Journée mondiale des animaux : C’est quoi cette science qui nous permettra un jour de dialoguer avec eux ?

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Que le propriétaire d’un animal de compagnie qui n’a jamais parlé à son petit compagnon lève la patte. Personne ? Normal, nous savons tous très bien que d’une certaine façon, ils nous comprennent, qu’un véritable échange existe. Malheureusement nous ne disposons pas de traducteur automatique qui permette une franche discussion. Pas encore…

On en est même très loin. Mais c’est pourtant ce vers quoi tend la zoosémiotique. Coupons tout de suite : il ne s’agit pas de télépathes, voyants ou autres escrocs qui prétendent communiquer avec votre animal par la pensée. Non, on parle ici de vrais experts qui étudient et décryptent la langue et le langage des animaux en tout genre.

Chercheurs en sciences du langage, historiens, éthologues, vétérinaires… De très nombreuses compétences se retrouvent dans la Société française de zoosémiotique (SFZ) fondée en 2017 à la Sorbonne. Un nom savant qui cache l’étude des signes appliquée aux animaux.

Certains animaux sont des êtres « sentients »

« Cette discipline vise à faire parler les animaux », explique Astrid Guillaume, maître de conférences en sémiotique à Sorbonne Université et fondatrice de la SFZ. Pas au sens premier du terme bien sûr, « mais nous cherchons à comprendre leur langue et leur langage », ajoute-t-elle. Super, mais en vrai, à part savoir si notre chat a bien dormi (on sait très bien que oui), à quoi ça sert ? « Tout simplement à mieux les comprendre et à davantage les respecter, explique Astrid Guillaume, car ce sont des êtres sentients. »

Après la reconnaissance des animaux comme êtres sensibles (qui ressentent la douleur, le chaud, le froid…) en 2015 en France, la SFZ s’attelle désormais à faire reconnaître certains animaux comme êtres qui ressentent des émotions (la peur, la joie, l’angoisse, la farce…).

La SFZ a déjà acquis une première victoire avec l’entrée du mot « sentience » dans le Larousse en 2020 et travaille actuellement sur l’établissement d’une liste de ces animaux, parmi lesquels tous les vertébrés (poissons, amphibiens, reptiles, oiseaux et mammifères) mais aussi d’autres comme la pieuvre, et peut-être même certains insectes.

Nommer pour faire exister

Car oui, cette bataille commence par les mots. « Tant que les choses ne sont pas nommées, elles n’existent pas. Il faut donc créer une terminologie », explique Astrid Guillaume qui confie que la tâche n’est pas aisée. « Il y a beaucoup de réticences, de réfractaires dans une attitude parfois quasi-religieuse à reconnaître les émotions et l’intelligence des animaux. »

D’abord parce que nous sommes dans le pays de la gastronomie, et reconnaître ces qualités aux animaux pourrait remettre en cause le fait même de les manger et leurs traitements. Mais aussi parce que la philosophie a souvent rejeté l’idée, dans la mouvance de Descartes qui ne voyait dans les animaux que des machines sans âme à exploiter. « Pour beaucoup de philosophes, un animal ne sera jamais intelligent tant qu’il n’aura pas écrit une encyclopédie. » Pourtant un animal l’a déjà fait… L’humain ! « Si vous vous adressez à un biologiste, la question ne se pose même pas, l’humain est un animal parmi d’autres. »

Il existe déjà des dictionnaires animaliers

Mais pour éviter d’égratigner ces âmes sensibles, Astrid Guillaume prend ses précautions et préfère utiliser des termes tels que zoolangue (pour les échanges sonores) et zoolangage (pour les gestes et comportements). Et pendant ce temps, des chercheurs de tous bords enregistrent, observent, analysent les animaux pour décrypter leur langue d’abord.

« Nous avons de très nombreuses études qui montrent ces échanges sonores. Chez les cétacés ou les chats par exemple », explique l’universitaire. Ce qui est souvent considéré, à tort, comme de simples chants ou vociférations sont en réalité de vrais dialogues. « Chez le gibbon, par exemple, on sait que si la menace vient du ciel, avec un aigle par exemple, ou du sol, avec un serpent, le cri sera différent, avec un volume différent, une fréquence différente, etc. »

Chez beaucoup d’espèces, il est possible, sans encore comprendre le message profond, de l’identifier, que ce soit un message de danger, d’urgence, de protection, de reproduction. Pour certains cas comme le gibbon, la sophistication est telle, et les études si avancées, qu’il existe même un dictionnaire. Une réalisation que la SFZ aimerait étendre à d’autres espèces.

