C’est une bande de sable de 1 kilomètre de largeur sur une douzaine de longueur, où se succèdent habitations, plantations maraîchères, dunes et terrains vagues. Et, dorénavant, tentes de fortunes et populations en détresse. La commune littorale d’Al-Mawasi, dans le sud-ouest de la bande de Gaza, a été désignée par les autorités israéliennes comme la « zone humanitaire » où les Palestiniens peuvent se mettre en sécurité des combats et bénéficier du soutien d’ONG – soutien qui n’est toujours pas en place. Dans les jours qui viennent, cette mince zone côtière décrite comme « inadaptée », « sans installations » et déjà « surpeuplée » pourrait voir déferler encore plus de monde.
Car, à peine quelques jours après la fin d’une trêve qui en aura duré sept, l’armée israélienne s’est résolue à mener une opération terrestre dans la partie sud de la bande de Gaza, à l’instar de ce qu’elle a déjà fait dans la partie nord. Son objectif désigné : Khan Younès, ville aux abords de laquelle sont installés des camps de déplacés et où se trouverait Yahya Sinouar, l’architecte de l’attaque surprise du 7 octobre et du massacre de plus de 1 200 Israéliens. Le chef du Hamas à Gaza y est né et y a vécu une grande partie de sa vie, à l’exception de vingt-deux ans passés en prison en Israël – il a été libéré en 2011, avec près de 1 000 autres prisonniers en échange du soldat Gilad Shalit.
« Il y a deux raisons pour lesquelles les forces armées israéliennes ciblent Sinouar, considéré comme un dur : d’abord, son rôle dans l’attaque du 7 octobre, qui fait qu’il est devenu plus qu’un symbole, un mythe à abattre pour porter un coup à la chaîne de commandement et à la motivation des combattants, explique Michael Milshtein, directeur du Forum d’études palestiniennes à l’université de Tel-Aviv. Ensuite, il est possible que le Hamas fasse preuve de plus de flexibilité en ce qui concerne les otages israéliens, si Sinouar est tué. Je l’imagine mal se rendre pour être jugé par un tribunal. »
Khan Younès est aussi la ville de naissance de Mohammed Deïf, qui dirige la branche militaire du Hamas, également parmi les cibles prioritaires d’Israël. Plusieurs bataillons du Hamas seraient positionnés dans la cité, où des bombardements massifs ont été menés ces derniers jours, précédés d’appels à évacuer certaines zones à destination de la population. « L’armée israélienne a la volonté de détruire un maximum de combattants, dont un certain nombre a pu passer du nord au sud de Gaza avec la trêve, et compte frapper vite et fort, d’autant que c’est le Hamas qui a rompu la trêve », souligne le général Jérôme Pellistrandi, rédacteur en chef de la Revue Défense nationale.
Voilà donc l’armée israélienne engagée sur deux fronts en même temps. Au nord, les combats se poursuivent, en particulier dans la ville de Gaza et au niveau du camp de Jabaliya. « Une dizaine de commandants y ont été éliminés et le Hamas s’y montre moins solide que les forces israéliennes ne le pensaient, appliquant avant tout des techniques de guérilla, constate David Khalfa, codirecteur de l’observatoire de l’Afrique du Nord et du Moyen-Orient de la Fondation Jean-Jaurès. Mais cela ne suffit pas à enclencher un succès stratégique, car l’essentiel du commandement se trouve dans le Sud, où la situation pourrait être encore plus compliquée, avec une horloge diplomatique qui tourne plus vite. »
La France, par la voix du président Emmanuel Macron, a appelé à un cessez-le-feu. Ce n’est pas le cas de la Maison-Blanche, où l’on a expliqué que les Israéliens « fournissaient des efforts » pour minimiser les pertes civiles. « Je pense que l’administration américaine continuera à soutenir Israël dans son objectif de destruction du Hamas, à moins qu’un désastre survienne et qu’elle le lui reproche, fait valoir Michael Milshtein. Plus Israël fera preuve de flexibilité pour favoriser l’aide humanitaire à Gaza et plus elle gagnera de temps pour ses manœuvres militaires vis-à-vis des Américains. »
Ceux-ci se montrent néanmoins de plus en plus pressants face à des opinions publiques très critiques à l’égard du traitement des populations civiles à Gaza, quand bien même le Hamas les utilise comme boucliers. Le secrétaire d’Etat américain, Antony Blinken, a appelé à « éviter d’endommager les infrastructures vitales » et exige que la question de l’après-Hamas soit bien prise en compte. « Au sein du cabinet de guerre, des personnalités comme Gadi Eizenkot et Benny Gantz [deux anciens chefs d’état-major] poussent à répondre aux demandes des Etats-Unis, d’autant qu’Israël a besoin de leur aide militaire, de leur capital diplomatique et de leur veto au Conseil de sécurité de l’ONU », précise David Khalfa.
Le nombre de victimes civiles continue de monter. « Les choses que j’ai vues dépassent tout ce que l’on peut décrire, a déclaré la présidente du Comité international de la Croix-Rouge (CICR), Mirjana Spoljaric, après sa visite à Gaza. Ce qui m’a le plus choquée, ce sont les enfants qui ont des blessures atroces et qui ont également perdu leurs parents et n’ont personne pour s’occuper d’eux. » L’armée israélienne a de son côté réclamé que le CICR puisse avoir accès aux 138 otages toujours détenus à Gaza – 105 ont été libérés fin novembre.
Combien de morts le conflit a-t-il fait à Gaza ? Le ministère de la Santé du Hamas prétend que plus de 16 000 personnes ont déjà été tuées, dont 70 % de femmes et de mineurs. L’armée israélienne affirme, pour sa part, que son intervention à Gaza des derniers mois a fait deux morts civils pour un combattant. Au-delà de ces estimations, c’est tout un territoire qui se trouve dévasté pour longtemps. L’ONU estime que plus de la moitié des habitations sont détruites ou endommagées et que 1,9 million de personnes, soit 85 % de la population de Gaza, ont été déplacées. Il semble illusoire de croire qu’elles pourront toutes trouver refuge, dans les jours qui viennent, à Al-Mawasi.
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