle anglophone. » Mais c’est du côté des lecteurs francophones que ça coince. Pour Patrick Moynot, une raison toute simple se cache derrière cela : la barrière de la langue.
« Comme c’est en anglais et que ça ne sort pas tout de suite en français, il y a un intérêt qui est moindre. L’actualité se fait au jour J, comme les lecteurs ne peuvent pas acheter le livre tout de suite, l’impact est plus faible. » Prophet Song, le roman de Paul Lynch, primé en 2023, ne sortira qu’en janvier prochain, chez Albin Michel.
Le propriétaire de la librairie anglophone se montre néanmoins optimiste. « Il y a de plus en plus de Français qui lisent en anglais, en particulier les jeunes générations avec toute l’émergence du genre Young Adult, de la New romance… Ou encore des romans de Sally Rooney, comme Normal People, des livres très accessibles en termes de langues. Il y a une vraie croissance du nombre de personnes en France qui sont capables et aiment lire en anglais ».
Orbital, salué mardi soir, pourrait lui aussi changer la donne. Le roman de Samantha Harvey est déjà disponible en français, publié en mars dernier chez Flammarion. De quoi faire de l’ombre au Goncourt sous le sapin de Noël à la fin de l’année ?
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