Comme Emmanuel Macron, Marine Le Pen n’a pas trop tardé pour féliciter Donald Trump mercredi après sa victoire à la présidentielle face à Kamala Harris. « La démocratie américaine s’est clairement exprimée et les Américains se sont donné en toute liberté le président qu’ils ont choisi », a-t-elle indiqué sur X mercredi matin. Un message sobre, à l’image de la position du Rassemblement national pendant toute la campagne américaine, loin du soutien clairement affiché lors de sa victoire en 2016 et sa campagne perdue en 2020.
Normalisation vs trumpisme
De la lutte contre l’immigration, au « combat » contre le wokisme, en passant par le protectionnisme économique, les thématiques mises en avant par Donald Trump ces derniers mois ressemblent pourtant aux idées défendues par le parti de Jordan Bardella. Mais le style incontrôlable et les outrances de l’homme d’affaires américain se heurtent à la stratégie de normalisation prônée par Marine Le Pen depuis plusieurs années. « Il serait inutile pour le RN d’ajouter de la dédiabolisation à une période déjà compliquée », assure Jean-Yves Camus, directeur l’Observatoire des radicalités politiques, en écho à la défaite aux législatives et au procès en cours des assistants parlementaires du mouvement.
« Pour beaucoup d’observateurs, le Trump de 2024 est plus extrême que celui de 2016 ou 2020. Il fait plaisir aux pro-life (opposés à l’avortement) quand Marine Le Pen a accepté l’inscription de l’IVG dans la Constitution et défend la loi Veil. Il a une attitude outrancièrement misogyne quand Marine Le Pen capte de plus en plus le vote des femmes et fait davantage attention à son discours sur les minorités. L’image de Trump en France est trop mauvaise pour risquer d’abîmer la normalisation du RN », ajoute le politologue. Les derniers sondages avant l’élection américaine montraient d’ailleurs qu’une majorité d’électeurs du RN aurait choisi Kamala Harris plutôt que Donald Trump. On peut également noter que Reconquête, le mouvement d’Eric Zemmour dont Marine Le Pen a tant cherché à se démarquer depuis 2022, a de son côté clairement pris parti pour le candidat républicain.
Une incertitude sur la guerre en Ukraine
Pour justifier cette absence de soutien, le RN évoque souvent les promesses du président américain de durcir les taxes douanières aux frontières américaines, qui auraient un impact négatif pour les travailleurs français. Mais un autre élément peut expliquer la pudeur de gazelle de Marine Le Pen et ses troupes : les positions incertaines de Donald Trump sur les dossiers internationaux, du Proche-Orient à la guerre en Ukraine. « Le candidat républicain s’est montré flou sur le conflit russo-ukrainien [il a promis de »régler la guerre en 24 heures »]. Imaginez qu’il se rende demain à Moscou et lâche l’Ukraine d’une manière ou d’une autre… On comprend donc la prudence de Marine Le Pen, qui peine encore à s’enlever ce sparadrap pro-Russe qui lui colle à la peau », ajoute Jean-Yves Camus.
Tout savoir sur la victoire de Trump
Cette mise à distance de Donald Trump est assez singulière en Europe, où les droites nationalistes et conservatrices ont clairement soutenu le président américain. « Il y a une différence majeure, c’est qu’en Italie et en Pologne, par exemple, Meloni, Salvini et Orban sont au pouvoir », indique le spécialiste. « Ce n’est pas étonnant que Donald Trump ait d’ailleurs refusé de recevoir Marine Le Pen en 2017. Il n’a aucun intérêt ou besoin de s’adresser à un parti d’opposition », dit-il.
Joie interne au RN
Reste qu’en interne, la réalité est probablement moins évidente que ne le laisse entendre la consigne officielle. Certains élus RN ont d’ailleurs eu du mal à cacher leur joie sur les réseaux sociaux mercredi matin. Le député Julien Odoul a salué une victoire face « aux élites bien-pensantes » quand son collègue Bruno Bilde raillait plutôt les « bourgeois déconnectés et les wokistes ». L’élu du Gard Nicolas Meizonnet y a vu « une soif de liberté, une pulsion de vie » quand Eric Ciotti saluait « un chemin pour les droites en France ». L’élu de Nice allié du RN s’est d’ailleurs filmé mercredi en laissant apparaître sur son bureau la casquette Maga (« make american great again ») des premiers soutiens du président américain.
Le même jour, le groupe politique Patriotes pour l’Europe, dont fait partie le RN au Parlement européen, a publié une vidéo où des eurodéputés saluent la victoire de Donald Trump en arborant la fameuse casquette. Jordan Bardella, pourtant président du groupe, et les autres élus RN, y brillent par leur absence, comme souvent.
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