Macron, Sarkozy et les autres… Les présidents face à l’impossible récit de leur quinquennat

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La rumeur courait depuis plusieurs mois, elle est devenue réalité le 15 décembre dernier. Frédéric Michel, le « conseiller spécial communication et stratégie » du chef de l’État annonçait son départ de l’Élysée, en pleine crise politique provoquée par le projet de loi Immigration. L’homme, censé raconter aux Français l’histoire d’un pays réparé des fractures et poser les bases d’un héritage politique, aura tenu à peine un an et demi avant de repartir vers le privé. Quelle mission ingrate ! Conjuguer au futur une histoire que l’on peine à raconter au jour le jour… Pour un résultat plus qu’en demi-teinte : beaucoup, y compris dans l’entourage du président, n’ont eu de cesse de s’inquiéter de l’absence de récit cohérent d’Emmanuel Macron, et ce depuis le début de ce mandat.

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En mai dernier, le signal faible venait du gouvernement. Un an après la réélection d’Emmanuel Macron, 24 conseillers en communication de ministres ou de secrétaires d’État quittaient leurs fonctions, comme l’expliquait Le Figaro. Fatigue… et perte de sens. « La moindre interview, le moindre projet de loi sont bridés par Matignon et l’Élysée. Lorsque l’on est jeune conseiller et que toute tentative de créativité politique est écrasée, ce job ne sert à rien. Ce n’est pas en freinant tout le monde que le message porté sera cohérent ! fulmine un ancien conseiller ministériel chevronné, parti au même moment. C’est inquiétant, et ça permet à d’autres, comme Marine Le Pen, d’imposer son récit. » Dans l’entourage du « PR », selon l’acronyme consacré, on acquiesce à demi-mot. Et ces professionnels de la narration pointent l’absence d’incipit – la campagne inexistante d’Emmanuel Macron pour sa réélection – comme responsable des difficultés pour écrire l’histoire quinquennale.

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L’exercice est pourtant indispensable. Car pour gouverner, le nouveau Prince doit susciter des histoires. Ou créer ce récit. Le faire vivre à travers les mesures présidentielles et gouvernementales. Le déployer dans toutes les matières politiques. Et le faire tenir sur la durée. C’est bien sûr l’Élysée qui donne le la de cette rythmique. La note émane de promesses de campagnes, matérialisées le long du quinquennat par des propositions édictées par le président de la République. Autour de ce dernier, spin doctors et autres stratèges en communication se tiennent prêts à dérouler le fil de l’histoire. À chaque déplacement, prise de paroles ou annonce élyséenne, ils sont à la tâche. Durant les « briefs off », ces rencontres informelles dites « hors micro » avec des journalistes précédant un rendez-vous médiatisé de leur champion. Pour les discours du chef de l’État aussi, où ce dernier prononce les mots que sa plume a couchés sur le papier. Le travail permet d’assembler l’action élyséenne dans un ensemble cohérent. D’emballer, autant que possible, le mandat dans l’Histoire collective.

« Est-ce qu’on crée un récit en luttant contre la dette et le chômage ? »

« Les récits sont essentiels, analyse Jonathan Guémas, « conseiller discours » d’Emmanuel Macron de 2019 à juillet 2022. Ce n’est pas de la communication, c’est de la politique ! Prenez l’écologie, par exemple : vous n’aurez pas d’impact sans convaincre les gens de changer leurs habitudes. Vous n’aurez pas d’impact sans récit. La politique, c’est une compétition pour faire valoir sa grille d’interprétation du réel. » Tout est donc affaire de perception. Puisque, dans l’œil des communicants, la politique est une bataille de récits.

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« Sommes-nous encore capables de recouvrir la nudité du pouvoir des voiles du sacré qui conduisent un peuple à consentir intimement à l’obéissance ? » s’interrogeait en 2020 le psychanalyste Roland Gori à l’heure de la fragmentation des identités culturelles, dans un article paru dans la revue de sciences sociales Cités. Des questions auxquelles répond le philosophe Pierre-Henri Tavoillot, auteur de Comment gouverner un peuple-roi ? (Ed. Odile Jacob, 2019). « Il y a aujourd’hui une triple difficulté liée à la mondialisation, à la médiatisation et à la complexité des dossiers. Et la multiplication des récits au sein de la société rend plus difficile que par le passé la structuration d’une épopée. » Si les attentats et les conflits internationaux ont resurgi depuis la présidence de François Hollande, le tragique a largement disparu des quinquennats. « Est-ce que l’on fait nation en luttant contre la dette et le chômage ? » feint de s’interroger Bernard Poignant, conseiller spécial de François Hollande. François Mitterrand lui-même aurait prédit ces difficultés, selon une célèbre phrase qui lui a été attribuée. « Je suis le dernier des grands présidents […]. À cause de l’Europe, à cause de la mondialisation, rien ne sera plus pareil […]. Après moi, il n’y aura plus que des financiers et des comptables. »

