Cancer du sein : « Je suis la preuve que ça peut faire mal »… Une douleur dans la poitrine peut-elle être un symptôme ?

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Une décharge dans le sein droit. C’est la sensation qu’a soudainement ressentie Emilie Daudin, 33 ans en janvier 2020. La jeune mère de famille consulte le soir même sa sage-femme. Après palpation, la professionnelle ne sent rien et la rassure : « un cancer du sein ne fait pas mal. » La trentenaire – connue sur les réseaux sociaux sous le pseudonyme EmilieBrunette – est soulagée. Pourtant, la douleur persiste et une boule commence à grossir.

Quatre mois plus tard, rebelote. Elle consulte en urgence une deuxième sage-femme, échographiste, qui sent cette fois une boule. « Elle me dit que c’est sûrement une déchirure musculaire car le cancer du sein ne fait pas mal. » Emilie souffre de plus en plus. A la rentrée 2020, alors qu’elle commence à avoir des difficultés à respirer, elle passe une échographie. Le couperet tombe… Six tumeurs dans son sein droit et un cancer du sein triple négatif. Une forme grave.

« Les cas rares, on les apprend par l’expérience »

L’histoire d’Emilie n’est pas exceptionnelle. D’autres femmes témoignent sur les réseaux sociaux d’un vécu similaire. Comment interpréter cette douleur et surtout de quoi est-elle révélatrice ? « La douleur n’est habituellement pas un symptôme de cancer du sein, assure Pierre Kouchner, chirurgien gynécologue et cancérologue. C’est essentiellement le cas pour ceux qui sont inflammatoires, une forme grave mais rare. Je dois en voir une fois par an. » Selon le médecin, la douleur à la poitrine – appelée mastodynie – est, en revanche, extrêmement fréquente et souvent liée à des phénomènes hormonaux. « Ces douleurs sont généralement bilatérales et surviennent dans la période précédant les règles. »

Pour autant, le sujet ne fait pas l’unanimité dans la communauté médicale. Si Myriam Delomenie, chirurgienne cancérologue spécialisée dans les cancers du sein, reconnaît que dans la majorité des cas, les douleurs sont causées par une « lésion bénigne, un kyste ou une inflammation non cancéreuse », elle affirme avoir eu des patientes ayant ressenti une douleur dans le sein et chez qui elle a trouvé une lésion cancéreuse, pourtant non inflammatoire. « Dans nos études, on nous enseigne les grandes lignes mais les cas rares, on les apprend par l’expérience », précise-t-elle.

Un hasard

La cancérologue peine à identifier l’origine de ces douleurs. « La petite tumeur cancéreuse va envahir le tissu de glande sain, ce qui peut tirer sur les tissus avoisinants, avance-t-elle tout de même. Elle peut donner des ganglions, notamment sous le bras, pouvant faire mal, surtout quand ils sont proches d’une racine nerveuse ou qu’ils compriment un vaisseau. »

Selon Pierre Kouchner, l’association faite entre la douleur et le cancer du sein relève probablement du hasard. « On peut très bien avoir à la fois une mastodynie et un cancer du sein. C’est statistique. Une femme sur huit est touchée au cours de sa vie par le cancer du sein et de très nombreuses femmes ont ou ont eu des douleurs aux seins. La probabilité que les deux se recoupent est très élevée. » Le gynécologue craint « d’inquiéter toutes les femmes, nombreuses, qui ressentent des douleurs aux seins mais qui ne sont pas à risque. »

La confiance en l’expert

Cette inquiétude, Cindy Faccini l’a ressentie au début de l’année 2022 lorsque, à 36 ans, elle repère une boule douloureuse dans son sein droit. « C’est tout à fait normal d’avoir mal en fonction de son cycle, la rassure sa gynécologue. C’est votre glande mammaire qui travaille. » Mais progressivement, la douleur se propage au dos, puis aux jambes. Son généraliste lui prescrit du tramadol. Près d’un an après les premières douleurs, Cindy tombe raide à la sortie de son travail. Direction les urgences. Son fémur vient de se fracturer. La radio montre des métastases dans tout son corps. On lui diagnostique un cancer du sein HER3 positif.

« Quand mon gynécologue m’a dit que ce n’était rien, je n’ai pas cherché plus loin, reconnaît Cindy Faccini. D’autant que je lui faisais entièrement confiance car il avait été formidable pendant mes grossesses. » Ses douleurs n’étant pas constantes, elle se disait que cela pouvait effectivement correspondre à ses cycles. « Avec du recul, je me dis que c’était bien le cancer puisque j’ai une forme hormonodépendante. » Aujourd’hui, Cindy Faccini se bat contre un cancer du sein métastatique avec lequel elle devra vivre toute sa vie. « Je suis la preuve vivante qu’un cancer du sein peut faire mal. Si on m’avait écouté dès le début, ça aurait changé ma vie. »

Même son de cloche pour Emilie Daudin. Suivie par plus de 160.000 personnes sur Instagram, elle en a fait son combat. « Je me bats pour qu’on arrête de dire que le cancer du sein ne fait pas mal. Parce que moi j’ai été bonne élève, j’ai écouté les campagnes de prévention et je suis immédiatement allée consulter. Et on ne m’a pas écoutée. »

« Difficile de jeter la pierre au médecin »

Selon Myriam Delomenie, « si on n’est pas hyperspécialisé dans le cancer du sein, on connaît seulement les généralités, les symptômes les plus fréquents. Il est difficile de jeter la pierre au médecin qui ne voit rien dans le cas où la patiente est jeune, n’a pas de cas dans sa famille et chez laquelle on ne sent aucune boule. »

Une situation vécue par Cindy Faccini. « J’ai dû supplier, en pleurs, mon médecin pour obtenir une ordonnance pour une échographie. Ça me révolte qu’on ne fasse pas systématiquement passer d’examen à une femme évoquant une douleur. Aujourd’hui, je coûte à l’Etat 2.600 euros de chimiothérapie orale par mois et ce jusqu’à la fin de ma vie. La prévention aurait coûté beaucoup moins cher. » Un avis partagé par Emilie Daudin. En cas de doute sur l’avis du premier médecin, elle conseille d’en consulter un autre. « Il vaut mieux être trop précautionneux que pas assez. »

Mais le prix n’est pas le seul argument conduisant des médecins à ne pas poursuivre les recherches. « La mammographie est un examen légèrement irradiant, qui augmente le risque de cancer s’il est pratiqué trop jeune ou trop fréquemment, rappelle Pierre Kouchner. On ne va donc privilégier l’échographie pour les femmes jeunes ne présentant pas de risque ni de symptômes associés. » Myriam Delomenie reçoit très régulièrement des patientes pour des douleurs à la poitrine. A chaque fois, elle effectue une palpation à la recherche d’une lésion avant de compléter par une échographie voire, en fonction de l’âge, une mammographie. « Même si dans plus de 90 % des cas, on fait une échographie pour rien, cela peut permettre de comprendre pourquoi la femme ressent une douleur. » Et ce ne sont pas Cindy Faccini et Emilie Daudin qui la contrediront.

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