A La France insoumise, il se murmure que « Jean-Luc s’ennuie ». C’est l’un de ses jeunes fidèles, député, qui rapporte l’inquiétude partagée par quelques-uns. Mélenchon gribouille bien sur X (ex-Twitter) et sur son blog, et il y a eu son livre (Faites mieux !, Robert Laffont, 2023) qu’il imagine référence théorique, mais la politique, c’est plus que ça. Loin de la castagne à l’Assemblée nationale, il voudrait bien montrer qu’il est encore là, lui le troisième homme des deux dernières élections présidentielles. Loin des cieux, loin du cœur.
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Quand on ne fait plus grand-chose en politique, les rumeurs les plus cocasses apparaissent. Tenez, la dernière : Jean-Luc Mélenchon ronge tellement son frein qu’il réfléchirait à être candidat aux élections européennes de 2024. Elle a même atterri sur le bureau de l’eurodéputé Renaissance Stéphane Séjourné, dont l’entourage y a cru dur comme fer. C’était oublié combien l’Insoumis abhorrait ses allers-retours à Bruxelles ou Strasbourg à la fin de son mandat européen, au moins autant qu’il pestait contre ses voyages entre Paris et Marseille lorsqu’il était député de la cité phocéenne. La drôle de rumeur fait rire ses proches qui la laissent courir pour leur plus grand bonheur.
Il n’empêche, Jean-Luc Mélenchon s’ennuie et il ne sait vraiment par quel bout prendre la suite. 2023 n’a pas été aussi simple qu’il l’escomptait. Oh, il se doutait que les socialistes d’Olivier Faure prendraient tôt ou tard la poudre d’escampette de la Nupes et que les écologistes, peu fiables et brouillons déjà pendant les négociations en 2022, vireraient de bord, eux aussi. Ce qu’il n’a pas vu venir, c’est la fronde des siens, qui dure, et tous ses nouveaux députés qui ne marchent pas au garde-à-vous quand la stratégie qu’il dicte évolue. Fini le temps où il n’avait que 17 députés sous ses ordres, « ses sauvageons » comme il les appelait. C’est ce qu’il s’est passé au moment de l’affaire Adrien Quatennens, puis quand la direction a été épurée des grognards que sont Alexis Corbière, François Ruffin, Clémentine Autain, Raquel Garrido et Eric Coquerel, remplacés par des ouailles aussi fraîches que disciplinées. « Sa jeune garde rouge », raille un rebelle insoumis.
No man’s land
Ses valses hésitations, réfléchies, pour qualifier de « terroriste » l’action du Hamas contre Israël le 7 octobre ont un peu plus creusé le fossé entre les frondeurs d’un côté, soutenus par une quinzaine de parlementaires, et les lieutenants, au moins aussi nombreux. Au milieu, un ventre mou dont Jean-Luc Mélenchon ne sait rien et craint qu’il vire sa cuti. Dernièrement, c’est la sanction contre Raquel Garrido qui a provoqué des tensions au sein du groupe parlementaire. Beaucoup ont peu goûté à la symbolique de la durée de la punition : quatre mois, comme Quatennens. Lui avait giflé sa femme ; elle, elle critiquait le leader insoumis. La boucle Telegram des députés LFI est devenue un no man’s land où les balles fusent sur le premier venu un tantinet trop critique.
Et si, tout compte fait, la Nupes n’avait pas été l’erreur de trop de Jean-Luc Mélenchon ? Retour en 2022, au début des négociations. Le chef est encore hésitant, les émissaires socialistes le savent et tentent de convaincre leurs homologues insoumis de l’importance d’en être. « Soit il est le grand architecte de la gauche, soit il nous finit à coups de pelle », résume à l’époque Maxime des Gayets, cadre du PS et proche d’Olivier Faure, devant Paul Vannier, le monsieur élections de LFI. Il n’y a que Jean-Luc Mélenchon à ne pas voir que s’engager dans une coalition avec le reste des partis de gauche changera la nature même de son propre mouvement. La Nupes est une corruption pour LFI puisqu’elle engage le mouvement, hier revendiqué populiste de gauche, dans un processus d’embourgeoisement politique. Mélenchon accepte alors la mesure de la conquête du pouvoir, candidate même au poste de Premier ministre.
L’affaire Quatennens, les purges, l’honorabilité à l’Assemblée nationale… Toutes les crises vécues par LFI depuis lors sont liées aux exigences de la culture d’un parti de gouvernement supposément exemplaire et démocratique. En 1991, le sénateur de Massy qu’il était publiait l’un de ses livres référence, pourtant oublié par ses jeunes loups aujourd’hui. Un essai pour « reprendre la réflexion théorique » alors abandonnée par un PS dénaturé par le « tournant de la rigueur » où il fustige : « En réalité, la culture de gouvernement se présente comme un vulgaire léninisme d’Etat à la petite semaine. » (A la conquête du chaos, Denoël, 1991). En faisant la Nupes, Mélenchon a trahi Mélenchon.
