Photo : Gaza – Dans la crainte d’un bombardement israélien sur une école des Nations Unies servant de refuge – Photo : Samar Abu Elouf.
Mesdames et messieurs, chaque matin, nous nous réveillons et une nouvelle image atroce nous parvient de Gaza. Des chiens sauvages dévorant les cadavres de Gazaoui·es tué·es à l’hôpital Al-Shifa. Le corps d’un Palestinien attaché à une corde et traîné par un véhicule militaire israélien non loin de la plage Zikim. Des travailleurs et travailleuses palestiniennes forcées de se dénuder et torturé-es. Aujourd’hui, c’est la vidéo d’un tank israélien écrasant le cadavre d’un civil palestinien.
Chères auditrices et auditeurs, je suis psychiatre clinicienne et travaille de longue date avec les professionnel·les de santé mentale de Gaza. Mais je ne suis pas ici pour vous parler de l’impact inimaginable d’un génocide sur la santé mentale des Palestinien·nes, ni pour faire du sumud palestinien une réalité romantique.
Je suis ici pour vous avertir de l’effondrement imminent de notre sens commun d’humanité.
En tant que Palestinienne privée de citoyenneté et faisant actuellement face à un niveau inédit de répression israélienne à Jérusalem et en Cisjordanie, j’en appelle à vos principes universels en tant qu’êtres humains afin de nous aider à exposer la réalité déchirante de Gaza – un lieu meurtri par l’un des chapitres les plus sombres de l’Histoire.
Les atrocités implacables commises à Gaza entachent la conscience de l’humanité, laissant une trace indélébile sur notre capacité à nous relier les un·es aux autres en tant qu’êtres humains.
Une intention génocidaire
Depuis le premier jour de cette guerre, des personnalités politiques israéliennes parlent, dans un esprit de vengeance, d’écraser Gaza et de déporter ses résident·es.
Le ministre de la Défense Yoav Gallant a décrit les Gazaoui·es comme étant des « animaux » et le Président Isaac Herzog a déclaré que tou·tes étaient complices des actes commis le 7 octobre.
Ces actes ont été comparés au 11 Septembre et les combattant·es de la résistance palestinienne assimilés à Daech, comme si les évènements du 7 octobre marquaient le début de notre histoire.
Ces évènements sont présentés en occultant huit décennies d’occupation et de répression des Palestinien·nes et vingt années d’emprisonnement à Gaza, le plus grand camp de concentration contemporain.
Le ministre israélien du Patrimoine Amichai Eliyahy a d’ores et déjà estimé que le largage d’une bombe nucléaire sur Gaza était une « option ».
Des mensonges sans fondement relatant la décapitation de bébés israéliens et des viols massifs sont inventés pour monter le monde contre Gaza et légitimer le massacre de civil·es.
Chère audience, les bombardements aériens israéliens n’ont pas cessé au cours de ces trente-sept jours de guerre. Les pertes gazaouies de ce seul mois dépassent le nombre total de pertes ukrainiennes depuis le début de la guerre en Ukraine.
Les femmes et les enfants représentent 70% des victimes palestiniennes.
Prenez le temps d’assimiler cette information – il ne s’agit pas d’une simple statistique, mais de la preuve glaçante d’une intention de cibler les plus vulnérables.
Les personnels médicaux, les journalistes et les forces de défense civile sont également ciblées.
Nous observons des personnes tentent de porter secours à mains nues à des membres de leur famille coincés sous les décombres, entendons parler de médecins opérant sans anesthésie et de bébés prématurés mourant en raison de l’oxygène coupé dans les hôpitaux.
Mais de nombreux et nombreuses Gazaoui·es utilisent leur téléphone pour communiquer leur souffrance au monde : nous ne pourrons pas prétendre que nous ne savions pas.
Depuis un mois, la diffusion et la couverture en direct de ces massacres forcent le monde à être témoin de cette horreur, ne laissant place à aucune ambigüité quant à l’identité des responsables.
Ces massacres bouleversent d’autant plus notre conscience morale qu’ils sont commis avec le soutien indéfectible des principaux régimes occidentaux – Etats-Unis, Royaume-Uni, France, Allemagne et Italie.
Le mépris caractérisé pour les vies palestiniennes exprimé par leurs instances politiques et militaires, ainsi que par les médias occidentaux traditionnels, entre en contradiction avec les valeurs que ces nations prétendent défendre.
Ce mépris révèle en revanche le racisme sous-jacent et la mentalité coloniale de ces régimes occidentaux.
Le tristement célèbre siège de Sarajevo offre une comparaison saisissante. A l’époque, le bombardement du marché Markale, qui avait fait quarante-trois victimes, avait mené à l’action décisive de l’OTAN contre les forces serbes. Tandis que, suite au bombardement par Israël de l’hôpital baptiste Al-Ahli, qui a provoqué la mort de cinq-cents civil·es, Biden a hypocritement déclaré à Netanyahou : « Il semblerait que ce cela soit le fait de l’autre équipe. »
Et l’on laisse Gaza mourir de faim, de soif, dans l’obscurité et le manque d’équipement médical.
Depuis 1948, les actions de l’État d’Israël ont constamment enfreint le droit international. Protégé par le soutien inconditionnel des États-Unis, Israël considère qu’il n’a pas de compte à rendre.
Et pourtant, ces crimes contre les Palestinien·nes, soutenus par l’occident, ne constituent pas seulement une violation du droit, mais également la trahison de notre commune humanité.
L’offensive délibérée du gouvernement et de l’armée israéliennes, qui se nourrit d’un sentiment injustifié d’exceptionnalité et de revanche, n’écrase pas uniquement Gaza : je vois en chaque bâtiment qui s’écroule, l’effondrement moral de la communauté internationale.
Chèr·es camarades, telle que nous la connaissons, Gaza, blessée, souffrante, en larmes et se sentant trahie, Gaza se relèvera un jour des décombres et nous regardera dans les yeux. Peut-être nous interrogera-t-elle sur notre rôle ; peut-être nous pardonnera-t-elle comme elle l’a souvent fait auparavant et continuera-t-elle d’affronter seule l’ordre international.
L’urgence aujourd’hui, c’est de ranimer notre humanité agonisante, qui a échoué à préserver les vies gazaouies, de susciter de la compassion et de restaurer les valeurs qui nous définissent en tant qu’êtres humains.
Sauvons ce qu’il reste de notre humanité des décombres de Gaza.
Samah Jabr est médecin-psychiatre et exerce à Jérusalem-Est et en Cisjordanie. Elle est actuellement responsable de l’Unité de santé mentale au sein du Ministère palestinien de la Santé. Elle a enseigné dans des universités palestiniennes et internationales. Le Dr Jabr est fréquemment consultante pour des organisations internationales en matière de développement de la santé mentale. Elle est également une femme écrivain prolifique.
Son dernier livre paru en français : Derrière les fronts – Chroniques d’une psychiatre psychothérapeute palestinienne sous occupation.
30 novembre 2023 – Tramsmis par Alexandra Dols
La source de cet article se trouve sur ce site