Jérusalem, trois mille ans d’histoire : la passionnante analyse du géographe Michel Foucher

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Géographe, diplomate et essayiste, Michel Foucher est un spécialiste des frontières, auxquelles il a consacré plusieurs ouvrages, notamment L’obsession des frontières (Perrin, 2007) et, plus récemment, Ukraine-Russie : la carte mentale du duel (Gallimard, 2022). Etudiant, il avait consacré sa thèse à la Ligne verte, qui séparait Jérusalem-Ouest et Jérusalem-Est de 1949 à 1967. Conseiller chargé des affaires politico-stratégiques au cabinet d’Hubert Védrine de 1998 à 2002, cet ancien directeur du Centre d’analyse, de prévision et de stratégie du quai d’Orsay, s’est maintes fois rendu au Proche-Orient pour des consultations avec les protagonistes du conflit israélo-palestinien.

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« La Vieille Ville de Jérusalem, c’est 1 kilomètre carré multiplié par trois mille ans d’histoire. Sans remonter aussi loin, rappelons qu’entre le XVIe et le XXe siècle, elle fut une ville de l’empire Ottoman. En décembre 1917, dans le cadre de la Première Guerre mondiale, Jérusalem est conquise par les Britanniques avec leurs alliés australiens et néo-zélandais. En 1923, la Société des Nations confie au Royaume-Uni le mandat de gouverner le territoire qui, naguère, était ottoman : c’est la’Palestine mandataire’, dont le statut perdure jusqu’à la création de l’Etat d’Israël par les Nations Unies, le 14 avril 1948.

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A la suite de la guerre israélo-arabe la même année, Jérusalem est divisée en deux secteurs : la partie occidentale est administrée par Israël et la zone orientale par la Transjordanie (rebaptisée Jordanie en 1949). Pendant l’existence de la Palestine mandataire, la population musulmane double, passant (approximativement) de 555 000 à 1,2 million de personnes ; celle de la communauté juive est multipliée par dix, bondissant de 60 000 à 630 000 habitants.

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© / Légendes cartographie

Depuis le début du sionisme – mouvement politique et religieux apparu en Europe orientale dans les années 1880, qui prône le retour des juifs en Palestine –, la formation de l’Etat d’Israël est l’histoire d’un ensemble d’un millier de petites implantations qui se fixent en des endroits stratégiques. C’est une stratégie foncière qui s’apparente à un jeu de go : les Israéliens occupent des points, puis les relient entre eux pour constituer des blocs. Ils s’inspirent ainsi de la méthode, efficace, employée par les Allemands au XVIIIe siècle lorsqu’ils s’installaient en Europe centrale ; en Silésie ou en Transylvanie. Dans cette démarche, du fait de son importance historique et religieuse, Jérusalem représente une priorité absolue, bien davantage que la Cisjordanie.

Il ne s’agit pas d’une colonisation au sens classique du terme, quoi qu’en disent les « colons » autoproclamés de l’extrême droite qui emploient ce vocable impropre. Israël n’est pas un empire qui cherche à intégrer des populations colonisées à son système. C’est une lutte pour la même terre, entre forces inégales et séparées. Voilà pourquoi, lorsqu’on parle de Jérusalem ou de Cisjordanie, le terme d’ »implantation », traduit de l’hébreu, est plus juste que celui de « colonie ».

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© / Légendes cartographie

Quoi qu’il en soit, en 1967, à l’issue de la guerre des Six-Jours, Israël réunifie Jérusalem en annexant Jérusalem-Est, où se trouve la Vieille Ville qui inclut la mosquée Al-Aqsa, administrée aujourd’hui encore par le roi de Jordanie. Troisième lieu saint de l’islam, celle-ci a été construite au sommet de ce que les juifs appellent le mont du Temple, le site le plus sacré du judaïsme. Avec cette annexion, qui inclut 28 villes et localités à la périphérie de Jérusalem-Est, dont Bethléem, la « métropole » de Jérusalem » passe de 6 à 72 kilomètres carrés. De nouvelles implantations israéliennes apparaissent aussitôt dans les interstices, à côté des espaces de résidence des Palestiniens, sur le « domaine public » en friche. En 2000 apparaît un autre concept, inscrit dans la Constitution israélienne : le « grand Jérusalem », qui couvre 125 kilomètres carrés. Ce territoire abrite un nombre croissant de villes de développement, comparables à nos villes nouvelles. Un projet urbain pouvant héberger 45 000 nouveaux habitants (israéliens) est par exemple en cours à Atarot, entre Jérusalem et Ramallah (Cisjordanie). Cette politique de grignotage se traduit dans la démographie : la population de Jérusalem-Est compte aujourd’hui 233 000 Israéliens et 361 000 Palestiniens. Les implantations successives autour de Jérusalem participent de la fragmentation du territoire palestinien qui, selon les Nations Unies, se compose de 165 morceaux : le résultat en est qu’un éventuel Etat palestinien n’aurait plus d’assise territoriale viable, le retour aux frontières de 1967 étant donc une grave illusion.

Cette politique n’est pas l’apanage du gouvernement de Benyamin Netanyahou. C’est au contraire une politique d’Etat ancienne, menée par les gouvernements successifs de droite et de gauche depuis 1967, qui mobilise plusieurs ministères – à commencer par celui de la Construction et du Logement – en coordination étroite avec la municipalité de Jérusalem. Aussi, ceux qu’on appelle improprement les « colons » sont-ils mus par des motivations différentes, et installés dans des endroits distincts. Certains religieux ultraorthodoxes occupent des sites bibliques de la vallée du Jourdain, au nord-est d’Israël, tandis que d’autres choisissent la Cisjordanie, qu’ils dénomment Judée Samarie, où la présence juive est attestée depuis l’Antiquité.

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© / Légendes cartographie

Ces derniers sont appuyés par des faucons ultraorthodoxes et nationalistes, souvent pauvres (40 % d’entre eux vivent sous le seuil de pauvreté israélien), délinquants, sans emploi (selon leur interprétation du Talmud, les hommes ne sont pas censés travailler) et suprémacistes prônant « la chasse aux Palestiniens ». A l’inverse, les Israéliens qui élisent domicile à Jérusalem-Est et dans les quartiers situés à l’est de Tel-Aviv sont généralement des laïcs, motivés par les faibles prix de l’immobilier. Alors que le mètre carré atteint 12 000 euros à Tel-Aviv, il descend à 4 500 à l’est de la Ligne verte (la frontière de 1967), où les Israéliens sont au contact immédiat des Palestiniens, y compris autour de Jérusalem-Est. A cela s’ajoute un autre phénomène : l’achat de bâtiments anciens dans la Vieille Ville par des riches Américains. Entre Jérusalem, lieu du pouvoir politique et religieux, et Tel-Aviv, cité laïque hi-tech au bord de la mer Méditerranée, le contraste était de plus en plus grand, jusqu’au pogrom djihadiste du 7 octobre. »

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