« Ceux qui pensent qu’on peut gagner sans Mélenchon nous font perdre du temps »
Dans le même ouvrage, il explique comment la gauche « se nourrit aux failles de l’ordre », que « le chaos reconstructeur est son territoire spécifique. » Il faut compter sur les événements qui changent. Il faut surfer la vague plutôt que tenter de la dompter. 2024 a déjà commencé veut-il croire, le 7 octobre dernier, quand il est redevenu l’objet central des critiques venues de toutes parts, de l’extrême droite de Marine Le Pen jusqu’aux partis de gauche qui s’engageaient hier avec lui. Le revoilà enfin seul, épouvantail aux yeux de tous, délesté de cette Nupes qui l’obligeait. La loi immigration qui vient d’être votée par la Macronie, LR et le RN n’est qu’un événement de plus qui fragilise le bloc central, cristallise celui de droite d’un côté, et celui de gauche de l’autre. « C’est la confirmation de ce que nous disons depuis plusieurs mois : si le macronisme veut exister sans le 49.3, il a besoin de nouveaux alliés. Il a décidé d’aller les chercher à droite et à l’extrême droite », analyse le député LFI Matthias Tavel. Rien n’a changé aux yeux des Insoumis, Mélenchon reste la meilleure des cartes à jouer, hier, comme aujourd’hui, demain, si d’aventure Emmanuel Macron faisait le choix de la dissolution, et même après-demain, en 2027. « Ceux qui pensent qu’on peut faire et gagner la présidentielle sans Jean-Luc Mélenchon nous font perdre du temps », juge le même Tavel.
Les événements, toujours eux… Ceux à venir n’augurent pourtant rien de bon pour le leader de La France insoumise. 2024, année de tous les dangers. Il le sait. Un Insoumis qui connaît bien son Mélenchon voit bien que le chef « a peur » de ce qui approche, « de la taule aux européennes. » Celle-ci n’aura rien à voir avec celles de 2019. A l’époque, Yannick Jadot faisait 13 % et on cancanait sur ce score historique qui serait un tremplin pour la présidentielle suivante. Une histoire à dormir debout, à laquelle Mélenchon n’a jamais cru. Si c’est un socialiste et le PS qui reprennent du poil de la bête, l’affaire n’est plus la même. La pâque socialiste ? La « Glucksmannmania » aux européennes ? La jeune garde insoumise préfère rire de tout cela, et n’y croit pas une seconde.
Seul sur scène
Mélenchon est plus soucieux. Lui-même le confiait lors des négociations de la Nupes, quand il était au pic de sa forme et le PS à la porte du cimetière avec les 1,7 % de sa candidate : « Je connais la maison. J’ai été seigneur féodal socialiste, n’oubliez jamais ça… Vous ne pouvez pas faire le malin. » La démission du ministre de la Santé Aurélien Rousseau, et les menaces de dérobades d’autres ministres sur fond de désaccord avec la loi Immigration, fracturent un peu plus le bloc central d’Emmanuel Macron. Et le même Insoumis de faire tomber le couperet : « La question de l’unité reste cardinale et ses frontières ne sont pas encore connues. Jusqu’où peut-on aller ? Jean-Luc ne peut pas être le candidat de cette unité, c’est même l’inverse puisque si les macronistes de gauche déboîtent, il ne peut pas les capter. Il est un repoussoir. »
Ironie de l’histoire, il est seul sur scène. La balle est dans sa main mais il ne sait plus quoi en faire. Une scène au Sénat, le 21 novembre : le maire socialiste de Marseille Benoît Payan est de passage dans la capitale pour le Salon des maires. Tête-à-tête avec Patrick Kanner, le patron des sénateurs PS et anti-Nupes jusqu’au bout des ongles. Très vite, le débat sur la présidentielle de 2027. « Un deuxième tour entre Le Pen et Mélenchon ? Mais moi, je ne vais pas voter ! Il fera 35 et elle 65 ! » tonne Kanner, désespéré par la situation à gauche. Payan réplique : « Mais bien sûr que si, tu iras voter. Sinon, comment tu te regarderas dans une glace le lendemain ? ». Là est peut-être la dernière chance de Mélenchon. Il sait qu’un bloc bourgeois ne lui tournera pas complètement le dos, malgré ses mots, malgré le 7 octobre. Encore faut-il les convaincre… Mélenchon, condamné par la Nupes.
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