L’automne est la dernière saison
Par Nasim Marashi, trad. du persan par Christophe Balaÿ.
Editions Zulma, 272 p., 22 €.
La note de L’Express : 4/5

Par Nasim Marashi, trad. du persan par Christophe Balaÿ.
A Téhéran, Leyla, Shabaneh et Rodja, trois femmes à un moment charnière de leur existence ; l’autrice nous invite dans deux saisons, l’été et l’automne, de la vie de ces jeunes amies, qui se sont rencontrées sur les bancs de l’université de Téhéran et restent depuis soudées. Chacune s’interroge sur le chemin à prendre dans son existence, qui puisse concilier leur intense recherche de liberté aux fatalités qui ne cessent de s’imposer à elles. Faut-il partir pour être libre ? Ne vit-on pas parfois un exil à l’intérieur de son propre pays quand les choix sont limités ? Difficile de ne pas être touché par la portée de ce texte alors que depuis le mois de septembre 2022 les femmes et les jeunes Iraniens manifestent contre la restriction de leurs libertés.
Par touches subtiles, l’autrice Masim Marashi narre l’enfermement que représente la condition de la femme en Iran. Trois héroïnes qui paraissent libres et émancipées mais qui voient sans cesse leurs élans coupés d’une manière ou d’une autre. Est-ce trop demander ?, semblent s’interroger les trois héroïnes quand elles rêvent d’une vie où leurs désirs de réussite s’accompliront. Il n’y a que dans l’intimité de l’amitié féminine que l’étendue des douleurs peut se dire. Cet ouvrage publié en Iran en 2015 avait remporté le prix Jalal el-Ahmad, un des prix les plus prestigieux du pays, et est devenu un best-seller dans son pays. La traduction toujours impeccable du regretté Christophe Balaÿ retranscrit le rythme et la musicalité de la langue d’origine. Cet ouvrage délicat à la tonalité douce-amère laissera une trace durable dans l’esprit de ses lecteurs. Hamdam Mostafavi
L’Allègement des vernis
Par Paul Saint Bris.
Philippe Rey, 349 p., 22 €.
La note de L’Express : 3/5

Par Paul Saint Bris.
A-t-on déjà vraiment vu La Joconde ? Aurélien, directeur du département des peintures au Louvre, est pris à la gorge par différents experts ou prétendus tels : ils sont de plus en plus nombreux à affirmer que les vernis de la célèbre toile se sont oxydés et ont jauni, la plongeant dans la pénombre. N’est-il pas temps de relifter la séculaire Mona Lisa ? Pour la directrice du musée, toujours à la recherche d’un coup, c’est une aubaine : elle y voit une opération de communication du tonnerre. Et le pauvre Aurélien, qui avait choisi un métier collant à son tempérament conservateur, est chargé de superviser cette révolution. Situé entre un Paris gris et une Toscane féerique, L’Allègement des vernis raconte sa recherche de celui ou celle qui osera retoucher La Joconde – et toutes les secousses que cela provoque dans le monde de l’art. Pour la petite histoire, précisons que l’auteur, Paul Saint Bris (neveu du défunt Gonzague), est issu de la famille propriétaire du Clos Lucé, l’ancienne résidence de Léonard de Vinci. Le primo-romancier n’a donc pas choisi son sujet au hasard : il l’avait dans le sang.
L’Allègement des vernis est un livre aux multiples facettes : à la fois peinture du milieu très fermé des restaurateurs de chefs-d’œuvre, rêverie mélancolique d’un homme perdu dans son époque, satire des médias et réflexion sur notre rapport aux images, c’est aussi un roman à suspense, au final haletant. Nous resterons aussi mystérieux que Mona Lisa et ne dévoilerons rien des rebondissements. Mais disons que nous n’irons plus au Louvre comme avant… Louis-Henri de La Rochefoucauld
Le Numéro un
Par Mikhaïl Chevelev, trad. du russe par Christine Zeytounian-Beloüs.
Gallimard. 178 p., 18 €.
La note de l’Express : 3/5

Par Mikhaïl Chevelev, trad. du russe par Christine Zeytounian-Beloüs.
D’ordinaire, Vladimir Lvovitch ne répond pas aux numéros inconnus mais il s’ennuie ce soir-là à Moscou et décroche le téléphone. A l’autre bout du fil un certain David Kapovitch, jeune New-Yorkais d’origine russe, lui confie avoir été troublé par leur ressemblance sur une photo : se pourrait-il qu’un lien de filiation existe ? Lvovitch nie en bloc, puis replonge dans ses souvenirs et l’URSS des années 1980. Lui et sa femme Ioulia tirent le diable par la queue, jusqu’à ce qu’une connaissance bien placée lui propose de travailler pour une mystérieuse société, le Mont Rouge, qui brasse des monceaux de dollars tirés d’activités dont il n’a qu’une vague connaissance. Son train de vie décolle et tout va pour le mieux jusqu’au jour où ses employeurs lui demandent de développer l’activité à New York, avec femme et enfant. C’est là que le piège se referme, que sa condition de pion manipulable à l’envi lui éclate au visage.
Thriller kafkaïen dans l’affairisme mafieux de la Russie des dernières décennies, Le Numéro un donne une idée du vertige de la condition d’individus ballottés dans un système où l’ascension et la déchéance, la survie et la mort ne tiennent à rien. Ou, dans le cas de Vladimir Lvovitch, à cinq pneus. Ceux qu’il tenta de vendre au marché noir un jour de 1984 avant d’être attrapé par un capitaine du KGB – une broutille qui fera basculer sa vie et l’amènera, trente ans plus tard, à tenter de réparer ce qui peut l’être. Un récit ramassé et saisissant, au fil duquel affleure une ironie douce-amère, celle qui s’avère nécessaire pour ne pas sombrer face à l’absurde. Bertrand Bouard