Nom du projet, « Memorial 710 » (« 710 » pour le « 7 octobre »). Les survivants du kibboutz Beeri en Israël rassemblent textos, photos et vidéos des derniers messages déchirants de leurs proches envoyés en direct durant l’attaque inédite du Hamas, afin de constituer des preuves numériques du massacre.
Yaniv Hegyi, ancien responsable de cette communauté, l’une des plus touchées avec plus de 80 morts, veut créer des archives numériques de la tuerie perpétrée le 7 octobre par des commandos du mouvement islamiste palestinien Hamas infiltrés depuis la bande de Gaza proche.
« Une carte interactive » avec des messages et des images
Raccrochés à leur seule source d’information et de communication avec l’extérieur, « les gens ont envoyé des selfies avant d’être assassinés », indique Yaniv Hegyi, présent au Kibboutz lors de l’attaque. Dans son téléphone portable, il conserve des milliers de messages WhatsApp qu’il a lui-même reçus ou que des habitants lui ont envoyés, de personnes terrifiées, appelant désespérément à l’aide depuis leur abri plongé dans le noir.
Aujourd’hui, Yaniv Hegyi imagine une carte interactive sur laquelle les futurs chercheurs pourraient sélectionner une maison et faire apparaître les messages et les images de ce qui s’y est déroulé. Par exemple, précise-t-il, « si une jeune fille de 13 ans m’a envoyé un message vocal disant : « par pitié, ma mère a été assassinée, mon frère est mort et mon père est très gravement blessé », ils (les internautes) pourront se rendre dans l’endroit d’où a été émis l’appel à l’aide et voir ce qu’il est arrivé à cette famille ».
« Ce genre de collecte permet de défendre l’exactitude historique »
Une démarche insoutenable, mais essentielle pour Hana Brin, 76 ans. Ancienne historienne et résidente de Beeri, elle a accepté de partager ses messages, malgré la douleur. « Cette documentation se déroule en temps réel et sur place, elle montre une grande détresse, c’est donc la plus authentique », dit-elle.
Un point de vue confirmé par Raquel Ukeles, qui crée une base de données pour préserver ces archives – textos, photos, messages audio et vidéos – en tant que responsable des collections à la Bibliothèque nationale. « Ce genre de collecte permet de défendre l’exactitude historique contre toutes sortes d’affirmations fausses et scandaleuses », explique-t-elle. « Ces données brutes pourront être utilisées ultérieurement par des musées ou pour monter des expositions », ajoute cette spécialiste. « Mais c’est terriblement personnel. »
« Un devoir de mémoire »
Jusqu’à présent, une centaine de survivants de Beeri a accepté de participer au « Memorial 710 » et les bénévoles demandent à d’autres communautés de se joindre à eux, avant que les précieux messages ne se perdent.
Et au-delà du défi technologique, certains hésitent aussi à partager les derniers signes de vie d’une fille, d’un petit-fils ou d’une maman, des mots d’amour intimes, lancés avant la mort. « C’est pas facile de les convaincre tous », admet Yaniv Hegyi. « Mais lorsqu’ils s’y résolvent, il y a comme un changement qui s’opère (…) En nous confiant leur WhatsApp, ils agissent, ils se libèrent de ce sentiment d’impuissance que nous avons tous ressenti à l’intérieur des pièces sécurisées. » Il faut aussi se saisir de l’outil numérique pour le devoir de mémoire, car « nous aurions voulu savoir ce qui est arrivé à nos grands-parents durant la Shoah ».
Au total 1.200 personnes, la plupart des civils selon les autorités, ont été tuées dans l’attaque du Hamas, d’une ampleur et d’une violence jamais vues depuis la création de l’Etat d’Israël en 1948.
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