Elle veut “garder le sourire”, consciente que “d’autres ont des situations bien pires”. Mais Danielle*, 58 ans, ne peut tout de même pas s’empêcher d’être inquiète pour son avenir, depuis que la réforme des retraites a été présentée le 10 janvier dernier. Responsable de la communication d’une entreprise dans le textile, cette mère de trois enfants a perdu son travail il y a quelques semaines pour des raisons économiques. “Depuis, j’ai fait deux entretiens, et j’ai senti que mon âge posait problème. L’un des recruteurs m’a même demandé si j’étais bien au fait des nouvelles tendances sur les réseaux sociaux, alors que c’est quand même le cœur de mon métier”, témoigne-t-elle.
Le projet phare d’Emmanuel Macron, contesté dans les rues par l’ensemble des syndicats, prévoit notamment le relèvement de l’âge de départ à la retraite à 64 ans d’ici à 2030. Pour Danielle, cette mesure est “préoccupante”. “Si à 58 ans je suis déjà sur le carreau pour le monde du travail, je n’imagine même pas à l’approche de mes 64 ans. On a l’impression que le gouvernement ne connaît pas les difficultés des seniors.”
Si les 5 millions de cadres jouissent en général d’un taux de chômage très favorable – il était de 4,1 % en moyenne en 2021, contre 7,9 % pour l’ensemble des actifs -, la situation des seniors de cette catégorie socioprofessionnelle est plus compliquée. Fin janvier 2021, sur les 700 000 personnes recherchant un poste de cadre inscrites à Pôle emploi, 112 000 avaient en effet plus de 55 ans – dont 36 % étaient demandeurs d’emploi longue durée -, selon une enquête menée par l’Association pour l’emploi des cadres (Apec). Alors que les deux tiers des cadres seniors recherchaient un travail de manière active, 89 % d’entre eux ressentaient l’âge comme “un facteur discriminant”.
Une charge mentale
Pour Robert, 61 ans, les cadres souffrent également d’un problème de perception dans l’opinion publique. “On croit que tous sont d’immenses privilégiés diplômés de grandes écoles, et qu’ils ne sont donc pas concernés par la réforme. Or, beaucoup deviennent cadre grâce à l’expérience, en gravissant les échelons.” Aujourd’hui manager dans le secteur des télécommunications, Robert a par exemple commencé en tant qu’apprenti, à l’âge de 19 ans. Pourtant, malgré sa “carrière longue” – un dispositif qui permet un départ en retraite anticipé -, ce dernier devra travailler “cinq mois de plus” par rapport à ce qui était prévu avant la réforme, pour finir à 62 ans et demi. Auparavant, les personnes ayant commencé à travailler avant 20 ans, soit la majorité des départs anticipés pour carrières longues, pouvaient partir à 62 ans. “On se dit que quelques mois en plus, ce n’est rien. Mais psychologiquement, quand on a prévu des projets ou qu’on commence à fatiguer, c’est dur”, avoue-t-il.
D’autant que la pénibilité au travail, comptabilisée dans le compte professionnel de prévention (C2P) mis en place fin 2017, et dont l’obtention de points permet un départ anticipé à la retraite, ne prend pas en compte la dimension psychologique. Or, pour Michelle, 58 ans, les cadres peuvent aussi subir “une charge mentale”. “A notre âge, on gère moins bien les situations de stress. Entre les réunions ou la pression du résultat, on a parfois du mal à encaisser, mais on n’en parle pas, car on sait qu’on a quand même des postes avantageux”, raconte celle qui travaille dans les ressources humaines depuis plus de quinze ans, et qui devra aussi partir plus tard à la retraite, avec la réforme. Dans un sondage réalisé par Cadremploi en 2019, pas moins d’un cadre sur deux affirmait en effet avoir déjà fait un burn-out. “Quelle que soit notre position sociale, on a l’impression que les seniors seront toujours lésés”, conclut Michelle.
* Le prénom a été modifié.