Le journaliste Ben Caspit incarne parfaitement le centre israélien. Il vit à Hod Hasharon et co-anime une émission de débats à la radio avec le journaliste Yinon Magal, qui est à l’extrême droite. Caspit, lui, n’y est soit-disant pas. Il s’agit d’un journaliste bien informé, très respecté et populaire.
Photo : création d’une fosse commune le 22 novembre à Khan Younis, au sud de la bande de Gaza. Source : Palestine International Broadcast
Au cours du week-end, le directeur exécutif du groupe anti-occupation Breaking the Silence a écrit sur X : « Ne regardez pas ailleurs. Un correspondant de CNN est entré dans le sud de la bande de Gaza et a ouvert une ‘fenêtre sur l’enfer’ de Gaza. »
Voici ce que Caspit, un homme modéré et honnête à ses propres yeux a trouvé à lui répondre : « Pourquoi devrions-nous regarder ? Ils ont gagné leur enfer honnêtement ; je n’ai pas une once de sympathie ». Caspit, comme d’habitude, est le porte-parole du grand public en Israël.
Huit mille enfants sont accusés de leur propre mort ; 20 000 personnes sont responsables d’avoir été tuées ; 2 millions de personnes ont causé leur propre déracinement. C’est toujours ainsi qu’un riche parle d’un pauvre, quelqu’un qui a réussi d’un moins chanceux, une personne en bonne santé d’un handicapé, un fort d’un faible, un Juif Ashkénaze d’un Mizrahi : ils sont accusés d’être responsables de leur statut de victime.
Dans l’Israël de l’après-7 octobre, on peut accuser 10 000 enfants et bébés de leurs propres morts sans qu’Israël n’ait ne serait-ce qu’un soupçon de responsabilité et de culpabilité. Dans l’Israël de l’après-7 octobre, on peut se sentir irréprochable simplement parce que c’est le Hamas qui a commis des atrocités le premier.
Un pays est en ruines et tous ses habitants sont en enfer, et l’initiateur de cet enfer ne porte aucune culpabilité, pas même une toute petite, pas même partagée avec celle du Hamas. L’incarnation du centre israélien n’a même pas une once de sympathie pour les enfants amputés montrés dans le reportage courageux et effroyable de Clarissa Ward dans un hôpital de Rafah.
Que leurs membres soient amputés, que les enfants meurent, que tous les Gazaouis expirent, qu’ils suffoquent en enfer, ce n’est pas notre affaire. Ils sont responsables de leur désastre, eux seuls. Caspit tient là quelque chose : la victime est responsable de son état de victime.
Mise à part la question de la culpabilité et de la responsabilité – tout cela incombe au Hamas, pas du tout à Israël, dont les soldats et les pilotes se déchaînent en toute liberté à Gaza – nous n’avons rien à voir là-dedans, l’essentiel étant que nous ne nous sentions pas coupables de quoi que ce soit.
Ceci mis à part un moment, il faut un degré incroyable d’inconscience, de cruauté, et même de barbarie pour ne pas ressentir au moins un peu d’empathie pour des enfants qui meurent sur le sol des hôpitaux, pour un père qui pleure sur le corps de son enfant, pour un bébé couvert de la poussière de sa maison bombardée et qui cherche en vain quelqu’un dans le monde, pour ceux qui vivent depuis deux mois dans la terreur, le désespoir et qui n’ont plus rien dans la vie, pour les affamés, les malades, les handicapés et les dépossédés de la bande de Gaza.
Même l’empathie est interdite aux yeux de Caspit et de ses semblables, de peur qu’une pensée dangereuse et interdite ne s’insinue – que ce sont des êtres humains qui vivent à Gaza. C’est une chose que les Israéliens ne peuvent pas gérer.
C’est le franchissement d’une ligne dangereuse qui pourrait être suivie par des pensées qui sont étrangères aux Israéliens, concernant jusqu’où il est permis d’aller pour une cause juste ; ce qui est permis, et surtout, ce qui est interdit en toutes circonstances.
Il y a des choses qui sont interdites en toutes circonstances. L’assassinat de 8 000 enfants en deux mois, par exemple. Caspit et les siens ne veulent qu’applaudir l’armée héroïque sans voir le résultat de son œuvre.
L’humanité est interdite, nous sommes israéliens. Lorsqu’un tremblement de terre se produit n’importe où dans le monde, nous envoyons de l’aide et nous sommes fiers de nous, mais les tueries de masse à Gaza, ce n’est pas notre affaire. C’est ainsi que fonctionne la moralité israélienne. Elle doit permettre à Caspit, et pas seulement à Magal, de se sentir bien dans sa peau à propos de Gaza.
Lors d’une conférence internationale qui s’est tenue le week-end dernier à Istanbul, j’ai déclaré, entre autres choses, que je n’avais jamais eu autant honte d’être israélien qu’en regardant des images de Gaza. Ces propos ont été postés sur un site web israélien populaire de divertissement . Au cours du week-end, j’ai reçu des centaines (peut-être maintenant des milliers) d’appels et de messages injurieux. C’est souvent par les égouts que l’on apprend à connaître une société. Ensemble, nous vaincrons, tel est le slogan actuel.
Cependant, la distance entre les eaux usées qui coulent vers moi et les paroles ostensiblement respectables de Caspit est plus petite qu’on ne l’imagine. Il n’y a aucune différence entre la haine des Arabes et leur déshumanisation, telle qu’exprimée dans le langage vulgaire et inarticulé de mes correspondants, et les paroles bien formulées de Caspit.
L’Israël d’en bas et celui d’en haut ont tous deux perdu leur image humaine. C’est une raison suffisante pour avoir honte d’être israélien.
Traduction : AFPS
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