Secte : Trente ans après les massacres de l’Ordre du Temple Solaire en Suisse, « la mécanique de l’emprise est la même »

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L’horreur. Le 5 octobre 1994, en pleine nuit, les pompiers suisses découvrent 23 cadavres dans une ferme incendiée à Cheiry. Puis 25 autres dans des chalets à Salvan, non loin de là. La secte de l’Ordre du Temple Solaire, à travers ce qui sera longtemps présenté comme un « suicide collectif », éclate au grand jour. Trente ans plus tard, deux journalistes de la Radio Télévision Suisse, Fanny Moille et Gautier Renault, ont enquêté sur la secte et les massacres.

Un podcast en dix épisodes est sorti début septembre, véritable plongée dans les mécanismes de la secte. Pour 20 Minutes, Fanny Moille est revenue sur le traitement médiatique de l’affaire, et comment les massacres de l’Ordre du Temple Solaire résonnent encore aujourd’hui.

En 1994, deux massacres sont commis dans des villages paisibles de Suisse. A l’époque, quel impact médiatique a eu cette affaire ?

Fanny Moille : Avec Gautier, on avait 14 ans à l’époque, et c’est la première affaire d’actualité qui nous a interpellés dans notre quotidien. Avant, ça flottait un peu autour de nous, mais là, c’est chez nous que ça arrive. Et ça a été un déferlement médiatique, en Suisse en particulier parce que c’est là où il y a les deux scènes de crimes avec le plus de corps. Dès le matin du 5 octobre, il y a les médias suisses mais CNN est aussi là avec un hélicoptère qui passe au-dessus de la ferme, la télé japonaise est là. Ces deux petits villages deviennent le centre du monde. C’était partout.

Dans les archives de la RTS, c’est assez impressionnant. A partir du flash de 7 heures le samedi, on ne parle que de ça dans les semaines qui ont suivi. Il faut comprendre que les sectes font la Une à l’époque. Un an plus tôt, le FBI donnait l’assaut à Waco sur la secte adventiste du Septième Jour. Pour l’OTS, Luc Jouret était déjà connu dans une précédente affaire au Canada mais en Suisse, il était complètement inconnu. Il y a une forme de traumatisme chez les habitants de Cheiry, un lieu bucolique, car ils connaissaient les occupants de la ferme mais ne savaient rien de la secte, ils ont eu l’impression d’avoir vécu à côté d’un truc énorme.

Aujoud’hui, quelles traces de l’affaire reste-t-il dans les mémoires ?

F. M. : Médiatiquement, je ne sais pas s’il en reste grand-chose au-delà de l’anniversaire. Mais ça a marqué une prise de conscience sociétale sur les menaces de dérives sectaires. L’affaire ne concernait pas qu’un territoire avec des lois spécifiques, l’OTS c’est en Suisse et au Canada, un an après il y a le massacre du Vercors en France. En Suisse, on a mis en place un centre intercantonal d’information. On ne veut pas être dans la répression mais savoir ce qu’il se passe. En France, ça a été plus répressif après le Vercors, avec la création d’une liste noire, la loi sur l’abus de faiblesse et la création de la Miviludes. Ça a posé les bases sur comment faire de la prévention, punir et empêcher les dérives.

Vous faites un parallèle avec ce qu’il passe aujourd’hui. Comment le massacre de l’OTS éclaire les dérives actuelles ?

F. M. : Aujourd’hui, ces dérives et la mécanique de l’emprise et de la manipulation existent toujours, mais elles ne font plus la Une même si la Miviludes a tiré la sonnette d’alarme. Or, il y a toujours cette menace notamment dans la radicalisation de jeunes qui veulent faire le djihad. C’est plus diffus et plus caché, on parle de communautés virtuelles donc c’est plus compliqué de l’encadrer. C’est frappant de voir que les thèses complotistes, antivax, étaient déjà présentes dans l’OTS. C’est assez vertigineux de voir à quel point c’est similaire.

Il y a des clés dans l’histoire de l’OTS pour comprendre les dérives actuelles. On a eu accès à une masse d’archives internes à la secte qui sont à Fribourg, les gourous se sont enregistrés et filmés lors de leurs discours, de la première communauté à la fin des années 1970 jusqu’à la toute fin, soit quasiment 400 heures d’enregistrements. On voit la dérive, comment sur des valeurs louables avec une conscience écologique, des gens qui voulaient se soigner autrement, des personnes instruites, éduquées, vont être manipulées pour dériver vers des suicides et des meurtres.

En somme, tout le monde peut tomber dedans ?

F. M. : On s’identifie à ces gens car ce ne sont pas des illuminés qui veulent être transférés sur Sirius au départ. Quand on n’entend que le discours, sans voir le côté grandiloquent des cérémonies, ça semble moins délirant. On se pose la question, « qu’est-ce que j’aurais fait à leur place ? ». A la fin, certains adeptes vont prendre conscience de la dérive, vouloir partir et récupérer leur argent. Les gourous vont les mettre sur écoute, et là aussi on comprend comment ils ont été manipulés, attirés pour être tués. Faire ce podcast, c’était aussi rendre justice aux victimes, car c’était plus facile à l’époque de caricaturer en parlant de suicide collectif.

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