« Quand le monstre de l’événement surgit »

C’est pourtant dans ce contexte que les professionnels de la narration tentent d’écrire le destin quinquennal. Le travail est donc souvent sisyphéen : les proches d’Emmanuel Macron, mais également de ses prédécesseurs, François Hollande et Nicolas Sarkozy, sont unanimes. « Le chef d’État a le nez dans le guidon et doit regarder le bout de la piste. Pour nous, c’était un casse-tête, on corrigeait le tir quotidiennement », se souvient Franck Louvrier, « cons’com' » du dernier président de droite. Bernard Poignant, lui, ne dit pas autre chose. « C’est dur, quand même, de faire tenir un récit sur la durée. » Même son de cloche pour Jonathan Guémas : « La grande difficulté c’est de rester en cohérence quand le monstre de l’événement surgit. »

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Et s’il existe une règle universelle pour chacun des locataires de l’Élysée, c’est bien l’arrivée de « l’événement ». Il est cataclysmique, ébranle parfois les promesses de campagne. Consacre le hiatus entre la théorie et l’exercice du pouvoir. « Face à la crise, on change son fusil d’épaule », résume Franck Louvrier. L’événement résulte parfois de troubles mondiaux : Nicolas Sarkozy, chantre de la valeur travail et de sa déréglementation, a quitté l’Élysée avec près de 800 000 chômeurs supplémentaires ; la faute, en partie, à la crise financière mondiale de 2008.

L’événement découle épisodiquement d’un drame national : François Hollande, « président normal » s’est, au fil du quinquennat, converti en président guerrier déterminé à riposter aux pires attentats commis en France, à la suite notamment de ceux du 13 novembre 2015. Enfin, L’événement émane souvent d’une crise politique : un an plus tard, face aux manifestations, c’est la promesse de constitutionnalisation du dialogue social qu’enterre ce même président sur l’autel de la loi Travail de Myriam El Khomri.

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Depuis six ans, Emmanuel Macron a goûté à l’expérience. Crise des gilets jaunes, pandémie de Covid-19, guerre en Ukraine et conflit israélo-palestinien, manifestations massives contre la réforme des retraites, attaques terroristes… Le président, révolutionnaire autoproclamé en 2017 à la sauce « progressiste », a été forcé de revoir la copie de son épopée. Certains revirements sont symboliques. En témoigne son souci assumé de ne pas vouloir créer de rupture, lors de la présentation, en septembre dernier, de la planification écologique. Lors du discours de Marseille, à la veille du second tour de l’élection présidentielle 2022, le candidat avait pourtant promis un « changement de paradigme » en la matière. Si la campagne présidentielle est un incipit, l’Événement donne l’impression d’une transformation en préface, signée d’une autre main.

Quand le récit se construit après-coup

Saisir l’événement pourrait pourtant s’avérer payant. « Pour qu’il y ait de l’histoire dans un quinquennat, il faut de l’Histoire, défend Pierre-Henri Tavoillot. Et tout le défi d’un président, c’est de maintenir le continuum de cette Histoire collective en y ajoutant sa patte. C’est un trait particulier à la France, où les chefs d’État président sous le regard attentif de l’Histoire. » La quête de transcendance à la tête de l’État n’est pas l’apanage de tous. En 2016, alors que l’ancien directeur général de l’Organisation mondiale du commerce tentait de convaincre Angela Merkel et François Hollande de « réenchanter » l’Europe, la chancelière allemande s’était targuée d’une formule éloquente : « Je ne suis pas poète », avait-elle balayé. Étymologiquement, le poète est celui qui construit, et laisse in fine sa trace dans l’Histoire.

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Les présidents français tentent de devenir poètes. À la fin de leur mandat, l’exercice du pouvoir est raconté dans un livre : les mémoires. L’exercice obligé où le président rejoue l’histoire qu’il pense avoir perdue sur le papier. L’histoire est réexpliquée, justifiée, magnifiée. Elle est vendue à quelques centaines de milliers d’exemplaires – les succès en librairie sont variables. En août dernier, Nicolas Sarkozy publiait le deuxième tome des siennes, Le Temps des combats (Fayard, 2023), 57 000 exemplaires vendus en six semaines, score honorable mais en baisse par rapport au précédent tome, Le Temps des tempêtes, écoulé à 121 000 exemplaires sur la même durée. « Ces moments partagés, que beaucoup ont gardés en mémoire, constituent une partie de notre patrimoine commun, de notre identité, de nos souvenirs enfouis, mais restent liés à des instants de chacune de nos vies privées », y écrit-il, onze ans après avoir lâché ses fonctions. Et s’il fallait finalement quitter l’Élysée pour écrire le récit d’un mandat ?

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