Le massacre dans le nord de la bande de Gaza décrit par la journaliste Clotilde Mraffko

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Sous le titre Israël poursuit son assaut sur le nord de la bande de Gaza exsangue, la journaliste du quotidien Le Monde Clotilde Mraffko raconte l’horreur.

Par Clothilde Mraffko Publié le 28-10-2024

LES FAITS – En un peu plus de trois semaines, l’armée israélienne, qui cherche à vider cette zone de ses habitants, a tué des centaines de Palestiniens dans l’extrême nord de l’enclave. Quelque 60.000 personnes ont été chassées de chez elles. Celles qui restent sont abandonnées à leur sort.

Dimanche 27 octobre au matin, un groupe d’hommes creusaient, à mains nues pour la plupart, dans les décombres d’un quartier résidentiel de Beit Lahya, dans l’extrême nord de la bande de Gaza, éclairant les gravats à la lumière de leurs portables. La nuit précédente, des bombes israéliennes avaient rasé le pâté de maisons où vivaient trois familles, les Abu Shdaq, les Masri et les Salman. Au moins 22 personnes, dont 11 femmes et deux enfants ont été tuées selon le ministère de la santé local. Les voisins et leurs proches ont mené les recherches seuls : depuis quatre jours, les secours n’atteignent plus ces zones après avoir été menacés – certains de leurs membres ont été détenus par l’armée israélienne.

« Dans le nord de Gaza, ceux qui sont blessés se vident de leur sang et meurent », résumait le journaliste d’Al-Jazira Hossam Shabat, sur son compte X, le 26 octobre.

Des Palestiniens cherchent des survivants dans les décombres à Beit Lahya, le 27 octobre.

« Ici, depuis deux jours, personne ne sort », explique au Monde par téléphone depuis Beit Lahya, Yehya el Madhoun, journaliste pour la chaîne palestinienne Al-Kofiya, financée par l’ancien chef déchu du Fatah à Gaza, Mohammed Dahlan. « La situation est extrêmement douloureuse. Nous nous attendons à mourir à chaque instant. Les explosions retentissent en permanence et nous sommes soumis à une terrible pression. » Depuis le 6 octobre, Israël mène une offensive pour vider le nord de la bande de Gaza de ses habitants loin des regards. La plupart des reporters palestiniens ont fui vers le sud depuis un an. Les autorités israéliennes interdisent aux journalistes étrangers d’accéder à l’enclave palestinienne depuis le 7 octobre 2023. Les communications sont régulièrement coupées.

A Beit Lahya et Beit Hanoun, deux localités collées au territoire israélien, et dans le camp de réfugiés de Jabaliya, le plus grand de la bande de Gaza, « l’ampleur des crimes qu’Israël commet actuellement (…) est impossible à décrire, non seulement parce que des centaines de milliers de personnes souffrent de la famine, de la maladie, sans accès aux soins médicaux et subissent des bombardements et des tirs incessants, ce qui défie l’entendement, mais aussi parce qu’Israël les a coupés du monde », écrivait le 22 octobre l’ONG israélienne B’Tselem, dénonçant un « nettoyage ethnique ».

« Les gens n’ont rien »

Selon le ministère de la santé local, dont les chiffres sont repris par les organisations internationales, des centaines de Palestiniens ont été tués dans le gouvernorat du nord de Gaza en un peu plus de trois semaines. Quelque 60 000 personnes ont fui la zone, la plupart se dirigeant vers la ville de Gaza, au sud de Jabalyia. « La détresse des civils palestiniens pris au piège dans le nord de la bande de Gaza est insupportable », a déclaré dimanche soir le secrétaire général de l’ONU, Antonio Guterres, « choqué par le nombre atroce de morts, de blessés et de destructions ». Le nord de Gaza vit ses « heures les plus sombres » affirmait vendredi le haut-commissaire aux droits humains des Nations Unies, Volker Türk, dans une nouvelle tentative d’alerter la communauté internationale atone.