Des baleines avec des accents

Et comme chez les humains, ils existent de multiples types d’individus. « Chez le chat par exemple, on sait que les Siamois sont beaucoup plus bavards que les Européens, que les Persans montent très haut dans les aigus », explique Astrid Guillaume.

Mieux, certains animaux peuvent même avoir… des accents. « Il existe des dialectes dans certaines espèces. On constate chez les grands cétacés qui font le tour du monde qu’ils apprennent des chants avec certains accents qu’ils transmettent ensuite à leur communauté d’origine. C’est d’ailleurs le cas chez tous les voyageurs, que ce soient les oiseaux ou les loups. Ce sont des zoodialectes et en les comparant au chant d’origine, on voit apparaître des nuances. »

Une équipe de la SFZ travaille d’ailleurs avec l’entreprise Dassault Systèmes sur des outils électroniques et de l’intelligence artificielle pour réussir un séquençage sémantique qui pourrait permettre de comprendre ces « chants ».

Le comportement pour échanger entre espèces

Mais la langue n’est pas le seul moyen de communication des animaux. Le geste et le comportement en sont aussi. D’ailleurs, le zoolangage est celui qui permet à différentes espèces d’échanger entre eux. « Il existe certains comportements communs comme le fait de montrer les dents en cas d’agression ou d’intimidation. Un chat ne bouge pas la queue s’il est content, au contraire d’un chien. Mais s’ils passent du temps ensemble, chacun va comprendre le langage de l’autre. Un peu comme si vous rencontrez un étranger, sans langue commune, par les gestes, vous allez finir par créer votre propre langage à vous. »

Le zoolangage permet aussi d’étudier la culture des espèces. Car oui, il existe une culture animalière qui est même reconnue par le ministère de la Culture (une autre réussite de la SFZ). « Par culture, on entend tout ce qui est de la transmission, de l’apprentissage. Par exemple, si vous faites se rencontrer un chat adulte avec un petit, il va lui apprendre des choses : à se laver par exemple. Si le premier chat meurt, et qu’on fait entrer un autre petit, l’autre va lui apprendre ce qu’il a appris du premier. C’est la transmission. »

Le jeu, la farce utilisés pour transmettre entre animaux

On peut aussi le voir chez certains singes qui apprennent à casser des fruits avec des pierres ou à laver des petites pommes de terre. « C’est très visible chez les animaux qui chassent en meute comme les orques ou les loups. Pendant que les grands s’entraînent à occuper l’espace pour bloquer une proie, mettent en place des stratégies, ce qui dénote une très grande intelligence, notamment une intelligence collective, les petits observent et apprennent », explique Astrid Guillaume, qui confie que comme chez les humains, on voit certains individus plus intelligents ou plus sportifs que d’autres.

Et comme chez les humains, cette transmission peut passer par le jeu, par la farce. « Chez les primates, la notion d’humour est de plus en plus reconnue. Chez les chats, cela passe souvent par la surprise, se cacher pour surprendre l’autre. On en retrouve même chez certains poissons dont on a découvert qu’ils avaient une vie très riche et des zoolangues. Grâce aux micros subaquatiques, on a pu entendre des échanges. »

L’IA pour « casser le code du langage animal » ?

Toute la compréhension des animaux pourrait être d’autant plus utile pour leur condition que le changement climatique les guette comme l’explique la chercheuse : « Avec la calotte glaciaire qui fond, on ne va pas recréer des icebergs, mais on va peut-être savoir comment vont les animaux, où sont les limites de l’acceptabilité pour leur organisme. » C’est pourquoi la SFZ travaille aussi avec des juristes pour faire évoluer le droit vers plus de reconnaissance de l’intelligence animale et plus de protection.

D’ailleurs, la SFZ a déjà intégré dans sa charte que la zoosémiotique ne doit pas être utilisée à l’encontre de l’intérêt des animaux. « Comprendre et dialoguer avec les animaux ne doit pas être utilisé pour les exploiter ou pour les utiliser en temps de guerre par exemple, comme ça a déjà été le cas avec des chiens ou des dauphins », assure Astrid Guillaume.

Car on sera peut-être un jour vraiment capable de totalement comprendre les animaux et leurs besoins. Une équipe travaille actuellement aux Etats-Unis sur un traducteur basé sur l’IA qui pourrait, à terme, « casser le code du langage animal » et agir comme une « pierre de rosette ».

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