Le sourire affiché par Gilles Moretton dans les gradins du tournoi de Bercy est aussi large que sincère. Il aurait tort de s’en priver vu le début de semaine de feu de nos Français sur les cours de l’Accor Arena. En coulisses, en revanche, sans aller jusqu’à parler de soupe à la grimace, on serait plus sur des rictus tendus que des smiles béats, alors que la campagne électorale à la Fédération française de tennis bat son plein et que les résultats sont attendus le 14 décembre prochain.
Trois ans après avoir succédé à Bernard Giudicelli, dont la mandature avait été entachée d’un certain nombre d’affaires pas forcément réjouissantes, pour remettre de l’ordre et de la transparence dans la maison, le président sortant ne semble plus bénéficier du crédit qui était le sien en arrivant. Et ce malgré un bilan chiffré plus qu’honorable, qui aura vu la FFT augmenter ses revenus, notamment grâce à la rentabilité de Roland-Garros, et les licenciés revenir en masse après des années de baisse et une période Covid forcément difficile.
L’opposition y croit plus que jamais
Le défi n’a pas découragé Romain Roesch. L’ancien compagnon de route de Gilles Moretton, qui a décidé de se présenter contre lui, ne cache pas son optimisme dans cette dernière ligne droite. « On est de plus en plus confiant dans notre capacité de l’emporter, nous a-t-il assuré lors d’une rencontre dans un café parisien courant octobre. On va sur le terrain à la rencontre des gens et on ressent une certaine sympathie à l’égard de notre liste, les gens nous parlent d’un manque de démocratie à la Fédération et espèrent du changement. »
S’il se sent aussi confiant, c’est qu’il sait que la mécanique électorale a changé par rapport à 2021. Désormais, la moitié des voix revient directement aux présidents de clubs, l’autre moitié restant aux mains des grands électeurs, les dirigeants de Ligues de Comités. Or, selon l’entourage de M. Roesch, les nombreuses affaires qui ont émaillé la mandature Moretton pourraient pousser les présidents de clubs à opter pour un nouveau grand ménage de Noël, fatigués qu’ils sont de voir leur discipline faire la Une des pages extra-sportives des journaux.
Outre la plainte pour détournement de biens et corruption visant la Fédération française au sujet de la billetterie de Roland-Garros, classée sans suite par le Parquet national financier, c’est tout le volet sur le climat social à la FFT qui alimente les discussions en coulisses. Epinglés par un rapport du cabinet d’audit Technologia pour son management brutal, après la publication de deux lettres ouvertes signées anonymement par une centaine de salariés, le bateau du président et ses équipes tangue dangeureusement. L’éviction fin juillet de Nicolas Escudé, l’ancien Directeur technique national, après plusieurs mois passés en arrêt maladie, illustre en partie ce climat un brin tendu à la FFT.
Un climat social enfin apaisé ?
A l’époque, Gilles Moretton pointait du doigt une entreprise « de destruction » de sa personne. Interrogé par nos soins il y a deux semaines, celui-ci n’a pas changé de discours. Attaqué par Germain Roesch sur sa pratique solitaire et autoritaire du pouvoir au sein de la FFT, celui-ci dégaine : « Mon bilan est inattaquable donc ça attise forcément la jalousie dans le camp d’en face. Je regrette qu’on n’ait pas un débat d’idées mais une campagne uniquement orientée sur le bashing, sur le dénigrement de ma personne. Mais je suis habitué, je l’ai déjà subi par le passé. Je trouve que cette campagne est assez nauséabonde de la part de mon adversaire. »
Concernant le climat social au sein de la fédé, en revanche, le ton a changé. Lui qui assurait il y a un an et demi que « le harcèlement, la terreur, il n’y en a pas à la Fédération » concède aujourd’hui n’avoir pas forcément tout bien fait. « Il y a eu de très belles choses de faites durant ces quatre années mais il y a aussi eu probablement des erreurs de commises. Quand on entreprend des choses, ça ne peut jamais être parfait. L’important c’est qu’on ait entendu et réglé les problèmes. »
Il fait notamment allusion au programme « Fair-play » mis en place par la FFT afin d’« améliorer la qualité de vie au travail », dixit le président. Selon lui, « avec le nouveau Directeur général aux commandes, le climat s’est totalement apaisé au sein de la fédération. » Germain Roesch s’interroge sur le timing de ce programme, annoncé il y a quelques semaines à peine.