« Les gens n’ont rien. Ils n’ont pas de tentes, ils vivent dans les décombres, ils marchent dans les rues les mains vides. Ils vivent sur un morceau de pain ou l’équivalent par jour », rapporte Sarah Davies, porte-parole du Comité international de la Croix-rouge (CICR). Vendredi 25 octobre, après plusieurs jours de siège, les forces israéliennes ont attaqué l’hôpital Kamal-Adwan, entre Beit Lahya et Jabaliya. Trois soignants et un employé ont été blessés dans l’assaut. Deux enfants sont morts en unité de soins intensifs après que la station d’oxygène a été visée, selon le ministère de la santé gazaoui. L’armée israélienne affirme qu’elle disposait d’éléments indiquant la présence de combattants dans l’hôpital. Elle n’avait pas répondu, lundi matin, aux questions du Monde.

Selon l’Organisation mondiale de la santé (OMS), 44 hommes membres du personnel de l’hôpital ont été arrêtés. L’ONG Médecins sans frontières a alerté, samedi soir, après le retrait des soldats israéliens : elle n’a toujours pas de nouvelles de son chirurgien orthopédiste qui travaillait dans l’hôpital, le docteur Mohammed Obeid. Jeudi, quelques heures avant l’attaque, une mission de l’OMS avait réussi à évacuer 23 patients.

Des abris pris pour cible

Le directeur de l’hôpital, le docteur Hossam Abu Safiya, qui a été relâché après un interrogatoire, est désormais seul avec un autre médecin pour s’occuper de 145 patients. « Je perds des blessés », faute de moyens nécessaires pour les soigner, a-t-il expliqué dans une interview à la chaîne Al-Jazira, demandant à la communauté internationale d’intervenir pour acheminer des renforts. Le directeur de Kamal-Adwan, infatigable lanceur d’alerte qui a traversé plusieurs sièges sans quitter son établissement, n’est plus que l’ombre de lui-même. Samedi matin, il a enterré son fils, Ibrahim, tué la veille. « Tout ceque nous avons bâti, ils l’ont brûlé. Ils ont tué mon fils car nous offrons un message d’humanité », a-t-il dit, en pleurs.

Dans ce chaos, l’armée israélienne émet des ordres d’évacuation, ayant, en parallèle, élargi la zone dite « humanitaire » dans le sud de la bande de Gaza. Traumatisés et épuisés après plus d’un an à lutter pour leur survie, les habitants du Nord sont tétanisés par ces injonctions. Ils rapportent que certaines instructions sont « incohérentes », explique Sarah Davies. Le CICR reçoit des appels « chaotiques » sur sa ligne d’assistance depuis Gaza. « On entend les gens crier derrière, ainsi que des explosions, raconte sa porte-parole. Ils sont paralysés par la peur car ils ne savent pas quoi faire. Certains disent que leurs enfants sont malades, ou qu’ils sont coincés à la maison avec des cadavres. » Les ordres d’évacuation sont une obligation en droit international humanitaire, rappelle-t-elle, « mais il est très important de comprendre que si les personnes décident de rester ou qu’elles ne peuvent partir, elles sont toujours protégées par le droit international humanitaire ».

Certains abris où les civils se réfugient, comme les écoles, sont pris pour cibles par les troupes israéliennes, souligne Human Rights Watch. Les forces armées « ont arrêté des hommes puis ont incendié, attaqué ou occupé militairement ces abris », a relevé l’ONG dans un communiqué publié le 26 octobre. Dimanche, un bombardement sur une école dans le camp de réfugiés d’Al-Chati, qui accueillait des déplacés de Jabalyia, a tué 9 Palestiniens, dont 3 journalistes et une fillette de 10 ans. Dans la ville de Gaza, vers laquelle fuient ceux de l’extrême nord, le paysage est « apocalyptique, décrit Sarah Davies. « On a l’impression que tout a été abandonné depuis des décennies. Tout est gris. Poussière grise, ruines grises, bâtiments gris. » Clothilde Mraffko

CAPJPO-EuroPalestine

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