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Un prix élevé doit être payé par ceux qui, d’origine arabe, abordent publiquement la question de la guerre entre Israël et le Hamas. Au Proche-Orient, quoi qu’on dise contre le Hamas, il ne faut pas surtout paraître favorable à l’Etat de Benyamin Netanyahou. En France, « l’Arabe » est sommé de choisir un camp entre Israël et Palestine.
Depuis le 7 octobre, j’ai perdu la majorité de mes amis arabes. A leurs yeux, il ne faut pas dévoiler l’antisémitisme au Proche-Orient devant les Occidentaux, pour ne pas soutenir l’agenda sioniste. Surtout en pleine guerre israélo-palestinienne. Plusieurs m’ont envoyé des messages pour couper les ponts suite à la publication de mes textes sur la haine des juifs. Des articles ont été publiés en arabe, expliquant que je cherche à être connu, que je veux de l’argent, que je suis un traître. Le plus triste, c’est qu’avec certains de ces ex-amis, nous avions manifesté ensemble contre le régime de Bachar al-Assad en Syrie. Ils étaient mes camarades de la révolution syrienne, ils savent très bien que diaboliser Israël est une part essentielle de la propagande du régime pour rester au pouvoir, un épouvantail destiné à faire peur à la population. Là-bas, l’accusation la plus dangereuse était d’être qualifié d' »agent d’Israël » : elle valait condamnation à mort. Créer un ennemi à l’étranger, instaurer l’Etat d’urgence pour justifier tous les crimes commis contre son peuple, voilà un jeu dictatorial banal. Mais, dans le cas d’Israël, le sujet reste sensible même pour les opposants au régime, tant la haine contre ce pays est incrustée dans les esprits. Pour les croyants ou les athées, les chrétiens ou les musulmans, les djihadistes ou les communistes, les pro ou les anti-Assad, Israël demeure cet Etat « colonialiste » dont il faut se débarrasser.
Une guerre absurde de plus de cent ans entre Arabes et juifs
Dès le début de cette guerre, j’ai été menacé sur les réseaux sociaux. « Je vais le trouver et je vais détruire son visage » a fait savoir sur Facebook une journaliste arabe vivant en France. J’ai reçu des insultes en français comme en arabe, simplement pour avoir dit une vérité que tout le monde connaît. On sait bien que le mot « juif » est une insulte au Proche-Orient. On sait que plus de 800 000 habitaient dans les pays arabes avant la création de l’Etat d’Israël, et qu’il ne reste plus que quelques dizaines de milliers, alors qu’ils y vivaient depuis des siècles. Tous ont dû partir. On sait que quand nous étions petits, à l’école comme à la télévision, les juifs étaient dépeints comme des monstres, et souvent qualifiés de « descendants des porcs et des singes ». On sait aussi que le Hamas n’est qu’un mouvement islamo-fasciste, que son projet est de « libérer » la mosquée al-Aqsa des juifs et de fonder un Etat islamique. Les Syriens ont été sommés de soutenir la cause palestinienne dans sa version « hamassienne » à cause de sa collaboration avec le régime d’Assad. On sait que le Hamas, tout comme Assad, profite de l’argent public à son avantage. Au lieu de construire des écoles, des hôpitaux, de développer la vie culturelle et les infrastructures, il utilise ses moyens pour accroître son potentiel militaire, fabriquer et acheter des armes, creuser des tunnels : même les tuyaux d’irrigation financés par l’aide internationale sont utilisés pour fabriquer des missiles ! Le Hamas se vend à celui qui paie le mieux, aujourd’hui l’Iran. Les chefs se cachent dans les tunnels de Gaza ou les hôtels luxueux du Qatar pendant que leur peuple ne trouve plus d’eau potable. On sait tout cela, mais quand on le déclare en public, on est attaqué et abandonné par son entourage.
Il faut savoir que le réfugié syrien, en France, a déjà perdu sa famille, ses biens, et beaucoup d’amis, à cause de son engagement politique contre Bachar al-Assad. Aujourd’hui, il perd aussi des camarades de la révolution. Heureusement, il se trouve toujours des voix, même mineures, opposées à ce spectacle de haine sur les réseaux sociaux. Elles déclarent leur colère contre une guerre absurde de plus de cent ans entre Arabes et juifs, un conflit où seuls les civils paient un prix très cher.
Le migrant arabe doit soutenir la Palestine, point barre
En France, pour cet « Arabe », la situation n’est pas meilleure. Il doit choisir son camp, pour ou contre Israël. Pour ou contre les victimes palestiniennes. C’est aussi binaire que cela. Pourtant, la situation actuelle est très compliquée. Dans certains cas, si on a l’impression d’avoir bien compris le conflit israélo-palestinien, c’est qu’on nous l’a mal expliqué. La simplification nous fait diaboliser ou aimer l’autre à notre convenance. On juge par l’émotion et non l’esprit. Pour de nombreux militants français, surtout issus de la gauche, le migrant arabe, même quand il est naturalisé, doit rester un éternel réfugié arabe, et ne surtout pas manifester une opinion indépendante et à contre-courant. Il doit soutenir la Palestine, point barre. Sinon, c’est qu’il est récupéré par l’extrême droite. Le même discours se répète hélas quand on critique l’islam en France.
Aujourd’hui, tous ceux qui, d’origine arabe, sont restés fidèles à leurs principes progressistes sont doublement exilés. Premièrement, parce qu’ils se sont engagés contre les régimes dictatoriaux dans leur pays d’origine, et deuxièmement parce qu’ils sont souvent mal compris en France.
Personnellement, à chaque fois que je subis une attaque, je ne pense qu’à ma mère, la seule personne qui m’a accepté en tant qu’athée dans mon pays d’origine, la Syrie. Aujourd’hui, je souhaite lui parler de mes idées, de ces critiques permanentes dès qu’on parle d’Israël, et des extrémismes qui ne provoquent que plus de déchirements dans la société française. Peut-être me comprendrait-elle. Mais je n’arrive pas à communiquer avec ma mère. Le régime de Bachar al-Assad surveille les portables, les téléphones et les esprits, dans un pays où les murs n’ont que des oreilles.
* Écrivain et poète né à Damas, Omar Youssef Souleimane a participé aux manifestations contre le régime de Bachar el-Assad, mais, traqué par les services secrets, a dû fuir la Syrie en 2012. Réfugié en France, il a publié chez Flammarion Le Petit Terroriste, Le Dernier Syrien, Une chambre en exil, et récemment Etre Français.
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