« J’espère que ce n’est pas un coup de com’, sourit-il. Ce projet est une réponse aux conclusions salées du rapport Technologia, c’est bien, mais je m’interroge sur le fait qu’on ait attendu la fin de la mandature et l’approche des élections pour le lancer. » « Fair-Play ? C’est une invention du nouveau directeur général pour sauver la tête du président, ni plus, ni moins. S’il reste, des gens vont partir. Les gros salaires resteront parce que la soupe est bonne, mais pour les autres, c’est encore largement invivable au sein de la Fédé », nous glisse en off un ancien salarié, toujours au fait de l’ambiance à la FFT.
« Si vous n’êtes pas avec Gilles Moretton, vous êtes contre lui »
Pour beaucoup, l’ancienne DG Caroline Flaissier, mise à pied en février par Gilles Moretton, a servi opportunément de fusible, celui-ci lui faisant porter la responsabilité du mal-être social au sein de l’entreprise. « Je pense que l’arrivée de Stéphane Morel a effectivement permis d’apaiser un peu les tensions à la FFT, mais je ne suis pas certain que l’ambiance en interne ait fondamentalement changé », nous glisse un ancien de la maison qui a gardé de nombreux contacts à l’intérieur. « Il règne toujours une forme d’omerta, personne n’ose parler car les gens sont tous flippés », embraye un autre.
Malgré nos nombreuses demandes, aucun salarié actuel de la FFT n’a souhaité répondre à nos questions. « Un copain qui est président de ligue, dont je tairai le nom, et qui soutient Moretton, a été vu en train d’échanger avec Germain Roesch. Dans la foulée il a été convoqué et on l’a accusé de trahison. C’est un régime de suspicion permanent, de terreur », poursuit une autre source proche du milieu fédéral.
Les affaires au centre des préoccupations (ou pas)
Farouche opposant de Gilles Moretton, Stéphane Thomann, l’ancien président du Comité du Bas Rhin, est catégorique : « C’est simple, si vous n’êtes pas avec M.Moretton, vous êtes contre lui. Là, il dit “je vais changer”. Y croiront ceux qui veulent y croire, je n’en fais pas partie. »
De son côté, Gilles Moretton accuse son adversaire de se présenter uniquement pour prendre la lumière, après avoir « échoué lors des législatives de 2022 » dans la première circonscription du Val-de-Marne, lui, le conseiller départemental (DVD), sans avoir de véritable « programme de développement ni de vision claire pour le tennis français ». « Tout d’un coup il s’est dit qu’il allait venir s’occuper du tennis. Non, ce n’est pas comme ça que ça peut se passer, notre sport mérite mieux, il mérite des idées, juge le président. On a besoin d’un projet, pas d’être en permanence sur des attaques personnelles… »
Reste à savoir si tout cela aura un impact sur le vote des présidents de clubs. Certains craignent que les affaires qui agitent la FFT soient le cadet de leurs soucis, ceux-ci étant surtout attentifs au financement de leurs infrastructures locales. « Les clubs sont globalement contents car il n’y a jamais eu autant d’argent dans leurs caisses, mais c’est grâce à Roland-Garros. Un autre président continuera cette politique, ça ne tient pas à la seule personne de M.Moretton, insiste Stéphane Thomann. En Alsace, pour parler de ce que je connais, les présidents de clubs ne sont pas dupes et commencent à comprendre la manière de diriger de M.Moretton. Maintenant, est-ce que ça suffira ? » Réponse dans un petit mois et demi.
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